Les anciennes célébrités des Mureaux : Alfred Chauchard, propriétaire de grands magasins
La mémoire de Villennes·Samedi 11 mai 2019·Temps de lecture estimé : 11 minutesPublic

A l’emplacement du Louvre des antiquaires, se trouvaient, autrefois, les Grands magasins du Louvre. Léon Mirgon, qui fut maire de Villennes de 1953 à 1959, avait été directeur administratif de la Société du Louvre (grands magasins et hôtels). Dans cet article, nous ne nous intéressons pas à lui mais au Muriautin, devenu très célèbre à son époque, qui avait fondé et dirigé ces grands magasins.Alfred Chauchard était né le 22 août 1821 aux Mureaux ; ses parents, originaires de l’Aveyron et de l’Eure-et-Loire, qui exploitaient un restaurant à Paris (lire l’annexes 5-parents pauvres et l’annexe 6-origines de la famille), étaient aisés mais pas fortunés. Selon un petit-cousin, habitant Vaux-sur-Seine, qui s’est fait connaître pour bénéficier d’une petite partie de l’héritage d’Alfred Chauchard, son grand-père, beau-frère d’une grand’mère du défunt, avait été garde du château de Bècheville, alors propriété de
M. le comte Daru (lire l’annexe 6-les parents de Vaux et Meulan).Modeste commis dans un magasin, Alfred Chauchard a fondé, avec des associés, astucieux et ambitieux comme lui, les Grands magasins du Louvre, qui lui ont apporté une colossale fortune. Bien que n’étant pas connaisseur en peinture, il l’a utilisée pour rassembler une importante collection d’œuvres d’art ainsi que pour des actions philanthropiques.Son décès en juin 1909 a été, très largement, annoncé dans la presse, qui a décrit les grandioses funérailles qu’il avait, lui-même, organisées et les questions relatives à son héritage.

L’entrepreneur commerçant

En 1855, Alfred Chauchard, jusqu’alors commis au magasin « Au Pauvre Diable », s’est associé avec Auguste Hériot et Charles Eugène Faré pour louer le rez-de chaussée du grand bâtiment construit, face au Louvre, entre la rue de Rivoli, la rue Saint-Honoré et la place du Palais-Royal ; ils y ont créé Les Galeries du Louvre (lire l’annexe 4). Les frères Péreire avançant des fonds pour le lancement de l’affaire, ils louèrent les locaux à la Compagnie immobilière de Paris, dont ils étaient propriétaires.
En 1857, l’un des associés décéda, alors que le commerce continuait à se développer. En 1879, Alfred Chauchard et son associé restant purent acheter l’ensemble de l’immeuble, les étages étant initialement occupés par l'Hôtel du Louvre. Après deux ans de travaux, ils ouvrirent Les Grands magasins du Louvre ; ce commerce de mode et de nouveautés devint l’un des plus importants de Paris, décrit dans ses publications comme "les plus vastes du Monde". En 1886, ils étaient organisés en 65 départements différents, 37 galeries et 365 salons de vente. Emile Zola s’en est inspiré pour son roman Au bonheur des Dames.
Alfred Chauchard vendit ses parts en 1885 (lire l’annexe 1) ; la société a existé jusqu’en 1974.

Le collectionneur d'art

Alfred Chauchard a rassemblé de vastes collections de peintures et d'objets d'art, à partir de 1890 (lire l’annexe 2) ; il a, notamment, alors acquis, pour une somme énorme (800 000 francs-or), L'Angélus de Jean-François Millet que se disputaient plusieurs musées américains. Il a acheté la peinture La Campagne de France d'Ernest Meissonier pour
850 000 francs-or ainsi que des Corot, des Delacroix, des Daubigny et d'autres Meissonier ; ces tableaux sont, aujourd’hui conservés au Musée d’Orsay, à l’entrée duquel est exposé le buste en marbre d’Alfred Chauchard, réalisé par Augustin Edme Moreau-Vauthier. Ce musée possède, également, son portrait réalisé par Benjamin Constant.Ce n’était pas pour leur qualité qu’il achetait des peintures mais comme placement. N’étant pas un connaisseur, il se faisait aider par des experts. Prêt à acheter un tableau célèbre quel que soit son prix, ils se faisait, parfois, berner par des marchands profitant de sa méconnaissance du marché de l’art (lire l’annexe 4-anecdotes).Après son décès, son importante collection avait rejoint le Musée du Louvre, auquel il l’avait léguée.

