Susan Travers, une femme anglaise
dans la Légion (troisième partie)
La guerre en Afrique et au Moyen-Orient avec la Légion (1/2)
Dernière rencontre

Au début de l'année 1956, Susan reçoit à Paris la Médaille Militaire "pour sa bravoure face à l'ennemi à Bir Hakeim". C'est le ministre de la Défense, en personne, qui accroche la médaille au revers de son manteau noir.
Tandis que retentit l'hymne de la Légion Etrangère (Le boudin) et qu'approche une ligne d'hommes au rythme très lent qui caractérise leur marche, elle découvre avec étonnement qu'il s'agit d'un général, en grand uniforme : Pierre Kœnig, le héros de la bataille de Bir Hakeim.
Nommé en 1945 commandant des F.F.I. et commandant des Forces françaises en Allemagne et en Grande-Bretagne, il a arrêté le Maréchal Pétain lors de sa reconduction à la frontière entre la France et la Suisse, où il avait fui.
Alors qu'il apparaît à tous qu'un général respecté félicite une ancienne subordonnée respectueuse, cet homme vieilli, à la taille épaissie et à la voix fatiguée mais au regard toujours vif, est aussi ému qu'elle. Il ne peut que lui déclarer : "J'espère que cela vous rappellera bien des choses".
C'est leur dernière rencontre ; il n'auront pas l'occasion de partager les souvenirs du chemin qu'ils ont parcouru côte à côte, des dangers et de l'amour qu'ils ont vécus ensemble au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
Un autre pont du souvenir

Le Viaduc de Passy a été baptisé "Pont de Bir-Hakeim" en 1949, en souvenir de la victoire remportée en 1942 par les troupes de la France libre sur les blindés du général Rommel dans le désert de Libye.

Quelques semaines après l'épique traversée des champs de mines, au volant du véhicule de deux officiers supérieurs de la Légion pour l'évacuation de la position de Bir Hakeim, la fanfare de la brigade joue La Marseillaise, la Marche Lorraine et la chanson du régiment Sous le soleil brûlant d'Afrique.
Le général Catroux remet à Susan la Croix de Guerre et l'ordre du Corps d'armée ; la citation résume bien le rôle qu'elle a joué :
Elle a prouvé son courage et son sang-froid au cours de deux campagnes, notamment en Erythrée, et elle a plus tard confirmé ces qualités au cours de la campagne de Libye, jusqu'à la nuit du 10 juin où, lors de la sortie de Bir Hakeim, elle a conduit la voiture du général pris sous le feu de l'ennemi tout en traversant un champ de mines. Grâce au courage de Mlle Travers confrontée à une totale obscurité et à plusieurs barrages d'intense artillerie qui laissèrent de nombreuses traces de balles sur son véhicule, le général Kœnig et le colonel Amilakvari ont été ramenés sains et saufs parmi nous.
Première étape africaine
Susan se trouve à Douala au Cameroun français ainsi que le général de Gaulle, en octobre 1940, lorsqu'elle entend parler pour la première fois d'un jeune capitaine de la Légion Etrangère, nommé Pierre Kœnig.

Il vient de se rendre rapidement maître, avec ses hommes, du port de Libreville au Gabon.

Les Français, envoyés en Afrique pour chasser l'ennemi, traversent alors une période difficile et décourageante. Ceux qui restent connaîtront des heures encore plus dures et parfois héroïques.
D'autres rentrent en Angleterre, où ils se sont embarqués le 31 août, parmi plus de 1500 hommes, à Liverpool, à bord de deux paquebots, le SS Westernland et le SS Pennland.
Faisant partie d'un groupe de 10 infirmières anglaises, belges et françaises, Susan doit d'abord soigner les Français libres, rescapés du carnage provoqué par l'aviation de la France de Vichy lors de leur tentative de débarquement à Dakar. C'est peu après, à Freetown en Sierra Leone, qu'elle fait connaissance des Légionnaires, impressionnée par leur détermination et leur patriotisme.
Envoyée à Brazzaville, au Congo, ville déprimante éloignée des actions militaires, elle cherche à se rendre utile auprès de la population pauvre, en travaillant dans un modeste dispensaire. La chaleur étouffante puis les pluies tropicales et le travail peu motivant découragent certaines de ses collègues qui acceptent un travail de secrétariat.

Le général français, inspecteur général de Brazzaville, se laisse convaincre par sa volonté de se joindre aux Français libres, en partance pour l'Afrique du Nord.
Parvenue à Durban sur un cargo sale et peu sûr, elle s'embarque, fin janvier 1941, sur le Neuralia, arrivé du Gabon et du Cameroun avec les Légionnaires.
Elle tombe sous le charme d'un prince géorgien, exilé après la révolution bolchevique. Saint-Cyrien, le commandant Dimitri Amilakvari est, à 35 ans, à la tête d'un bataillon de la 13ème DBLE.

