Alfred Chauchard dans la presse
de son époque
Ce document contient les annexes de l’article sur Alfred Chauchard, célèbre Muriautin fondateur et propriétaire des Grands Magasins du Louvre, qui lui ont apporté une fortune colossale.
Annexes
1. Article dans Le Gaulois (17/12/1884) : Alfred Chauchard se retire des affaires
M. CHAUCHARD
Hier, je fus abordé par un ami, grand conteur d'histoires parisiennes, qui sait tout ce qui se passe, et même tout ce qui ne se passe pas. Il me dit :
- Vous savez la nouvelle ?
- Mlle de B.?
- Eh ! non, c'est vieux déjà de trois heures, cela.
- Le mariage de R.?
- Mais c'est de l'histoire ancienne : cela date d'hier.- Alors quoi ?
- Eh bien, M. Chauchard a résolu de se retirer des affaires. Il veut quitter le gouvernement de ce peuple qui est le Louvre. Et, là-dessus, il s'en fut conter la nouvelle à un autre.
Il faut parfois se méfier des nouvelles que l'on colporte ainsi mais, renseignements pris, celle-ci était exacte. Connaissez-vous quelque chose de plus vraiment parisien que ces Grands Magasins du Louvre, et y avait-il dans Paris un personnage plus sympathiquement connu que leur propriétaire ? Homme d'initiative, travailleur acharné, économiste distingué, parfait gentleman, M. Chauchard est tout cela. On ne fait peut-être pas assez attention à ce qu'il faut de qualités éminentes, de connaissances spéciales, d'activité prodigieuse, d'imagination toujours en éveil, de tension intellectuelle, pour conduire une maison comme le Louvre. Quelqu'un me disait, un jour : « Je ne sais pas pourquoi on va toujours choisir les ministres parmi les députés et les sénateurs, qui ne savent rien que parler pour ne rien dire et pour ne rien faire. On devrait les prendre parmi les grands commerçants, tels que les Boucicaut et Chauchard. On aurait au moins des hommes pratiques, rompus à toutes les affaires, qui savent ce que c'est que de mener un personnel. Car croyez bien qu'il est plus difficile de conduire une maison comme le Bon-Marché et le Louvre qu'un ministère et qu'il y faut déployer plus d'intelligence et de fermeté. »Ce quelqu'un avait raison. Mais la République s’embarrasse peu de diriger les affaires du pays : elle aime mieux servir ses créatures et ses rancunes, et elle fait bon marché de la richesse de la France, pourvu qu'elle puisse politicanailler à son aise.
Tout le monde connaît M. Chauchard. De taille moyenne et bien prise, la figure très jeune quoiqu'elle soit encadrée de favoris blancs, la mise soignée et toujours élégante, l'abord affable et souriant, M. Chauchard n'a que des amis. Il faut à des initiateurs comme ceux-là des organisations spéciales et des natures exceptionnellement douées, car représentez-vous l'effrayant travail et la plus effrayante encore responsabilité d'un homme sur la tête de qui repose le poids d'un monde. M. Chauchard, qui était fier de sa création, fier des succès rapides obtenus, est de ceux qui pensent que, lorsque le succès reste stationnaire, la dégringolade est près ! Aussi voulait-il que les succès allassent toujours grandissants. Ayant à s'occuper de l'administration intérieure, tenant à avoir l'œil du maître partout, il fallait, par surcroît, qu'il se préoccupât des mille détails de l'extérieur, et voyez tout ce que cela comporte. Il fallait non seulement se tenir au courant du progrès, dans toutes les innombrables branches de l'industrie et du commerce modernes, il fallait aussi les devancer, les protéger, les faire surgir, comme par enchantement. Rien de ce qui se fait, s'invente, brille un jour et le lendemain disparaît, ne devait lui être étranger, même les plus fugitives manifestations de la mode et du goût. M. Chauchard trouvait le temps de tout faire, de veiller à tout, et encore, le travail fini, de conduire au Bois son magnifique phaéton, attelé de deux chevaux admirablement mis et qu'enviaient tous les connaisseurs. Car il y a, dans ce travailleur, un fin, charmant Parisien, et un amateur enragé de sport. M. Chauchard sait mener de front toutes choses, ce à quoi se reconnaissent les natures d’élite. Personne n'est plus charitable que lui, et nos lecteurs savent que, chaque fois que nous lui avons signalé une infortune, M. Chauchard était toujours le premier à y répondre, et avec quelle générosité M. Chauchard quitte le Louvre, au printemps prochain, dit-on et dit-il.
Mais sera-ce son dernier mot ? Ce qu'on fait si bien, il semble qu'on doive continuer toujours à le faire. Du moins, s'il persiste à se retirer, le nom de son successeur reliera intimement l'avenir au passé, car ce successeur ne serait autre que le commandant Hériot, le frère et l'héritier d'Hériot Ier, l'associé de
M. Chauchard, celui qui fonda fraternellement avec lui ce grand empire des magasins du Louvre. Hériot Ier, ce brun, si vif, si intelligent, si laborieux, que la mort saisit tout jeune, en pleine victoire, a laissé un frère, et ce frère succéderait à M.Chauchard. Le commandant Hériot vivait retiré dans son château, près d'Epernay, ne s'occupant que de bonnes œuvres et d'entreprises humanitaires. Il avait récemment installé, entre autres, une école de sourds-muets. Eh bien, c'est lui qui prendrait, sans rien abandonner de ses fondations récentes, le commandement de cette maison du Louvre, berceau de la fortune, dont il fait un si noble usage. D'ailleurs, on peut imaginer qu'en se retirant du Louvre M. Chauchard y gardera de grands intérêts, et aussi une grosse influence. Les traditions qu'il y avait implantées y demeureront comme par le passé, et je serais fort étonné si, à de certains moments, il ne revenait pas jeter encore le coup d'œil du maître, et donner à son successeur les bons conseils de sa vieille expérience. M. Chauchard laisse aussi à
M. Hériot M. Faivre, un collaborateur précieux, par son intelligence, son activité, et l'amabilité de ses manières.Le Roi n'est pas mort, vive le Roi !
