Susan Travers, une femme anglaise
dans la Légion (deuxième partie)
Un premier retour en arrière nous expliquera sa quête d'un coquetier.
La reconquête, du Garigliano à l'Alsace
La campagne de libération de l'Italie
En avril 1944, les Français libres détachés auprès de la 5ème armée américaine à Bizerte en Tunisie sont transportés à Naples. Leur rôle sera de chasser les Allemands de la péninsule italienne, sous le contrôle du Maréchal Juin.

Les femmes ne sont pas autorisées par les Américains, mais se cachant les cheveux et se dissimulant dans son uniforme américain, Susan qui accompagne la 13ème Demi-Brigade de la Légion Etrangère (DBLE) depuis le début de la guerre, s'embarque avec elle.
Elle sera bientôt acceptée et employée comme "conductrice" d'un général, cette fois-ci américain, après avoir été le chauffeur d'un général français. Elle conduit ensuite une ambulance, transportant des blessés français et américains des champs de bataille jusqu'aux hôpitaux de campagne.
Un pont du souvenir

Le pont du Garigliano, le plus long pont de Paris sur la Seine, reliant les boulevards extérieurs Victor et Exelmans, remplace depuis 1966 l'ancien viaduc d'Auteuil. Il célèbre la bataille de Monte-Cassino, en Italie, en mai 1944.
Le Garigliano, que la plupart des Franciliens ne connaissent aujourd'hui que par cet ouvrage, est en fait une petite rivière séparant les provinces italiennes du Latium et de Campanie.
Le 11 mai 1944, les français y font une percée décisive dans une zone montagneuse, sur des routes étroites et tortueuses, truffées de mines, où les chars américains ne passent pas.

Susan passe ses journées à conduire une voiture Dodge, aménagée en ambulance, sur des routes rendues impraticables par la pluie et minées, au milieu des ruines.
Seule et isolée, elle trouve difficilement le sommeil la nuit, recroquevillée à l'arrière de son véhicule.
En cette période très noire, elle se rappelle les moments heureux de sa vie antérieure ; le luxe et le confort lui manquent : elle rêve d'un lit moelleux, de l'eau courante, de l'odeur de fleurs fraîches, d'un repas plantureux dans un restaurant chic. Elle se met en tête de satisfaire un besoin modeste : manger un œuf frais dans un coquetier. Accompagnée d'un jeune légionnaire, elle parcourt les décombres des villes italiennes traversées à la recherche d'un coquetier, devenu son idée fixe. Parfois, elle offre à des paysans, minés par la faim et la pauvreté, un salami, un parmesan ou des bouteilles de vin qu'elle a découverts dans les gravats de cuisines ou d'épiceries.
La libération de Rome
Les environs de Rome sont atteints en juin 1944. Susan fête avec quelques officiers des Français libres la prise de la capitale italienne ; comme Paris deux mois plus tard, elle garde sa beauté et ses monuments historiques grâce à la désobéissance des officiers allemands, qui ont reçu l'ordre de la détruire.

Susan rejoint la région de Tivoli, libérée par les Légionnaires ; dormant toujours dans son ambulance, elle prend ses repas avec un médecin et un dentiste, pourvu d'un grand sens de l'humour et d'un sourire magnifique : c'est lui qui ouvrira, après la guerre, des cabinets dentaires à Poissy et à Villennes.
Retour à Naples
Le Corps expéditionnaire français, continuant à marcher vers le nord, est bientôt envoyé dans un camp près de Naples. Les Légionnaires sont amers, après le débarquement en Normandie, de ne pas être les premiers soldats français à fouler le sol de notre pays. Un quart d'entre eux ont été tués ou blessés pendant la campagne de libération de l'Italie.
Susan retrouve une habitation : une petite tente.

On lui confie un nouveau véhicule à conduire, un énorme camion américain GMC.

Elle s'embarque bientôt avec lui, sur un liberty ship, qui les transporte avec ses compagnons de la Légion à Cavalaire-sur-Mer près de Saint-Tropez.
La reconquête de la France
Après une nuit sur la plage, dans l'attente du déminage, les habitants de Hyères les accueillent avec joie. L'Opération Anvil commence, les Légionnaires étant toujours rattachés à la 5ème armée américaine. Au volant de son gros camion, Susan suit le corps expéditionnaire français au cours de la Bataille de Provence (prise du Mont des Oiseaux), puis de la libération des villes de Toulon, Avignon et Lyon. Après la bataille d'Autun, une ambulance anglaise, difficile à manier, lui est confiée. Elle conduit parfois également la Citroën du commandant de la compagnie.
De septembre à novembre 1944, les Vosges puis les villes de Belfort et de Mulhouse sont atteintes. Les pertes humaines de la 13ème DBLE sont importantes, avec de nombreux cas de gelures. C'est alors que Susan est promue adjudant-chef pour son rôle dans la Légion.
L'Alsace est ensuite reconquise. Alors qu'elle est autorisée à dormir dans une maisonnette des environs de Colmar, sa chambre se trouve transformée en morgue par deux brancardiers qui en ont reçu l'ordre ; ils ne manquent pas d'humour, en la quittant : "Cette nuit, ces hommes ne risquent pas de vous embêter."
Les derniers mois de la campagne, dans un froid intense, sont parmi les plus durs.

Son béret enfoncé sur les oreilles, Susan continue à conduire des ambulances ainsi que d'énormes engins transportant des obusiers entre les congères, sur des routes verglacées à 30 kilomètres de la ligne de front.
Elle s'arrête parfois pour traire des vaches squelettiques, abandonnées dans les pâturages.
En route, on lui remet l'ordre de l'Armée :
“Sous-officier de qualité exceptionnelle, ayant fait preuve d'une abnégation et d'un dévouement émérites. Elle s'est ralliée à la cause des Français libres en 1940 et a pris part, depuis cette date, à toutes les campagnes. Toujours prête pour les missions les plus risquées sans jamais songer au danger encouru, elle a manifesté un sang-froid sous le feu qui a suscité l'admiration de ses camarades Légionnaires. En toutes circonstances, elle fut un exemple des plus belles qualités de la Légion. Toujours prête à se porter volontaire pour ramener les blessés des premières lignes, son courage fut une nouvelle fois salué par tous au cours des huit jours de combats très difficiles à Elsenheim, du 22 au 30 janvier 1945. Elle travailla nuit et jour dans la neige et la boue, sous le feu de l'artillerie, les mortiers et les attaques meurtrières de l'infanterie.”
Le jour de l'armistice, le 7 mai 1945, le corps expéditionnaire, qui a quitté les montagnes glacées, se trouve à nouveau dans le climat plus clément de la Côte d'Azur ; l'objectif est d'éliminer les dernières poches de la résistance allemande au nord de Nice.
Michel Kohn
Michel Kohn