Les sports olympiques villennois / le cyclisme

Léon Didier, deuxième champion cycliste
devenu restaurateur à Villennes


Sa carrière sportive

Léon Didier (1881-1931), qui fut propriétaire de l'hôtel-restaurant Les Peupliers, avait été cycliste professionnel de 1910 à 1922.

Le coureur cycliste

L'hôtelier-restaurateur voisin Louis Jallabert, ancien champion cycliste, avait été, vraisemblablement, à l'origine de l'installation de Léon Didier à Villennes.


Comme lui, il  avait couru sur triplette mais il avait, d'abord, été sprinter avant de se spécialiser dans le demi-fond.


Il s'agit de courses entre cyclistes (stayers : ceux qui restent dans l'abri), précédés d'un entraîneur (pacemaker :  faiseur d'abri) sur motocyclette. Les coureurs étant soumis à la résistance de l'air, il étaient aidés par des entraîneurs les protégeant, dans le but d'allonger la durée des courses et de les rendre plus spectaculaires. Avant l'entraînement mécanique, un entraînement humain était utilisé : tandems, triplettes et quadruplettes. Il y eut, même, des tandems électriques avant que les motocyclettes s'imposent.

La photo de l'entête de cet article représente Léon Didier, derrière Arthur Pasquier, à Dresde en octobre 1912. Il fut, dans cette discipline du demi-fond,  le second du Championnat national en 1920 et premier l'année suivante.

Le Miroir des Sports, 9/6/1921

LÉON DIDIER GAGNE LE CHAMPIONNAT
DE FRANCE DE DEMI-FOND

Le nouveau champion de France de demi-fond derrière motocyclettes, Léon Didier, s'est remis à l'entraînement depuis trois mois à peine. Sa victoire dans le Championnat des 100 kilomètres était sa deuxième course, la première datant du 15 mai, où il fut opposé à Sérès et Linart.

Léon Didier, qui a quarante ans, qui mesure 1 m. 70 et pèse 72 kilos, avait renoncé à la piste au cours de la saison 1916-1917, alors que chaque course équivalait pour lui à une chute et à un accident. Pendant un match au Vélodrome d'Hiver, contre Darragon et Sérès, il se casse une clavicule à 400 mètres de l'arrivée ; il avait à ce moment un tour d'avance sur ses adversaires. Dégoûté, Didier vendit sa bicyclette et son matériel pour se consacrer exclusivement à son restaurant de Villennes, charmante localité située sur les bords de la Seine, à une heure en aval de Paris. C'était un serment de sportif : la piste eut vite fait d'exercer une invincible attraction sur l'ancien coureur. Nulle rentrée ne pouvait être plus brillante ni plus encourageante.

Didier débuta dans la carrière cycliste en 1908, à l'âge de vingt-sept ans, comme coureur de vitesse. Sa première grande victoire est obtenue dans une série du Grand Prix de Paris, en 1910, sur le champion du monde Dupré, devenu depuis lors, lui aussi, restaurateur à Villennes. En 1911, Didier évolue et se spécialise dans le demi-fond. Il a tour à tour raison de Darragon, Parent, Guignard, Sérès. En 1911-1912 et en 1916-1917, il est champion d'Hiver au Vélodrome d'Hiver. En 1913, il subit un accident à Hanovre, le dimanche qui précède le Championnat de France, et il ne peut participer à cette épreuve. Mais il gagne le match revanche de cette course en battant tous les records et en prenant sept tours au champion Guignard. En 1914, il part pour l'Amérique où il remporte vingt-deux courses sur vingt-trois.

L'entraîneur de coureurs de demi-fond

Après avoir été coureur entraîné par une motocyclette, Léon Didier prit le guidon de ces engins motorisés.

 

Le journal La Pédale nous le fait connaître dans son édition de novembre 1923, lorsqu'il entraînait le coureur cycliste Robert Grassin ; parmi "Les potins du cycle", voici celui le concernant :

Les lauriers de Robert Grassin empêchent quelques uns de ses adversaires de dormir. Il y a de petits jaloux partout. Un des adversaires de "Toto" nous déclarait l'autre jour :
- Grassin ? Mais il ne vaut rien. Enlevez-lui Léon Didier. Donnez-moi l'hôtelier de Villennes comme entraîneur et vous verrez...

Cet adversaire exagère. Léon Didier est un auxiliaire précieux pour Grassin. Mais, ce dernier a démontré sur la route ses qualités athlétiques. Pourquoi voulez-vous qu'il les ait perdues sur la piste. La jalousie provoque trop souvent des écarts de langage.

 


LE SECRET DE LÉON DIDIER, LE ROI DES ENTRAINEURS A MOTOCYCLETTE

Mon truc, nous dit-il, c'est d'observer les hommes - qu'ils soient mes poulains ou mes adversaires - de connaître leurs aptitudes et d'étudier très soigneusement la course, avant et pendant qu'elle se déroule.