TOUT-PARIS
2. Article dans Le Figaro (13/2/1891) : la collection d’Alfred Chauchard
COURRIER DE PARIS
Il était écrit dans le livre du Destin que M. Chauchard ferait toujours grand. Après les grands magasins du Louvre, il établit maintenant dans son hôtel de l'avenue Vélasquez le Grand Dépôt des Peintres de 1830 ; on y trouve de la peinture à l'huile depuis trente mille francs la pièce jusqu'à dix mille francs le centimètre carré. J'ai vu faire et défaire bien des collections dans Paris, mais je n'ai pas encore vu une frénésie pareille, saisissant sur le tard un homme qui, il y a quarante ans, achetait des tableaux à trente francs la paire pour son logement sous les toits. Et le voici, à l'automne de sa vie, collectionnant en dix-huit mois pour deux millions de peinture ! Tout ce que les autres n'ont pas su ou pas pu garder entre à la galerie de l'avenue Vélasquez qui devient une sorte de sélection des fameuses collections, disparues les unes après les autres. Ici, c'est l’Angélus, retour d'Amérique, entre un Troyon de la vente Secretan et le Matin de Corot, de la vente Crabbe ; juste en face est le 1814 de Meissonier qui, depuis son origine, fut chez M. Delahante ; la Confidence que, la dernière fois, j'ai vue chez M. Silzer, à Londres, et plus loin la Fantasia de Fromentin, l'une des perles de la collection Defoër. Tous ces chefs-d'œuvre et bien d'autres encore sont maintenant chez l'ancien petit commis du Pauvre Diable qui, après douze années de services, gagnait deux mille quatre cents francs par an. C'est ce que donne M. Chauchard chaque jour à ses pauvres.En tout, je n'ai vu M. Chauchard que trois fois. M. Etienne Boussod me conduisit chez lui pour me faire voir deux tableaux qu'il avait rapportés d'Amérique et que je ne connaissais pas : un Millet de derrière les fagots et un Isabey comme on n'en voit pas souvent. La seconde fois, M. Chauchard, très ému par un de mes articles, ce dont je dois lui savoir gré, me remit dix mille francs pour l'œuvre du Pain pour tous dont
M. Ducoureau est le dévoué président. La dernière fois, j'ai rendu visite à
M. Chauchard pour revoir l'Angélus en l'honneur duquel il a fait frapper une médaille. Entre chacune de ces visites espacées, la collection s'était enrichie d'une toile nouvelle, d'un admirable Jules Dupré entre autres, déniché par mon confrère M. Garnier, un de ceux dont M. Chauchard écoute les avis ; ce sont tous des hommes très experts en la matière et qui peu à peu remplacent par des œuvres de premier plan les quelques toiles inférieures qui restent encore sur les murailles.C'est à la vente Secretan que M. Chauchard acheta le premier tableau des hommes dits de 1830. Jusqu'alors il n'avait possédé que de nombreuses œuvres de deux de ses amis, de Henner et de Roybet, l'artiste de si grand talent qui, ceci dit en passant, a de grands travaux commandés par le commandant Hériot. La clientèle qui a enrichi les Magasins du Louvre ne savait pas qu'elle travaillait, par ricochet, à l'encouragement de l'art français.Chez M. Chauchard, il y a toujours des Roybet et des Henner, mais ils ne sont plus seuls dans l'énorme galerie où l'on pénètre après une enfilade de salons remplis de bibelots, de marbres, de bronzes, de meubles rares et de merveilleuses tapisseries.L'hôtel de l'avenue Vélasquez était prédestiné pour héberger de la peinture : son premier propriétaire fut M. Krafft, ami intime de l'animalier Brascassat. Très découragé sur le tard, comptant terminer ses jours en paix, Brascassat songeait à liquider son atelier pour se constituer une rente viagère. M. Krafft intervint alors et se substitua à la Compagnie d'assurances ; on calcula la valeur de l’atelier et la rente viagère, et ce fut M. Krafft qui la servit à son ami et devint par ce fait le légataire universel de ses tableaux et études. Pendant des années, les seules œuvres de Brascassat remplirent donc la galerie de l'avenue Vélasquez. M. Hugues Krafft, le fils, les possède encore, je crois, mais il n'a plus l'hôtel. C'est l'ancien commis à deux cents francs par mois qui habite le palais, et si la porte ne s'ouvre pas facilement devant le visiteur, le propriétaire actuel jette, en revanche, l'argent par les fenêtres, et ce avec une telle profusion, que sans connaître au juste l'état de sa fortune, on peut croire que M. Chauchard est plutôt à son aise. Autour de la collection, une légende s'est déjà établie : on prétend que dans son esprit
M. Chauchard la destine au Louvre. Désolé de ne pouvoir renseigner le lecteur, mais quand on me reçoit de façon aimable dans une maison, je n'ai pas l'habitude de causer avec mon hôte de ses dispositions testamentaires, entretien qui toujours manque de gaîté, même avec un homme qui se porte comme un chêne.Le collectionneur de l'avenue Vélasquez ne m'a pas fait l'effet de penser beaucoup au néant des choses humaines. Au contraire, il me semble jouir avec une entière jovialité de l'infortune qui marque le soir de sa vie. Quand un homme est affligé d'un si colossal revenu et qu'il supporte si vaillamment l'adversité, c'est déjà un signe de supériorité. Je ne crois pas que M. Chauchard ait la moindre velléité de redevenir savetier, comme le personnage de la fable. Très vert, pétulant, on peut reconstituer facilement ce que l'homme fut dans sa jeunesse, un employé actif, remuant, avec une grande facilité de la parole pour brasser une affaire en un tour de main. Qu'il donne ou qu'il achète, c'est tant. Quand pour l'Angélus il a fixé le prix à sept cent cinquante mille francs, il aurait renoncé au tableau si on avait voulu lui soutirer cinquante centimes de plus.Jeune, M. Chauchard a dû être très persuasif, très entraînant même dans les affaires, et c'est ce qui explique comment il a fait sa trouée. Avec son futur associé Hériot, il s'arrêta un jour devant l'Hôtel du Louvre en construction et lui dit :
- Si nous faisions fortune au rez-de-chaussée de cette bâtisse !
- Comment, sans le sou ? - Parfaitement. - Mais où trouver l'argent ? - Chez le seul homme qui ait un intérêt à faire de l'Hôtel du Louvre un centre vivant de Paris.
- Chez M. Pereire, alors ? - Chez lui-même. Allons-y !
Et ils partirent. Entrés dans le cabinet du célèbre financier comme deux pauvres diables en quête d'une position, ils en sortirent avec les fonds nécessaires, prélude des millions à venir.Le tout est à Paris d'avoir une bonne idée et de trouver un homme riche assez intelligent pour la comprendre. Ce ne sont pas les millionnaires qui manquent, mais les Pereire sont rares.Dans la fortune, l'ancien petit commis du Pauvre Diable est resté fidèle à ses souvenirs de jeunesse ; dans son palais il ne reçoit pas seulement les hommes arrivés, mais encore les amis de jadis qui n'ont pas eu de chance et qui montent toujours sur l'impériale des omnibus. Je n'étais pas venu chez M. Chauchard pour lui faire subir les angoisses de l'interview, mais tandis que, assis à ses côtés devant l'Angélus, je le tenais, j'aurais bien voulu le faire jaser. Peine perdue, l'homme est fermé comme un cadenas, très accueillant, mais très décidé aussi à ne pas se livrer. Je ne veux décourager personne, mais ceux qui espéreraient le surprendre et placer chez lui au prix, fort quelques tableaux douteux, y perdraient leur temps.Tout collectionneur traverse toujours trois phases : pendant la première, il achète pour dépenser de l'argent ; pendant la seconde, il s'éprend d'amour pour la peinture et, dans la dernière, enivré par l'éclat que lui donne sa collection, il se juge plus fort que tout le monde. Très simple et très modeste, M. Chauchard est dans la deuxième phase où l'on s'attache à ses tableaux, où on les aime véritablement, non seulement pour le chic et le chèque, comme on chantait dans une pièce des Variétés, mais pour le plaisir qu'ils donnent. Mais il a, pour suppléer aux connaissances qui peuvent encore lui manquer en partie, des hommes très entendus qui le guident. J'ai déjà nommé
M. Garnier. Je crois aussi que M. Etienne Boussod a une grande influence sur
