La libération de Villennes (1/3)
: la tragédie du Mas de Breteuil
Fin août 1944, alors que la ville de Paris se libérait et que la fin des hostilités étaient très proche dans notre département, un habitant de Villennes et un Pisciacais y ont trouvé la mort et deux autres, très grièvement blessés, ont survécu à un moment d’enfer !

Tino Belluzzi et sa caméra
Cet événement tragique a été relaté par Collatino Belluzzi, qui en a été, partiellement, le témoin ; parcourant le village et ses hauteurs, notamment pour se rendre sur son terrain du chemin des Groux où il cultivait des légumes, il cachait sa caméra Pathé 9,5 mm, qu'il portait sur lui au péril de sa vie jusqu'à l'arrivée des Américains.
Ceux qui ont bien connu ce témoin de la libération de notre village dans le cadre de sa profession d'ébéniste ou de ses activités de professeur de tennis puis de directeur sportif de deux clubs de tennis villennois l'appelaient Tino.
Cliquez ici pour voir le film Villennes 44, réalisé par Jérôme Pinsembert et Christophe de Lafosse à partir de témoignages de Tino Belluzzi et des séquences filmées par lui (32 mn).
Quatre otages sont capturés et fusillés dans la cave du Mas de Breteuil
Le matin même de l'arrivée des Américains, le 25 août, suite à une attaque des FFI sur des véhicules de l'ennemi sur la route de Vernouillet, les Allemands sont à la recherche d'otages. Quatre officiers, circulant dans leur véhicule sur le chemin des Groux échangent des coups de feu, au niveau du Bois des Falaises, avec des jeunes résistants qui cherchent à récupérer des armes dans la propriété de Fauveau. Deux d'entre eux, Michel et Jacques Jeunet, sont capturés et chargés les bras en l'air, tenus en joue, dans le véhicule qui revient peu après vers la ferme de Marolles. Il s'y arrête devant Alfred Boursinhac et Adolphe Gerha, alsacien, interprète de la mairie de Villennes, qui vraisemblablement souhaite intervenir. Après quelques minutes de discussion, ils sont, à leur tour, poussés dans le véhicule.
Les quatre otages sont conduits dans une maison du hameau de Breteuil, nommée Le Mas de Breteuil, où ils sont enfermés dans la cave.

Les Allemands jettent des grenades à travers le soupirail et fusillent les quatre hommes. Rodolphe Gehra et Michel Jeunet meurent sur le coup. Jacques Jeunet et Alfred Boursinhac sont très grièvement blessés ; ils survivront mais devront subir une longue période d'hospitalisation.