Le généreux mécène et ses cadeaux égocentriques

En 1906, comme les années précédentes, il a donné la somme de 5000 francs à l'Association de secours mutuels des artistes dramatiques. La Société des gens de lettres a attribué un Prix Chauchard, récompensant des œuvres littéraires et des actes de bienfaisance.André de Fouquières, homme de lettres et homme du monde, chroniqueur de son époque, en a dressé un portrait dans Mon Paris et ses Parisiens. II. Le quartier Monceau :
De son vivant, il se faisait beaucoup prier avant de consentir à montrer ses chefs-d'œuvre. Mais lorsqu'on était parvenu à vaincre sa résistance, il vous en récompensait en vous offrant un souvenir. Dans ses magasins, on donnait aux enfants un ballon. Dans sa galerie de l'avenue Velasquez, les adultes recevaient soit une médaille à l'effigie de Chauchard, soit un moulage de son buste !  [...] Le personnage était infiniment plus complexe qu'il n'y paraît. Ainsi avait-il dressé un perroquet enfermé dans ses appartements privés à le saluer par un sarcasme. Chaque fois qu'il pénétrait dans sa chambre, l'oiseau criait : "Chauchard, tu es une bête ! Chauchard, tu es une bête ! 

Ses propriétés luxueuses

Louant le château de Longchamp, appartenant à la Ville de Paris, dans le Bois de Boulogne, il a habité, jusqu’à son décès, un vaste hôtel particulier dans l’avenue Velasquez, ouverte sur le Parc Monceau et le boulevard Malesherbes, derrière une monumentale grille en fer forgé.
Alfred Chauchard y créa une galerie de peintures, qui abritait sa collection. Sur la façade figure, encore, la gueule du « Lion du Louvre » réalisée par Aimé Morot. Il organisait, dans ces deux propriétés, de grandes réceptions, dont son concierge, ancien valet de chambre du comte de Paris, était le chef du protocole (lire l’annexe 4 - anecdotes).

A Versailles, dans l’avenue de Paris, il a possédé une importante propriété, faisant partie de l'ancien domaine privé de la comtesse de Provence, dite Madame Elisabeth, épouse du futur Louis XVIII, où se trouvait un pavillon de musique aménagé par l'architecte Chalgrin. En 1902, Alfred Chauchard a fait don du terrain à une société immobilière pour y créer 105 lots qui ont été attribués aux employés les plus méritants de son entreprise.
Sa seule condition, en retour de ce don, était que sa statue, placée au centre du parc, soit entretenue après sa mort ; cette œuvre d’Henri Weigelé le représente assis (photo publiée dans Le Figaro-Modes, le 15/2/1903) .

Au milieu de ce lotissement, nommé Parc Chauchard, subsiste le pavillon de musique, aujourd’hui situé rue Chauchard. L’une des deux autres rues a été nommée l'avenue du Louvre.
La statue à Versailles








Ses grandioses funérailles


Alfred Chauchard, souffrant d’un eczéma depuis une trentaine d’années, est décédé en juin 1909 (lire l’annexe 3 et l’annexe 5-mise en bière). Resté célibataire, il n’avait pas de descendant mais il avait pris soin de rédiger un testament, qui fut l’objet de très nombreux commentaires. Il avait soigneusement ordonné les cérémonies, suivies par une foule immense, de ses obsèques à l’Eglise de la Madeleine et de son inhumation au Cimetière du Père-Lachaise (lire l’annexe 4-les obsèques).