M. Chauchard. C'est le marchand de tableaux fin de siècle, jeune, correct, très fin, blond et froid comme un Anglais et qui ne s'emballe pas souvent. Un troisième, enfin, le plus influent de tous, et qui appelle un croquis rapide : il s'appelle Bague ; pour la forme, il occupe rue de la Chaussée-d'Antin un magasin au fond de la cour. Ce n'est point un modèle d'élégance avec son pantalon à la houzarde et son chapeau mou d'Auvergnat, qui lui donnent une allure de charbonnier ; à le voir, on ne lui prêterait pas cent sous. Mais il a fait une belle fortune dans le commerce des tableaux ; il est remarquablement intelligent et un des plus fins connaisseurs de Paris, je lui rends volontiers cette justice.C'est donc dire que la galerie de l'avenue Vélasquez est triée sur le volet, et que dans quelques années, si cela continue, elle sera l'une des plus belles et des plus complètes qu'on ait vues dans Paris. Quand on aime les arts, on sait toujours gré à un homme riche de retenir les belles œuvres près de nous, et cette fois, elles ne partiront plus.Autant que par ses tableaux, M. Chauchard occupe Paris par les dons qu'il répand avec une si véritable générosité. J'ai dit l'origine du collectionneur ; par les amis de
M. Chauchard et non par lui-même, je l'affirme, je sais comment lui est venu le goût du bienfait : il est né du retour dans le passé d'un homme colossalement riche, qui a été un humble au départ ; il s'est souvenu, dans son opulence, des autres qui, moins heureux que lui, sont restés en route ; il a commencé par donner à toutes les caisses de secours de ceux qui représentent les années de travail et de lutte pour la vie ; c'est aux employés des magasins de nouveautés et aux voyageurs de commerce, qu'il a pensé avant tout.Le plaisir qu'il a trouvé à les secourir l'a engagé à continuer. Et ces dons se chiffrent par des rentes de dix mille francs, ce qui semble être l'unité de
M. Chauchard. Je ne crois pas faire offense à M. Chauchard en disant que, dans sa carrière commerciale, il n'a pas toujours eu le temps de suivre le mouvement des lettres. N'empêche qu'au premier appel de M. Hamel, président de la Société des Gens de Lettres, il constitua un revenu de dix mille francs à nos malheureux. Tout ceci, ajouté à l'amour des tableaux, qui me touche toujours, me plaît et j'éprouve un grand plaisir à le dire.Paris est sceptique, potinier et railleur. On ne peut pas sortir de la foule sans devenir aussitôt l'objet d'analyses diverses. Je dois donc enregistrer ici la dernière phrase que M. Chauchard m'a dite quand j'ai pris congé de lui : Ma galerie vous sera ouverte quand vous voudrez ; en revanche, je vous demande comme un service de ne pas parler de moi dans le journal. Je ne veux pas avoir l'air de faire de la publicité comme au temps où j'étais dans les affaires.M. Chauchard a le droit de se soustraire aux interviewers. Mais il oublie que j'ai, moi, le devoir de parler au public de ce qui peut l'intéresser, et pourvu que je respecte la vie privée des hommes en vue, je n'ai pas besoin de leur autorisation pour m'occuper d'eux. Il m'a semblé curieux de montrer le collectionneur dans sa galerie. C'est le dernier qui nous reste, les autres ont tout liquidé, tout vendu au dernier printemps. Tant mieux ; la nudité de leurs murs leur donnera peut-être l'idée d'occuper les peintres vivants, l'art de demain.Albert Wolff.
3. Extrait d’un article du quotidien Le Temps (6/6/1909) : portrait d’Alfred Chauchard, sa maladie et son décès
M. Chauchard, qui avait le génie commercial, avait aussi ses petites manies. Voici l'une d'elles il portait constamment dans ses poches un marron d'Inde et deux pommes de terre.Suivant une superstition populaire, en effet, le marron d'Inde préserve des maladies, et les pommes de terre sont des fétiches qui conjurent la mauvaise fortune.
M. Gaston Calmette, qui fut un des familiers de M. Chauchard, cite dans le Figaro certains traits qui fixent heureusement la physionomie de ce grand commerçant.Le geste était bref, le langage nerveux et mordant, souvent traversé d'une pointe d'humour, la mémoire était prodigieuse et sans défaillance et la passion avec laquelle il imposait son opinion, ses convictions ou ses enthousiasmes nous stupéfiait tous et nous charmait. Il était resté, malgré son départ, le commerçant par excellence : le maniement des affaires avait d'ailleurs développé en lui l'esprit pratique au plus haut point ; et quand il pouvait encore, par une habile conversation, décider un ami à aller acheter au Louvre un flacon d'eau de Cologne ou une paire de gants, il lui semblait que sa journée n'était pas perdue. Cependant avant de se réjouir, il se renseignait discrètement pour s'assurer que l'acquisition promise avait été faite.C'est, ajoute
M. Gaston Calmette, avec cette persistante opiniâtreté que s'édifient les grosses fortunes. A de fréquentes heures, il était même, au milieu de ses richesses, l'un des plus à plaindre parmi les humains.Depuis trente ans, en effet, à la suite de cette existence de travail incessant et de préoccupations constantes, il avait été atteint d'une sorte d'eczéma qui peu à peu avait gagné tout le corps, l'envahissant depuis les pieds jusqu'aux mains. Pour essayer de calmer d'intolérables démangeaisons, il passait des nuits entières à s'arracher la peau. On lui retenait les mains, on lui prodiguait tous les remèdes possibles ; mais les plaies promptement rouvertes n'avaient jamais le temps de se cicatriser, et c'était au milieu des cris de souffrance, dans des insomnies torturantes, qu'il attendait l'arrivée du jour bienfaisant, car le jour seul lui accordait un peu de répit.Mais il y a quelques semaines, l'alimentation du malade devint impossible ; l'intestin était paralysé ; il ne pouvait plus absorber qu'un peu d'eau de Vichy.Chauchard n'en conservait pas moins, pendant les trente premiers jours, toute sa lucidité ; il tenait à recevoir ses intimes ; il échangeait avec eux des propos d'une intelligence parfaite ; il s'inquiétait de la santé ou de l'absence de ses amis, il réclamait même, comme autrefois, la venue quotidienne de son coiffeur, s'irritant à l'idée de laisser en désordre un seul jour ses beaux cheveux blancs ou sa longue barbe aussi éclatante que la neige.Le malade tomba il y a quinze jours dans le coma. Il succomba cette nuit sans avoir repris connaissance et sans souffrir apparemment.[...]
4. Article dans La Liberté (6/6/1909) : témoignage d’Henri Rochefort, la constitution de sa galerie de tableaux, sa biographie et des anecdotes
L'HOMMAGE D'HENRI ROCHEFORT
« Chauchard ! me dit le célèbre polémiste, mais c'était le plus charmant homme qu'on puisse imaginer.Très gai, toujours en train, exquis pour ses convives, il me fit souvent les honneurs de sa maison. Mais voilà ! depuis quelques années il s'était mis à recevoir toutes sortes de personnages officiels et, vous savez, ma tête ne va pas avec celle des ministres.Je m'en excusais auprès de Chauchard qui me répondait philosophiquement : « Je comprends ça ». Cependant c'était son faible, il aimait les honneurs : il les recevait avec une joie naïve.Rien d'ailleurs d'arrogant, en cet homme poli, soigné, paré de gilets rares, enveloppé d'étoffes très chères. Il possédait dans sa belle humeur une sérénité imperturbable. Parti de rien et arrivé à une fortune colossale, il avait conservé les manières simples de ses débuts.Son premier soin, quand je l'abordais était d'examiner de près et de palper l'étoffe de ma jaquette en me demandant où je l'avais fait faire et à combien elle me revenait. C'était un vieux souvenir de son ancien métier dont il se montrait tout fier.Rien d'artistique dans ses conceptions.
- Pourtant, mon cher maître, sa galerie de tableaux ?
- Il n'y connaissait absolument rien.Et quand des étrangers venaient admirer les trésors artistiques qu'il avait entassés, chez lui, il se sentait un peu gêné. « Vous qui aimez la peinture, me disait-il, montrez-leur ce qu'il y a de beau ». J'accédais, volontiers à ses désirs.Il m'a avoué que les chefs d'œuvre alignés sur ses murs lui coûtaient quatorze millions et il se reprochait de les avoir payés trop cher, à quoi je lui faisais observer qu'ils avaient, depuis l'époque où il les avait achetés, augmenté de prix dans des proportions considérables et que, si la fantaisie lui prenait de les revendre, il en tirerait une somme beaucoup plus forte, que celle de ses premiers débours.Sa collection va très certainement aller au Louvre, ce dont tous les amateurs d'art se réjouiront... - Quant au reste de sa fortune, cher maître, il va à des amis, à des œuvres charitables, à des fondations...