Alfred Boursinhac
Selon le témoignage ultérieur de son fils, Alfred Boursinhac avait reçu 17 éclats de grenades et 2 balles de mitraillette.
Le rapport officiel de l’assassinat
Nous avons retrouvé le rapport qui fut rédigé pour relater cet acte de barbarie. Malgré les détails des scènes horribles qu'il nous restitue, nous l’avons transcrit intégralement (en respectant l'orthographe).
Rapport de l'assassinat de Messieurs Rodolphe GEHRA, Michel JEUNET
et la tentative de Messieurs Jacques JEUNET et Alfred BOURSINHAC
et la tentative de Messieurs Jacques JEUNET et Alfred BOURSINHAC
Le 25 Août 1944 vers 12 Heures une automobile Allemande passe à coté des frères JEUNET qui circulaient sur la route Nationale 190 lorsqu'ils essuyent des coups de feu ; des personnes qui se trouvaient aux environs se sauvent à travers champs, les frères JEUNET se jettent dans le fossé ainsi que les Allemands qui avaient descendu. Le calme rétabli les Allemands firent monter les frères JEUNET en voiture en les menaçant de leurs revolvers et les obligèrent à tenir leurs bras levés après leur avoir dérobé leurs papiers et leur argent.
Environ 1 kilomètre plus loin, ils rencontrent M.M. Rodolphe Gehra et Alfred Boursinhac qui rentrent à leur domicile, ils les obligent également à monter en voiture et les conduisent à leur cantonnement qui se trouvait dans un immeuble situé à Breteuil et dénommé "Le Mas de Breteuil". Ils les ont fait descendre tous les quatre dans la cave où ils ont été enfermés à clefs par le sous-officier Joseph ZIMMER. Rodolphe Gehra qui était employé à la Mairie en qualité d'interprète essaye de parlementer, mais sans succès. Il lui fut répondu qu'ils allaient les tuer et leur écraserait la tête à coups de crosse. M.M.Gehra et Jeunet se sont évanouis.
Vers 13 h. 30 après avoir mis hors d'usage à coups de grenades une voiture automobile Peugeot qu'ils n'avaient pu mettre en route appartenant à Monsieur Gevrey, architecte à Médan qui a entre les mains un bon de réquisition signé par l'officier ils jetèrent les grenades par les soupiraux de la cave.
Alfred BOURSINHAC réussit à saisir une grenade et à la lancer à quelques distances de lui. Les Allemands en lancèrent d'autres et au bout de quelques instants ils furent tous atteints, mais non satisfaits les Allemands tirèrent par les soupiraux à coups de mitraillettes et de mitrailleuses comme le prouvent les douilles de différents calibres trouvées sur place. Les habitants de la maison d'en face, M. et Mme Johannet, rue de la Croix, furent sommés de rentrer chez eux et mis en joue. Mesdames Perrot et Berthelot ont été enfermées dans une salle contiguë à la cave, elles ont été libérées par un soldat Allemand qui leur a dit de s'éloigner.
Les Allemands remontèrent en voiture et quittèrent définitivement leur cantonnement, se dirigeant sur Poissy. A ce moment les voisins pénétrèrent dans la cave, trouvèrent Monsieur Rodolphe GEHRA tué, Monsieur Michel Jeunet tué, Monsieur Jacques Jeunet grièvement blessé, Monsieur Alfred BOURSINHAC portait de nombreuses blessures mais ne paraissait pas grièvement atteint, il a subi une forte commotion cérébrale mais est aujourd'hui hors de danger.
Tous étaient couverts de nombreuses blessures, éclats de grenades et balles, certaines ont pénétré par la plante des pieds, ce qui implique forcément que les Allemands tirèrent encore lorsque leurs victimes étaient tombées.
Le supplice de ces malheureux a été atroce, ils ont été une heure sous la menace de la mort. Gehra était tombé la face contre terre et ses ongles avaient pénétré dans le sol ; le masque horrifié de Michel Jeunet qui était tombé le buste appuyé dans l'angle des murs de la cave démontrait aussi les souffrances subies.
Ces crimes odieux commis sans aucune raison militaire ne s'expliquent même pas par les vengeances, aucun attentat n'a été commis sur le territoire de Villennes les jours qui ont précédé rien ne pouvait faire supposer aux Allemands que leurs victimes appartenaient à un groupement de résistance, les frères Jeunet leur étaient inconnus ils savaient pertinemment qu'ils n'étaient pas armés et que ce n'était pas eux qui avaient tiré puisqu'ils étaient sur la route à même hauteur qu'eux. Gehra était en contact avec eux par sa fonction d'interprète le matin même vers 10 heures 30. Ils l'avaient conduit à Villennes, avec une chenillette pour une réquisition. Boursinhac leur était connu comme habitant du hameau où ils cantonnaient.
L'officier commandant le détachement été entré chez lui à plusieurs reprises ; il avait causé à sa femme, donné des bonbons aux enfants et dit qu'il était lui même père de 6 enfants.
L'auteur de ce rapport quittant en ce moment son objectivité ouvre une parenthèse et croit devoir faire remarquer aux lecteurs le contraste énorme qui existe entre l'attitude correcte bienveillante même de cet officier et de sa cruauté foncière. Il cause simplement parle de sa famille donne des bonbons aux enfants et n'hésite pas peu de temps après à faire de ces enfants des orphelins. Cela démontre bien que contrairement à ce que certains ont pu penser en 1940, les Allemands ne sont pas après tout des hommes comme les autres.
Aucun doute n'est possible il ont tué pour le plaisir de tuer, aucun allemand n'était ivre, tous, Officier, Sous-Officier et soldats ont participé au meurtre. L'officier fait arrêter la voiture près de Monsieur ROBOT, habitant de Breteuil, sans doute avec le désir de l'emmener également, après quelques minutes de réflexion il a dit au chauffeur de continuer, a-t-il pensé que quatre victimes suffisaient ? Cela démontre bien que c'est lui qui a décidé de tuer. Le sous Officier a fermé la porte de la cave et les soldats ont tué.
Les victimes sont :
tué Rodolphe GEHRA, Alsacien, sous-officier retraité laissant Veuve et deux enfants.
tué Michel Jeunet, célibataire 18 ans.
blessé Jacques Jeunet marié père d'un enfant, 23 ans grièvement blessé.
blessé Alfred Boursinhac, père de 7 enfants, frère prisonnier actuellement.
tué Rodolphe GEHRA, Alsacien, sous-officier retraité laissant Veuve et deux enfants.
tué Michel Jeunet, célibataire 18 ans.
blessé Jacques Jeunet marié père d'un enfant, 23 ans grièvement blessé.
blessé Alfred Boursinhac, père de 7 enfants, frère prisonnier actuellement.
L'identité au sous Officier a été établie de façon formelle, par sa carte d'alimentation oubliée dans la chambre qu'il occupait à Breteuil. Aucun Allemand n'a logé avant ni après dans cette chambre. L'identité de l'officier peut-être établie par le bon de réquisition qui est entre les mains de Monsieur Gevrey. Le détachement appartenait à un service portant le numéro 23.677.
Ce rapport a été signé par Monsieur Téoullier, Maire de Villennes, qui a fait les constatations d'usage par le Commandant Beaugé qui a assisté à l'ensevelissement des corps par le Docteur Fauvel qui a apporté les soins aux blessés et qui a constaté les décès, par Madame de Bellefontaine, Conseillère Municipale et Secouriste qui a participé à l'ensevelissement des victimes et par Monsieur Parigot, Adjoint qui a assisté à l'enlèvement des corps ainsi que Mesdames Berthelet Perrot et Daniel qui ont assisté à l'enlèvement des corps et à leur ensevelissement.
Après lecture faite ont signé et déclaré sous la foi du serment qu'il exprime l'exacte vérité.
Villennes S/Seine le 14 Octobre 1944.
Une plaque a été apposée à l'entrée du Mas de Breteuil, pour rappeler cet épisode tragique.


Une autre a été placée au cimetière, en souvenir de Rodolphe Gehra.
Une rue de Poissy porte le nom de Michel Jeunet.
Une rue de Poissy porte le nom de Michel Jeunet.