Il porte, en permanence, un manteau vert transpercé par une balle pendant la campagne de Norvège, où il l'avait trouvé.
L'océan indien et la Corne de l'Afrique sont atteints par le canal du Mozambique. Susan se lie d'amitié avec d'autres officiers de la Légion, dont certains laisseront leur nom dans l'histoire. Après le Golfe d'Aden, elle débarque à Port-Soudan sur la mer Rouge à la mi-février avec les Légionnaires, alors que le commandant du navire ne devait pas l'autoriser à les suivre dans leur voyage.
Le chauffeur du commandant Lotte
Bientôt arrive du Tchad, avec un bataillon français, le commandant André Lotte, médecin divisionnaire de l'armée, joyeux et énergique colon, chargé d'organiser l'évacuation des hommes blessés en première ligne vers les postes de secours et les hôpitaux de campagne. Il ne sait pas conduire ; les hommes qui avaient la fonction de chauffeurs ayant été tous réquisitionnés, Susan est désignée pour conduire son véhicule.

Elle est heureuse de se retrouver au cœur de l'action ... mais vite découragée lorsqu'elle découvre la seule voiture disponible, une Humber vieille et complètement défoncée, qu'elle doit démarrer à la manivelle.
Fin février, elle prend la tête du convoi des Français libres vers l'Erythrée. Après deux jours de conduite dans la poussière et plusieurs ensablements, le village atteint est à 8 kilomètres du puits le plus proche.
Les combats contre les Italiens font rage dans les montagnes ; pour secourir les blessés et les mourants, la voiture doit être remplacée par des mulets ou des chameaux. Après avoir réussi à trouver des pièces de rechange dans l'atelier de réparation mobile, elle sillonne, de camp en camp, des défilés effrayants, des pistes caillouteuses, de vastes plaines, des routes escarpées et des déserts. Responsable de la voiture, après des heures de conduite éprouvante, elle doit non seulement la réparer mais la camoufler, parfois en l'enterrant, pour la protéger des bombardements.
Un jour, poisseuse et couverte de poussière, elle se laisse conduire dans une case de femmes pour se laver. Elle ôte son uniforme taché de sueur et grimpe dans une grande bassine. Lorsque ses yeux s'habituent à l'obscurité, elle découvre de nombreuses femmes, qui se mettent à rire en voyant sa peau blanche des pieds à la tête.
Après le changement des amortisseurs, la guimbarde tient le coup malgré une dynamo morte et des freins défectueux. Grâce à un légionnaire cuisinier qui la fait fuir du rocher où elle s'est assise à l'ombre, Susan échappe à l'explosion de 6 obus. Le rocher est désintégré ; un éclat d'obus sera retrouvé un peu plus tard dans l'un de ses mollets.
Le 9 avril, après la prise du port de Massawa, les Italiens se rendent. Susan retrouve le luxe d'une chambre, dans une maison partagée avec des officiers anglais et français ; sauf pour le légionnaire d'origine géorgienne, Amilak, qu'elle retrouve, elle est pour eux "un garçon de la bande". C'est une période de repos et de détente, où les soirées occupées par les jeux de poker, de tennis de table et des séances de cinéma succèdent aux bains de mer et au spectacle des poissons et des oiseaux de la mer Rouge.

Elle fait alors sa première quête, dans les maisons bombardées, d'objets d'un luxe oublié qu'elle ne trouve
pas : un miroir et une machine à coudre.
pas : un miroir et une machine à coudre.
L'un des officiers de la Légion, dont elle fait connaissance au mess, devient son ami : Pierre Messmer, futur Premier ministre du général de Gaulle.
Au début du mois de mai 1941, Susan s'embarque avec sa veille automobile Humber pour Suez. Après la crise de dysenterie dont elle souffre pendant la traversée, elle passe quelques moments heureux à se baigner, le jour, et à danser, la nuit.