- Je suis rassuré, me dit en souriant Henri Roehefort, moi qui n'hérite pas. Je n’ai d’ailleurs jamais hérité ou plutôt si, tenez, une seule fois. Un brave homme de Saint-Mandé étant mort subitement, on trouva dans son bureau ces simples mots en guise de testament : « Ma femme et ma fille sont deux... rien du tout : je fais Henri Rochefort mon légataire universel... » Naturellement je n’acceptai pas cet héritage et je fus comblé de lettres élogieuses par les véritables héritiers qui s’étaient un instant crus dépouillés. Le plus joli c'est que lorsque je signai mon désistement - l'héritage s'élevait à plus de cent mille francs - le notaire voulut me faire paver l'acte. Je protestai énergiquement, ne voulant pas pousser plus loin le dévouement. Quant à Chauchard, les excellents souvenirs que je garde de lui me suffisent...
F. DE T.
LES DEBUTS DE M. CHAUCHARD
M. Chauchard avait quatre-vingt huit ans : i1 était né, en effet, le 21 août 1821 aux Mureaux (Seine-et-Oise).Tout jeune, il avait débuté dans le commerce comme employé au Pauvre Diable, où il gagnait bien petitement sa vie, quand il y rencontra un autre employé de commerce comme lui, M. Hériot, attaché au magasin A la Ville de Paris. Les deux jeunes gens conçurent l'idée de fonder un grand magasin de nouveautés, à proximité du Louvre, qu'ils songèrent tout de suite à baptiser les « Grands Magasins du Louvre ». Ils trouvèrent les capitaux suffisants, et, en 1855, ils mettaient leur projet à exécution. C’était au moment où la France inaugurait sa grande prospérité industrielle par la première exposition universelle de Paris, à 1’époque où Napoléon III, faisait percer la rue de Rivoli et commençait cette transformation de la capitale qui devait faire de Paris la ville incomparable qu'elle est devenue. MM. Chauchard et Hériot apportaient à l'entreprise commerciale un esprit d'organisation de premier ordre, une énergie à toute épreuve et infiniment de goût. Aussi les affaires de leur maison ne tardèrent pas à prospérer et valurent aux deux associés d'énormes bénéfices. Grâce à leur activité, le Louvre réalisa souvent en un seul jour une recette trois fois supérieure à son capital initial, qui était de un million cinquante mille francs, divisé en 420 actions de 2.500 francs chacune. M. Hériot mourut à la peine en 1879.
M. Chauchard continua pendant quelque temps encore à assumer seul la direction des magasins. Cependant, en 1885, il se retira définitivement.
LE COLLECTIONNEUR
C’est alors que M. Chauchard se consacra tout entier à son goût de collectionneur. Dans son magnifique hôtel de l'avenue Vélasquez, il réunit petit à petit cette fameuse collection de tableaux et d'objets d’art que l'on cite comme l'une des plus considérables, des plus riches et des mieux composées. M. Chauchard possédait toute une série de Corot, de Diaz, de Daubigny, de Decamps, d'un prix inestimable. C'est lui encore qui avait l’Angélus de Millet, estimé sept cent mille francs : la Bergère et son troupeau, du même artiste, estimée un million ; il pouvait encore montrer dans ses galeries toute cette suite de Meissonnier dont les chefs d'œuvre sont 1814, d'une valeur de cinq cent cinquante mille francs, les Amateurs de Peinture, qui sont estimés trois cent dix mille francs ; la Confidence et l'Homme à l'épée, qui sont assurés pour deux cent cinquante mille francs chacun ; il avait, en outre, quelques-unes des toiles les plus célèbres de Ziem de Troyon, d'Isabey, de Gainsborough.Mais, à côté de cette collection de tableaux, M. Chauchard avait réuni une foule d'objets artistiques rares et précieux consistant notamment en bronzes, marbres, tapisseries, faïences anciennes, etc., d’une très grande valeur.
PHILANTHROPE
M. Chauchard faisait également de sa fortune le plus large, le plus généreux emploi ; il subventionnait de nombreuses œuvres philanthropiques et il s'intéressait tout particulièrement à la prospérité des caisses des différentes Associations de presse. Il n'avait pas oublié non plus les anciens employés du Louvre : pour eux, il avait fait l'acquisition, comme maison de retraite, du Pavillon de Madame, une des plus belles propriétés de Versailles.Le défunt aimait beaucoup le théâtre ; il fut, jusqu'à sa mort, un fidèle abonné de l'Opéra.Il aimait aussi à donner de grandes réceptions, soit dans son hôtel de l'avenue Vélasquez, soit dans sa propriété de Longchamp. Ses déjeuners du samedi étaient célèbres : le service était fait dans de la vaisselle d'or et la table était toujours ornée, été comme hiver, des fleurs les plus rares. Le président Loubet, le peintre Benjamin Constant, le duc de Dino, MM. Gaston Calmette, Georges Leygues et un grand nombre de notabilités politiques, littéraires et artistiques fréquentaient assidûment chez M. Chauchard.M. Chauchard a décidé de léguer ses magnifiques collections au musée du Louvre, et il aurait fait par testament - si l'on en croit ses intimes - à un ancien président de la République, à un ancien ministre et au directeur d'un grand journal du matin des dons véritablement princiers.M. Chauchard était, depuis plusieurs années déjà, grand-croix de la Légion d'honneur.
QUELQUES ANECDOTES
L'excellent M. Chauchard se trouvait un jour dans une loge à l'Opéra. On représentait quelque somptueuse page d'histoire et le mécène s'émerveillait avec tout un répertoire de lyriques exclamations.- Qu'avez-vous donc, Chauchard ? finit par lui dire un de ses voisins.
- Je trouve que c'est simplement magnifique, répondit-il. Les décors sont une merveille. On a dû dépenser des sommes folles pour monter cette pièce et ce ballet.
- Peuh ! Trois cent mille francs...
- Trois cent mille, francs... juste ? reprit M. Chauchard de plus en plus admiratif.Alors, l'un de nos fins sénateurs, qui somnolait dans le fond de la loge, se réveilla pour lancer cette malicieuse appréciation :
- Ah ! ce bon Chauchard ! Il sera toute sa vie hanté par les quatre-vingt-quinze centimes !M. Chauchard avait pour concierge un personnage presque aussi décoratif que lui-même. Ancien valet de chambre du comte de Paris, ce serviteur avait conservé de nobles manières et un style tout à fait aristocratique. Aussi dédaignait-il un peu
M. Chauchard, dont l'origine roturière le choquait. Mais il faisait contre mauvaise fortune bon cœur.
- Que voulez-vous, disait-il parfois, les grandes traditions se perdent. Les princes n'ont plus d'argent et il faut bien se résoudre à vivre avec les bourgeois.Fier de la protection de son concierge, M. Chauchard en avait fait une sorte de chef du Protocole. C'est ce concierge qui, pour les grandes réceptions, indiquait la place que chacun devait occuper et dictait les règles de préséance. Il ordonnait avec un soin méticuleux les listes d'invités et donnait aux autres domestiques de précieuses indications sur la manière dont ils devaient annoncer les personnages de marque.Les ducs, les princes et les futurs rois fréquentèrent la somptueuse demeure de
M. Chauchard. Un jour même un roi authentique la visita. Ce fut, un triomphe pour
M. Chauchard, mais c'en fut un bien plus grand encore pour son concierge.M. Jean de Mitty cite dans le Gil Blas deux mots charmants du grand philanthrope : Une fois, comme je le complimentaîs sur sa nomination récente à la plus haute dignité de la Légion d'honneur, il me répondit, d'un ton bonhomme :
- Hé oui ! tout le coupon y a passé !