Le corbillard, garni d'orchidées, a été suivi par cinq chars ornés de couronnes de fleurs ; les croque-morts étaient habillés comme des laquais à la française. Son cercueil en bois d’amarante, orné de ciselures de bronze et de cuivre, avait coûté 48 000 francs ; il y repose, dans un linceul en drap d’or, revêtu d’un habit noir, avec le cordon de la Légion d’Honneur en sautoir ; son gilet boutonné de perles précieuses, d’une valeur de 500 000 francs, a suscité la convoitise de voleurs qui ont violé sa sépulture.Fréquentant le président de la République et des ministres, notamment celui de l'Instruction publique Georges Leygues qui lui avait fait attribuer la Grand-croix de la Légion d'honneur ; il lui a légué une grande partie de sa fortune. En effet, sans descendance, Alfred Chauchard avait pris soin de rédiger un testament, qui fut l’objet de très nombreux commentaires.
Parmi les légataires, figuraient Gaston Calmette, directeur du Figaro, et le sénateur Lozé, ancien préfet de police (et rapporteur de la Légion d’honneur) ; sa tendre amie, Mary Boursin, hérita de son hôtel particulier et de ses meubles de l'avenue Velasquez et d'une importante dotation.

La Légion d’honneur

L’appartement à l’hôtel du Louvre et le cheval noir du Général Boulanger
Lorsqu’il a été nommé officier de la Légion d’honneur en 1888, la Chancellerie a reçu un courrier d’un détracteur qui n’était pas d’accord avec cette distinction :
[...] M. Chauchard ancien grand patron des Magasins du Louvre a été nommé officier de la légion d’honneur sur la recommandation pressante du Général Boulanger alors qu’il était Ministre de la Guerre. C’était déjà beaucoup que ce Mr de calicot enrichi en traitant ses employés comme des nègres et qui n’a jamais rendu le moindre service au pays fut chevalier. Le comble ! l’infamie ! c’est qu’il ait été nommé officier de la légion d’honneur. Certes, il n’avait aucun droit à cet honneur mais il a rendu des services personnels au Général Boulanger et à la famille de ce dernier. Durant tout son passage au Ministère de la Guerre, ce général a occupé avec sa famille  un appartement à l’hôtel du Louvre alors que l’hôtel du Louvre était dans les magasins du Louvre. Il fallait bien payer toutes les complaisances, toutes les flagorneries des patrons du Louvre Chauchard et Hériot et c’est pour ça qu’on fit nommer le vieux Chauchard officier de la légion d’honneur.
On va jusqu’à dire que le fameux cheval noir du Général Boulanger n’est pas étranger à cette récompense. Sans doute, cette dernière chose n’est pas exacte, un ministre de la Guerre ne s’abaisserait pas jusque là, mais vous voyez où on arrive quand les apparences sont compromettantes.
L’un des créateurs du commerce moderne
Toutefois, lorsqu’Alfred Chauchard avait été nommé chevalier de la Légion d’honneur en 1880, le résumé de ses services était le suivant :
L’un des fondateurs des Grands Magasins du Louvre à Paris, il y a 25 ans, aujourd’hui le seul directeur.
Services rendus à l’industrie par la création de débouchés directs aussi importants que ceux de vingt maisons de gros de premier ordre réunies ;
a puissamment contribué à réaliser une révolution économique en mettant une infinité de produits à la portée du consommateur à des conditions de prix très proches des prix de fabrique.
Occupe 2257 employés.
Sources :
- Résultats de nos recherches dans la presse ancienne (Gallica, bibiothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France)
- Ouvrage Fouiller dans le passé - Les Mureaux de Marcel Denis (Médiathèque des Mureaux)
- Base de données Léonore sur les personnes nommées ou promues dans l'Ordre de la Légion d'honneur (Archives nationales)
- Divers sites Internet

Michel Kohn

Les annexes se trouvent dans l’article complémentaire Alfred Chauchard dans la presse de son époque.