L'Afrikakorps de Rommel pénètre en Egypte.
Susan traverse le Sinaï au volant de sa voiture, conduisant le Docteur Lotte, dans le convoi qui se dirige vers les champs de bataille de Palestine.
Retrouvant ses amies infirmières anglaises à l'hôpital de Gaza, elle y passe sa première nuit, à défaut d'un lit, sur la table d'opération.
Alors qu'elle est chargée de transporter des personnes entre l'hôpital et le camp, sa voiture tombe fréquemment en panne ; le jour où un général français en tournée d'inspection y a pris place, elle doit faire appel à des soldats sénégalais pour la faire démarrer en la poussant dans une pente.
Le commandant Lotte insiste pour la conserver comme chauffeur, alors qu'on lui impose la patronne d'un groupe de 8 femmes chauffeurs anglaises, nouvellement arrivées. Ses amis lui attribuent un surnom, comme c'est la coutume pour tous les Légionnaires, alors qu'elle n'appartient pas à la Légion : La Miss.
Elle prend place, après les voitures du Quartier Général, dans un nouveau convoi important qui se dirige vers la Syrie, en passant par Tel Aviv. Le moteur de la voiture chauffe de manière inquiétante, dégageant des flots de vapeur. Au sommet d'une route de montagne, le convoi est mitraillé et bombardé par des avions de la Luftwaffe.
Dès l'entrée en Syrie, les combats s'engagent avec les Français de Vichy qui contrôlent ce pays. Le commandant en chef, le colonel Magrin-Vernerey dit Monclar, refusant cet affrontement, est remplacé par son adjoint, un colonel alsacien de 43 ans, Pierre Kœnig. Dans l'intense chaleur du mois d'août, les combats repoussant les alliés de l'Allemagne jusqu'à Damas sont très meurtriers.
Le chauffeur du docteur Godou
L'ambulance du docteur Lotte, qu'il a confiée à un autre chauffeur de la Légion afin de préserver Susan des dangers des routes truffées de mines, en heurte une : le motocycliste d'escorte est tué ; le médecin est grièvement blessé. Son adjoint, qui le remplace, autoritaire et misogyne, exige de conduire lui-même la vieille voiture Humber, transportant Susan afin qu'elle effectue les réparations que nécessitent sa conduite rapide et dangereuse.
Elle est épuisée par le travail dont il l'accable et par son attitude. Toutefois, c'est lui qui craque devant son refus persistant de le laisser conduire.
Le chauffeur du colonel Kœnig
Le 17 juin, le médecin la chasse de la voiture, lui annonçant une nouvelle affectation. L'adjudant Travers se retrouve seule avec ses outils et ses affaires personnelles devant le colonel, qui lui déclare : "Vous serez mon nouveau chauffeur". Le docteur Godou n'a pas réussi à la faire renvoyer lorsqu'il est allé se plaindre de ses services ; le colonel Kœnig avait besoin de remplacer son propre chauffeur, tué la veille !
Une autre Humber, modèle 38, lui est confiée. Le quartier général s'installe à Nazareth. Y arrivant tard, épuisée après la traversée d'un pont miné, le colonel lui prête son lit pour la nuit, qui sera courte : elle doit changer un pneu crevé. Le soir, elle s'isole dans une étable en ruines, avec sa baignoire pliante et un savon pour se laver dans l'intimité. Elle chasse les hommes qui s'y trouvent ; ils sont des prisonniers de guerre qui y ont été enfermés.
Quelques jours plus tard, suivant en convoi le général Catroux et son état-major, elle parcourt avec le colonel, dans un silence de plomb, les rues poussiéreuses de Damas, qui vient d'être prise. Croyant souffrir d'une grippe intestinale, elle se rend à l'hôpital où une hépatite est diagnostiquée. Elle est hospitalisée dans un vieil établissement puis dans un autre, moderne et propre, financé et dirigé par une américaine, Lady Spears. Craignant de perdre son emploi, elle reçoit la visite de Légionnaires soignés dans le même hôpital et d'amis, qui lui apportent des nouvelles du front où les combats font d'énormes pertes.
Un beau matin de juin, elle a la surprise de voir entrer dans sa chambre le colonel Kœnig, qui vient s'informer de son état de santé, en lui apportant des chocolats qu'elle n'a pas le droit de manger. Remplacée provisoirement par un chauffeur civil, elle ne s'inquiète plus pour son emploi, recevant dans les deux semaines suivantes des fleurs, une corbeille de fruits et des livres choisis avec soin par le colonel, montrant ainsi sa sensibilité. Il revient la voir plusieurs fois et lui propose de dîner ensemble lorsqu'elle sera complètement rétablie.
A sa sortie, c'est à un déjeuner qu'il la convie puis à une promenade avant de l'installer à l'Orient Palace Hotel. La voiture fonctionne mal ; le colonel l'avait conduite ! Son repos est de courte durée : ils doivent rejoindre Beyrouth, où Pierre Kœnig est transféré avec son état-major comme négociateur d'un armistice avec les Français de Vichy.
Michel Kohn
Quatrième partie
Michel Kohn
Quatrième partie