Tous les cinq ou six ans, en effet, M. Chauchard montait en grade. Quand il fut nommé grand-officier, il me fit l'honneur de me convier, dans sa villa de Longchamp, à une réception qui faisait suite au déjeuner légendaire offert au président de la République. Assistance énorme. Des fleurs partout, des fleurs sur les meubles, sur les cheminées, sur les murs ; des fleurs à profusion. Avant de regagner l'Elysée, M. Loubet félicita encore son hôte pour 1’éclat de la fête, pour l'empressement de son accueil et pour l'effort incessant qu'il consacrait au développement et à la gloire de l'art. Il n'oublia pas, à la fin du discours, de dire le haut et touchant exemple que donnait l'amphitryon d'une charité sans bornes, et qu'il méritait d'être appelé un bienfaiteur de l'humanité.M. Chauchard remercia le chef de l’Etat dans les termes les plus chaleureux. Il dit sa joie de pouvoir aider les artistes et de conserver à la France leurs chefs d'œuvre. Puis, prenant un temps, dressant la taille et promenant sur l'assistance un regard d'orgueil, il ajouta, la main tendue :
- Quant aux pauvres, c'est moi qui m’en charge ! Le Gaulois raconte dans quelles circonstances M. Chauchard fit l'acquisition de la Vache blanche de Troyon : Il achetait sans compter et sans hésiter, pourvu que ce fût cher. On dit, en effet, qu'il jugeait de la valeur d'une toile d'après son prix. On le savait, et l'on en profitait : témoin l'affaire de la Vache blanche de Troyon. L'histoire est charmante : un marchand de tableaux présente un jour la célèbre toile de Troyon à M. Chauchard.
- Combien ? demanda le collectionneur ?
- Quarante mille.
- Seulement ? Il doit être faux : remportez !
Furieux, le marchand raconte sa déconvenue à des confrères. Ceux-ci, plus avertis, lui proposent, un marché :
- Tu veux vendre un Troyon à Chauchard, lui disent-ils soit, il te l'achètera 200.000 ; nous nous en chargeons, à une seule condition : nous partagerons la différence !
Affaire conclue. Un mois après, un prince russe demande l'autorisation de visiter la merveilleuse collection. M. Chauchard, ravi, ne se fait pas prier deux fois. Le prince - qui n'était autre qu'un comparse des marchands de tableaux - visite, admire, remercie. Au moment de se retirer et comme on lui demandait son impression sur la galerie :
- Admirable, déclare-t-il ; quel dommage pourtant qu'il n'y ait pas de Troyon...
Pas de Troyon ! M. Chauchard, qui selon son habitude, s'est abstenu de paraître pendant la visite, et auquel on a rapporté le soir même la réflexion du noble étranger, M. Chauchard sourit. Un Troyon ? Rien de plus facile. Il écrit au marchand :
- Apportez-moi la Vache blanche.
- Hélas ! trop tard, lui répond-il. La Vache blanche est vendue... elle est en province. M. Chauchard s'exaspère : il la lui faut, qu'on la rachète. La comédie continue. Le propriétaire ne s'en dessaisira que moyennant un bon prix. Peu importe ; M. Chauchard la veut ; il finit par l'obtenir. Coût : 250.000 francs. Inutile d'ajouter que la Vache blanche n'avait jamais quitté le magasin du marchand.
LES OBSEQUES
M. Chauchard avait, par testament, consacré deux cent mille francs à ses funérailles, qu'il voulait imposantes, et cent mille francs à son caveau qu'il voulait somptueux. Pour se conformer aux dernières volontés du défunt, le corps de l'ancien fondateur du Louvre sera demain mis en bière. Le cercueil, qui a été construit il y a un peu plus d'un an, a coûté tout près de vingt mille francs ; il est en bois d'amarante et tapissé à l'intérieur de satin blanc. Sur le couvercle, des artistes ont ciselé dans le bronze des motifs décoratifs qui encadrent les initiales du défunt.Le corps sera exposé pendant deux jours dans le grand salon de l'hôtel de l'avenue Vélasquez, qui recevra une somptueuse décoration funéraire ; les murs seront drapés de tentures de soie noire, lacées d'argent.Les obsèques auront lieu dans la matinée du troisième jour en grand apparat. Derrière les cordons de sergents de ville qui ouvriront le cortège, un piqueur à cheval, en costume de gala, viendra, suivi par quatre cents garçons de recettes en livrée des magasins du Louvre", ainsi que par les quatre mille employés de cette administration.Le corbillard sera traîné par huit chevaux noirs caparaçonnés, tenus en mains par des valets en costume Louis XV et en tricorne. M. Chauchard a demandé que sur son cercueil on place la plaque et le cordon de grand-croix de la Légion d'honneur dont il est titulaire.Les invités prendront place dans des berlines de gala Louis XV ayant en « lapin » à l'arrière deux valets de pied, en costume également Louis XV et en tricorne.La cérémonie religieuse aura lieu à la Madeleine. Bien que ce ne soit pas sa paroisse, M. Chauchard a tenu absolument à ce que le service ait lieu dans cette église. La messe sera dite en grande pompe ; pendant les offices, les artistes de l'Opéra, de l'Opéra-Comique, les chœurs du Conservatoire, renforcés des principales maîtrises le la capitale, se feront entendre.L'inhumation aura lieu au Père-Lachaise.
5. Article dans Le Petit Parisien (8/6/1909) : le testament d’Alfred Chauchard
Sous des formes diverses, l'Etat reçoit plus de soixante millions. Dix-huit millions vont aux amis du défunt et 200.000 francs aux pauvres de Paris. Les dispositions dernières, prises par M. Chauchard, ont - comme le Petit Parisien l'avait annoncé - été livrées hier soir à la publicité par la note suivante, rédigée sur des indications provenant de l'étude même de Me Jousselin, notaire du défunt :
« On connaît maintenant les détails du testament de M. Chauchard. Ce testament, confié en août 1906 à Me Jousselin, notaire et exécuteur testamentaire, a été ouvert samedi matin dans les formes habituelles et communiqué aussitôt aux principaux intéressés mais, dans un sentiment facile à comprendre, Me Jousselin avait demandé de le tenir secret jusqu'au jour où il aurait informé lui-même directement toutes les personnes ou toutes les sociétés qui en étaient bénéficiaires. C’est ce qui a été fait. »
La part de l'État
La note continue ainsi : L'Etat reçoit, pour le musée du Louvre, l'incomparable galerie Chauchard, le véritable Panthéon de l'école de 1830, qui comprend près de deux cents toiles de Millet, Troyon, Corot, Daubigny, Decamps, Diaz, Jules Dupré, Rousseau, Fromentïn, Isabey, Meissonier, Ziem, Henner, Delacroix, etc., achetées par le donateur au prix de vingt-sept millions et qui, à l'heure actuelle, ont une valeur encore plus considérable, car elles constituent pour la France la sélection incomparable des chefs d'œuvre d'une des époques les plus glorieuses pour l'art français. Chauchard ne s'est pas borné pour son pays à ce don magnifique.Il ajoute à sa collection de l'école 1830 tous les tableaux qui ornaient les six salons du rez-de-chaussée de son hôtel de l'avenue Velasquez : ce sont des œuvres tout à fait célèbres de Gainsborough, Nattier, Drouais, des marbres de Coysevox, Lemoine, Coustou, Caffieri et la splendide série des premières épreuves de Barye.Tout cela ira au musée du Louvre avec le beau portrait de Benjamin Constant. Et, pour aider à l'installation de ces merveilles, Chauchard laisse à la disposition de son exécuteur testamentaire, Me Jousselin, les sommes qui seront nécessaires à la direction du musée du Louvre, afin qu'aucune dépense n'incombe à l'Etat.C'est ainsi une donation d'une quarantaine de millions, c'est-à-dire à peu de choses près le tiers de la fortune dont il disposait, étant donné les fortes sommes qu'il avait placées en viager depuis sort départ des magasins du Louvre.
Les autres dispositions
En dehors de sa propriété de Versailles, évaluée à un million et déjà léguée à ses anciens collaborateurs, Chauchard donne à la Société du Louvre une somme de 3 millions de francs exclusivement réservée aux employés.A la Ville de Paris, il donne une somme de 200.000 francs qui sera distribuée par la municipalité aux pauvres à l'occasion de ses obsèques.A la Ville de Paris, il laisse en outre les deux groupes de bronze de Caïn, toutes les statues de marbre et tous les objets qui ornent les jardins du château de Longchamp, dont il était le locataire.A l’hôpital des vieillards de Montélimar, auquel il attribuait chaque année 2.000 fr., il laisse 500.000 francs.A tous ses serviteurs, et ils étaient fort nombreux à l'avenue Velasquez, il laisse des sommes variant entre 10.000 francs et 500.000 francs. Deux des plus anciens reçoivent chacun 500.000 francs. A son secrétaire, M. Bousquet, il laisse 375.000 francs environ. Ses amis reçoivent, soit en actions du Louvre, soit en argent, une somme d'environ dix-huit millions : quinze millions à M. Georges Leygues, député de Lot-et-Garonne, dont un million à Mme Georges Leygues, 750.000 francs à chacune de ses deux filles et 12.500.000 francs à M. Leygues, qui est chargé de présider à l'installation de ses tableaux au musée du Louvre) ; cinq cent mille francs à M. Lozé, sénateur du Nord, pour sa fille Melle Lozé : cinq cent mille francs pour l'exécuteur testamentaire, et le reste à M. Gaston Calmette, celui de ses intimes qu'il avait chargé du soin de ses obsèques. Une autre somme de dix-huit millions revient au fisc pour les droits de succession. Toute la fortune liquide et une grande partie des actions du Louvre sont ainsi absorbées par ces différente libéralités ou par les taxes d'enregistrement qu'elles entraînent.Le reste des actions du Louvre, avec l’hôtel de l’avenue Vélasquez, revient au légataire universel, une amie excellente et ancienne (Mme Mary Boursin) que
M. Chauchard tenait en juste affection et qui lui a prodigué pendant de longues années les soins les plus dévoués. Tel est, dans ses détails complets, ce testament, qui, en dehors des donations philanthrooiques et des legs réservés à l'amitié, attribue, sous des formes diverses, plus de soixante millions à l’Etat.
QUAND LES HERITIERS TOUCHERONT-ILS ?
Le testament de M. Chauchard, bien que déposé chez Me Jousselin, notaire, n'était pas un testament notarié. C'était un simple testament sous seing privé, enfermé dans une enveloppe cachetée.Maintenant, quand les légataires entreront-ils en possession de leurs legs ? Contrairement aux héritiers directs, ils n'ont pas la saisine, c'est-à-dire qu'ils ne peuvent se mettre d'eux-mêmes en possession des biens héréditaires. Les légataires universels devront demander, au président du tribunal de la Seine, la délivrance des biens compris dans le testament c'est ce qu'on appelle l'envoi en possession. Cet envoi en possession est effectué par ordonnance du président.Avant de rendre cette ordonnance le président devra vérifier si le testament parait régulier ; c'est ainsi qu'il ne devrait pas rendre une ordonnance d'envoi en possession, si le testament n'était pas daté et signé ou était adiré ou bâtonné.Il devra examiner, en outre, s'il a été régulièrement déposé et si le testateur n'a pas laissé d'héritiers à réserve.Ces formalités ont pour but d'éveiller l'attention des héritiers qui auraient négligé de faire valoir leurs droits et de constater l'importance des biens héréditaires afin d'en assurer, le cas échéant, la restitution intégrale.Les héritiers du défunt, s'il s'en révèle, ̃auront la ressource de s'opposer, d'abord à l'envoi en possession et, ensuite, de demander l'annulation du testament.
Les droits de succession
Ces formalités seront de plus très onéreuses, à cause des droits de greffe et d'enregistrement. Mais, il est vrai que M. Chauchard l'a prévu, puisqu'il a laissé un certain nombre de millions pour couvrir les frais.Rien que pour les droits de succession, les légataires dont les legs dépassent 50.000 francs ont à payer 16 fr. 50 par 100 francs, et ceux qui héritent de 1 million et au-dessus, 18 fr. 50.C’est ainsi que, à, elle seule, la donation dont est appelé à bénéficier M. Leygues, pour droits de succession représentera 2.775.000 francs.
Y A-T-IL DES PARENTS PAUVRES ?
Une question se pose. M. Chauchard n'a-t-il laissé aucun parent, même éloigné ? Etait-il donc absolument sans famille, sans héritiers naturels ?A ce sujet, nous pouvons dire qu'une dame Pinon, née Eugénie Chauchard, femme d'un humble maitre d'hôtel, habitant dans la cité Ravarin avec son fils, âgé de vingt-cinq ans, dit être sa petite-cousine. Il est vrai que Mme Pinon ne peut préciser exactement son lieu de parenté avec le fondateur des magasins du Louvre. Mais, dit-elle, outre que les deux familles portent le même nom, elles ont la même origine, étant l'une et l'autre de Ceyrac, un village de l'Aveyron.Un jour, Mme Pinon, tenant compte des conseils que lui avait donnés son père, décédé, alla voir M. Chauchard, il y a de cela vingt-cinq ans. M. Chauchard l'accueillit avec bienveillance et lui aurait dit « Peut-être y a-t-il un lien de parenté entre nous, mais il y a si longtemps que j'ai quitté le pays que je ne saurais trop dire lequel. » Et il l'aurait engagée à revenir le voir si jamais elle avait besoin de lui.Il y a dix ans, Mme Pinon, en un jour de détresse, aurait tenté, mais en vain, de le joindre à nouveau.
LA MISE EN BIERE
Elle a eu lieu, hier matin, à onze heures. Du lit mortuaire, les employés des pompes funèbres ont transporté le corps dans le cercueil, véritable œuvre d'art, en bois d'amarante, enrichi de ciselures, dont le défunt lui-même surveilla, jadis, le travail. Ce fut au point qu'il fit même refaire plusieurs motifs dont il n'était pas satisfait. Sur le couvercle, un christ au-dessous, ciselée à la main, une grande croix de la Légion d'honneur, et cette inscription
ALFRED CHAUCHARD
Directeur des grands magasins du Louvre
Grand-Croix de la Légion d'honneur
Ce cercueil a coûté 48.000 francs et pèse environ huit cents kilos. Le concours de quatorze hommes est nécessaire pour le soulever. Il a double couvercle. Le premier est une simple glace, avec un large encadrement de cuivre. Au travers de cette glace qui ferme momentanément le cercueil, on aperçoit le visage du défunt, dont le teint est livide. M. Chauchard est en habit noir, avec le cordon de la Légion d'honneur en sautoir. Le linceul est un drap d'or de grand prix. Le cercueil est placé sur un socle, au centre de la chambre mortuaire, somptueusement meublée et transformée en chapelle ardente. Des centaines de cierges, fichés dans des candélabres en argent, 1’entourent. Il semble enseveli sous des amas de celles des fleurs qu'il préférait, et dont il avait manifesté le désir d'être couvert. Deux religieuses se sont installées devant le catafalque. Seuls sont admis à défiler dans la chambre, les amis du défunt, que le concierge est chargé de reconnaître au passage.
6. Article dans Le Petit Parisien (10/6/1909) : la préparation des obsèques d’Alfred Chauchard et son héritage
C'est ce matin qu'auront lieu les obsèques de M. Chauchard. De neuf à onze heures le cercueil sera exposé dans une vaste chapelle aménagée dans la cour de l'hôtel de l'avenue Vélasquez. Contrairement à ce que l'on avait annoncé le public ne sera pas admis. Seules les délégations pourront y pénétrer. Un important service d'ordre sera organisé aux abords de l'hôtel et tout le long du parcours. Les honneurs militaires seront rendus au défunt par un bataillon des 89e, 76e, 120e et 128e régiment d'infanterie et par deux escadrons du régiment de cuirassiers sous le commandement du général de brigade Moulard. Ces troupes seront échelonnées avenue Vélasquez et boulevard Malesherbes, dans la direction de la place Suint-Augustin.
Le cortège
Le cortège quittera la maison mortuaire à onze heures et demie. Il se fermera dans l'ordre suivant :En tête, la voiture où auront pris place les prêtres du clergé de Saint-Augustin, paroisse du défunt, qui auront procédé à la levée du corps.
Puis, successivement, trois chars portant les couronnes, des délégations des associations d'études ou de mutualité de commerçants, dont la Société philanthropique de l'Union du commerce ; le corbillard - il sera de 1ère classe et traîné par quatre chevaux. A droite et à gauche du corbillard, marcheront cent quatre-vingts garçons des magasins du Louvre en uniforme. Derrière le corbillard : un huissier portant sur un coussin de velours les insignes de grand-croix de la Légion d'honneur, les serviteurs de M. Chauchard puis quelques-uns des amis du défunt : MM. Jousselin, notaire honoraire, exécuteur testamentaire, Emile Loubet, Georges Leygues, Gaston Calmette, Lozé Tresca, négociant, Barrière, ancien sénateur, Robert Burt, négociant anglais, Cathelin, négociant lyonnais, le docteur Duguet, Eugène Hœntschel, Le Barbier de Tinan, Boudet, Etienne Charvet et Bilion, secrétaire général du Journal officiel. Puis
M. Homolle et une délégation du personnel de la direction des musées nationaux, composée de vingt-cinq personnes, le conseil d'administration des magasins du Louvre et le directeur de cet établissement, M. Meyer, les sous-directeurs, les intéressés et les employés, au nombre de une délégation de la Société des gens de lettres, une autre de l'Association des journalistes parisiens et une autre encore de la Société de secours aux marins naufragés.La cérémonie religieuse, à la Madeleine, commencera à midi. Par la rue Royale, la rue de Rivoli, la rue Saint-Antoine et la rue de la Roquette, le cortège se rendra ensuite au cimetière du Père-Lachaise, où aura lieu l'inhumation. La distance étant fort longue entre la Madeleine et le Père-Lachaise, les organisateurs des obsèques ont décidé que les dames ne se rendraient pas au cimetière.
L'HOTEL DE L'AVENUE VÉLASQUEZ
MM. Leygues, Gaston Calmette et Mme Mary Boursin ont passé une partie de la matinée d'hier à l'hôtel de l'avenue Vélasquez pour régler, avec M. Bengold, directeur de l'agence de funérailles, chargé de l'ordonnance du convoi funèbre, les derniers détails de la cérémonie d'aujourd'hui. Ce n'est cependant que très tard dans la soirée que les dernières dispositions ont été définitivement arrêtées. On a attendu, en effet jusqu'au dernier moment, que les sociétés qui ont émis le désir de prendre part au cortège fissent connaître leurs intentions d'une façon plus précise.L'administration municipale des pompes funèbres n'a reçu qu'à cinq heures et demie les ordres nécessaires pour les funérailles. Ainsi qu'on l'a vu plus haut, la composition du cortège sera celle de la première classe dont le coût est d'environ 8.000 francs. Contrairement à ce que certains journaux ont annoncé il n'a été fait aucune commande spéciale concernant le char funèbre ou quoi que ce soit se rattachant à la cérémonie d'aujourd'hui. Il ne saurait donc être pas davantage question de difficultés pécuniaires survenues à ce sujet entre la Ville de Paris et les auteurs responsables de ces soi-disant commandes.Au surplus, nous a-t-on déclaré à l'administration municipale des pompes funèbres, pour construire et orner un char funèbre, il faudrait un laps de temps beaucoup plus considérable que celui dont on disposait depuis le début de la maladie de M. Chauchard.
UN DON DE M. LEYGUES
Nous avons annoncé hier que, dans un élan de générosité, Mme Mary Boursin, qui fut, pendant de longues années l'amie fidèle de M. Alfred Chauchard, avait donné un million aux pauvres de la Ville de Paris et un autre million à la caisse de retraite des employés des magasins du Louvre. On nous transmet, de la Chambre des députés, la communication suivante : M. Georges Leygues a avisé M. Henri Brisson, président de la Chambre des députés, et M. Saumande, l'un des questeurs, qu'il avait l'intention de prélever sur les millions qu'il vient d'hériter de M. Chauchard, une certaine somme pour alimenter la caisse de retraite des anciens députés. Cette caisse fonctionne depuis le 1er janvier dernier.Elle est alimentée exclusivement par les députés qui payent une cotisation mensuelle. Le taux de cette cotisation, fixé à l'origine à quinze francs, a été élevé en 1906, après des élections générales à 50 francs. La caisse dispose actuellement de 48.000 francs de rente. Les pensions sont fixées à 2.400 francs pour les anciens députés âgés de plus de 55 ans et ayant siégé au moins pendant toute la durée d'une législature et à 1.200 francs pour leurs veuves. C’est le 1er avril dernier qu'a été payé pour la première fois le premier trimestre de ces pensions. Il y a actuellement 137 anciens députés pensionnaires et 17 veuves.M. Georges Leygues a également l'intention de doter la caisse de retraite du petit personnel du Palais-Bourbon.
UN DON DE M. GASTON CALMETTE
Dans un sentiment de généreuse confraternité, M. Gaston Calmette, directeur du Figaro, fait des dons importants à la caisse de secours de deux des principales associations de presse.Par des lettres adressées à M. Alfred Mézières, sénateur, président de l'Association des journalistes parisiens et à M. Paul Strauss, sénateur, président de l'Association des journalistes républicains, M. Calmette annonce qu'il a prié
Me Jousselin de bien vouloir, avant qu'aucune somme lui soit remise, prélever 15.000 francs pour chacune des deux associations.L'Association des journalistes parisiens recevait tous les ans et depuis longtemps 15.000 francs de M. Chauchard. L'Association des journalistes républicains n'avait jamais reçu de don de lui. Ni l'une ni l'autre de ces associations ne sont mentionnées dans le testament. M. Gaston Calmette est membre de ces deux associations.
A propos des legs de M. Chauchard
Des journaux ont dit que M. Loubet aurait reçu, par une disposition restée secrète du testament, sept millions, et d'autres ont ajouté qu'il les aurait refusés. M. Paul Loubet, fils de l'ancien président de la République, dément expressément cette information. « Elle ne repose, a-t-il dit, sur rien. » Il a ajouté « La seule chose exacte, et que tout le monde connaît d'ailleurs, c'est la donation faite par
M. Chauchard à l'hôpital de Montélimar. Cette donation est non pas de 50.000 francs, comme il a été imprimé par erreur, mais de 500.000 francs. M. Chauchard donnait chaque année à cet établissement une subvention de 5.000 francs, et non de 2.000. Par son testament, il triple donc sa donation et en assure la perpétuité. »
LES ORIGINES DE LA FAMILLE CHAUCHARD
Le multimillionnaire est né et a été baptisé à peu de distance de l'endroit où il devait, plus tard, fonder les magasins du Louvre [C’est une erreur !].
Au cours d'une minutieuse et longue enquête, nous avons réussi à nous procurer sur les origines de la famille Chauchard des renseignements absolument précis. Contrairement à ce qui a été dit jusqu'ici, M. Chauchard, le multimillionnaire, n'est pas « parti de rien ». Ses parents étaient des commerçants, jouissant d'une certaine aise. Alfred Chauchard est né à Paris [C’est une erreur !], le 22 août 1821, 6, rue du Hazard, dans la maison de ses parents, qui tenaient un restaurant, fort bien achalandé, parait-il.Cet établissement appartenait depuis de nombreuses années à la famille de la mère de
M. Chauchard. Celle-ci, une demoiselle Carrée, avait hérité, à la mort de ses ascendants, d'une petite fortune et du restaurant.La rue du Hazard s'appelle aujourd'hui la rue Thérèse. La partie où se trouvait le restaurant Chauchard n'existe plus elle a été absorbée par l'avenue de l'Opéra.
M. Alfred Chauchard a été baptisé à l'église Saint-Roch, la 23 août.Son parrain fut
M. François-Nicolas Rapaud, chirurgien accoucheur, 18, rue des Fossés-Saint-Germain, et sa marraine, Mme Anne-Agathe Rapaud, 3, rue de l'Echelle Saint-Honoré.Le père de
M. Jean-Pierre Chauchard le restaurateur, c'est-à-dire le grand-père de
M. Alfred Chauchard, est né, comme nous l'avons annoncé, à Clevilliers (Eure-et-Loir) le 29 août 1766, de Pierre Chauchard et de Marie-Bonne-Pétronille Legendre. Ce Pierre Chauchard n'était pas du pays, mais sa femme y avait vu le jour. On connaissait comme parents à cette dernière un frère et une sœur. Le frère est décédé sans laisser d'enfants ; sa succession a été partagée entre sa sœur et M. Chauchard, père du défunt.Or, cette sœur de Mme Pierre Chauchard a laissé des descendants, qui habitent encore à Soulaines, dans le même département. Ces descendants seraient Mmes Peauger,
née Legrand ; Renoud, née Lunet ; Binet, née Alexandre. Quel degré de parenté les rapproche du défunt ? Nous l’ignorons.
LES PARENTS DE VAUX ET DE MEULAN
A Vaux-sur-Seine, petite localité située entre Triel et Meulan, sur la ligne de Mantes, habite un petit rentier, M. Clément Ramousse, qui va avoir soixante ans dans quelques mois, et qui est un petit-cousin, affirme-t-il, de M. Chauchard. M. Clément Ramousse habite 5, rue Pigoreau, non loin de la ligne du chemin de fer, une maisonnette qu'entoure un vaste jardin, moitié potager, moitié verger, qu'il cultive lui-même. Le brave homme se prête volontiers à l'interview.- Je suis effectivement un petit-cousin du défunt M. Chauchard, puisque ma grand'mère, Julie Carrée, femme Ramousse, était la sœur de la propre grand'mère de M. Chauchard.Le grand-père Ramousse était garde du château de Bècheville, propriété de M. le comte Daru, aux Mureaux.Julie Ramousse, née Carrée, laissa une nombreuse descendance : huit enfants, parmi lesquels un Clément Ramousse, mon père, eut à son tour deux enfants moi-même et ma sœur, mariée à M. Noël, garde champêtre ici-même.Mon père avait une sœur, ma tante Pauline, qui est morte récemment à Meulan et qui a laissé une fille, Mme veuve Louise Célerier, habitant encore actuellement rue Gambetta, à Meulan.Dans la région, nous avons des parents qui peuvent aussi, mais à un degré moindre, se réclamer d'une parenté avec M. Chauchard : un cultivateur, Victor Guillon, de Vaux, dont la grand'mère était la sœur de mon père ; un autre habitant de Vaux, M. Moreau, qui a épousé une cousine germaine de mon père. En ce qui me concerne personnellement, continue M. Ramousse, je n'ai jamais vu
M. Chauchard, mais ma tante Pauline, la mère de ma cousine Célerier, de Meulan, m'avait souvent raconté sa visite à notre richissime parent.- M. Chauchard n'est pas là, disait le secrétaire.
- Insistez-donc, disait le concierge à ma tante Pauline je vous dis que monsieur est là.« Plus j'insistais, disait ma tante, plus le secrétaire s'entêtait à me dire que
M. Chauchard était absent. Et je ne vis jamais notre parent. »Si j'ai fait connaître ma qualité de parent éloigné à M. Chauchard, disait encore
M. Ramousse, ce n'est pas que je revendique quoi que ce soit de son héritage, puisque le testament est régulier et qu'il y a une légataire universelle mais j'ai lu que
M. Leygues n'oublierait pas les parents éloignés, s'il s'en trouvait. Alors ... vous comprenez !
A Meulan, Mme veuve Célérier, qui a plus de cinquante ans, habite avec le frère de son défunt mari, qui a assumé la tâche de veiller sur elle, car la pauvre femme est de plus en plus incapable de se diriger seule et de vaquer aux soins domestiques. Ses souvenirs sont cependant assez précis et la filiation qu'elle indique correspond en tous points avec celle que nous avait fait connaître M. Clément Ramousse.Faut-il déduire de là qu'il s'agit bien de la famille de M. Chauchard ?Telle est la question que nous sommes allé poser à Me Marquis, le notaire de Meulan, à qui M. Clément Ramousse a confié ses papiers, actes et titres de famille. Me Marquis, notaire, rue du Pont-Saint Côme, est un aimable officier ministériel, mais discret, discret à décourager un reporter. Pourtant, comme nous lui disions ce que M. Clément Ramousse nous avait confié sur sa parenté avec M. Chauchard, Me Marquis consentit, très discrètement, à nous confirmer qu'il lui semblait, en effet, que la filiation de
M. Ramousse jusqu'à Julie Carrée était établie, mais il n'osait affirmer que cette grand'mère était bien la sœur de la grand'mère de M. Chauchard. Ce que Me Marquis ne nous a pas dit, c'est que, dès mardi soir, il avait écrit, à Me Jousselin et à
M. Leygues pour leur révéler l'existence de la famine Ramousse, de Mme veuve Célerier et autres cousins éloignés...
LES GRANDS-CROIX
Le Journal officiel publiait, avant-hier matin, la liste des disponibilités dans la Légion d'honneur, parmi lesquelles, au titre civil, trois pour le grade de grand-croix. Ces disponibilités sont une conséquence de la mort de MM. le marquis de Noailles, ancien ambassadeur, Victorien Sardou et Ernest Reyer. La mort de M. Chauchard vient de porter le chiffre à quatre.Les grands-croix de la Légion d'honneur, au titre civil, sont actuellement :
M. Fallières, président de la République, grand-maître de l'ordre, M. Emile Loubet,
M. Alfred Picard, ministre de la Marine, M. Barrère, ambassadeur à Rome, M. Cambon, ambassadeur à Londres, le baron de Courcel, ancien ambassadeur, M. Bonnat, peintre, membre de l'Institut, M. Lépine, préfet de police, M. de Selves, préfet de la Seine et M. Noblemaire, ancien directeur des chemins de fer du P. L. M.