Il emmène depuis des mois Robert Grassin à la victoire : il a fait triompher tour à tour, les jours de repos de son jeune champion, et Wynsdau et Keenan. Un jour, l'an dernier, au Parc des Princes, on lui demanda d'entraîner le jeune Fossier dans la seconde manche d'une course en trois manches, la moto du père Fossier ayant besoin d'une réparation urgente. Il prit Fossier derrière son engin et le fit triompher. Aussi, autour de Léon Didier, une légende s'est créée. Il est, pour certains, le roi des truqueurs ; pour d'autres, un être diabolique ; pour une dernière catégorie, un malin et un pacemaker qui connaît admirablement son métier. En tout cas, coureurs, adversaires et entraîneurs le considèrent comme ils regarderaient la peste, si la peste prenait figure humaine. Les commissaires l'observent à chaque seconde. Veut-il se moucher, vingt bras se lèvent. [...]

N'empêche, ses victoires incessantes, obtenues avec les uns et les autres, ont fait pour beaucoup de Léon Didier un être mystérieux et machiavélique. Et je vois très bien sa figure de chimpanzé malicieux sur une énorme affiche.

Léon Didier venait d'entraîner Grassin et il flânait autour de l'anneau de bois de la rue Nélaton ; le moment était bien choisi pour lui demander quel était son secret. Il accueillit ma question par un grand éclat de rire, qui dévoila d'énormes rides, mais un regard bleu plein d'intelligence :

- Mon secret, il est bien simple : au lieu de me laisser guider par un coureur, c'est moi qui le dirige en course, car j'ai la prétention de savoir ce que c'est qu'une épreuve et ce que peut rendre un homme...

- Et vous lui faites rendre le maximum ?

- Sans doute. On dit que mes poulains terminent quelquefois sur les genoux, mais ils terminent victorieux. Le tout, voyez-vous, c'est de bien connaître son coureur, de bien connaître ses adversaires aussi. Je sais ce que mon homme a dans le ventre, je le sais mieux que lui, et je conduis la course en conséquence. Dressé sur ma selle, j'observe. Je vois tel concurrent parti comme un fou. Je pense en moi-même : « Toi, mon vieux, tu n'en as que pour dix ou douze kilomètres. » Je ne veux « débiner » personne, mais beaucoup trop ne courent ou ne font pas courir avec leur tête. Ils courent en cherreurs *, au petit bonheur. [...]

GASTON BENAC.
Le Miroir des sports, 15/4/1925

* Qualificatif d'un aviateur qui  pilote habilement, surtout sur appareil de chasse


L'entraîneur, Léon Didier,
et le cycliste, Robert Grassin

En 1924, ce n'était plus Grassin qu'il entraînait sur les pistes mais son ancien concurrent Sérès :


Derrière Léon Didier, Sérès "fait du feu"

La guerre est déclenchée dans le monde des stayers. La bataille fait rage. On se regarde en chiens de faïence et chacun en met un furieux coup pour semer son voisin. C'est une chose dont le public ne se plaint pas puisque cela lui permet d'assister à des courses qui ne manquent pas d'animation.
C'est ainsi que le match de dimanche mettait en présence, d'une part Sérès entraîné par Léon Didier et Grassin entraîné par Pasquier, d'autre part Aeris et Paul Suter.

Sérès entraîné par Didier ! Eut-on jamais crû cela possible voici quelque dix ans et même depuis la guerre, avant la retraite du « bistrot » de Villennes ? Sérès et Didier, les deux plus acharnés adversaires que le monde du demi-fond ait jamais connus, sont maintenant deux amis ! Avouez que la chose ne manque pas de piquant et il a fallu, pour cela, toute la série d'incidents qui débuta par le divorce Grassin-Didier, ce dernier offrant successivement ses services à Linart, puis à Sérès pour venir à bout du « Gosse » qui ne veut plus reconnaître son ... papa sportif.

Et Didier a trouvé le moyen d'emmener Sérès à la victoire ; le champion de France, dont les dernières performances étaient plutôt quelconques, sembla retrouver, au rouleau de son ex-ennemi, sa plus belle forme. Il triompha de ses trois adversaires en poursuite et les rejoignit tous avant la limite.
Grassin prit la seconde place, n'étant battu que par Sérès ; Toto se défendit avec l'énergie du désespoir, mais fut cette fois impuissant à repousser l'assaut de Sérès. [...]

Léon Didier, un cabochard au grand c½ur



Incontestablement le roi des pacemakers des temps présents, et sans doute des temps passés et futurs. C'est qu'il n'y a pas de meilleur apprentissage pour apprendre à entraîner quelqu'un à moto que de s'être fait entraîner soi-même. Et Léon Didier était, vous le savez, il n'y a pas longtemps encore, l'un de nos meileurs stayers, champion de France en 1921, rival heureux de ce Sérès qu'il menait, dimanche dernier, à la victoire dans le sillage de sa moto. [...]

Je ne veux pas entreprendre de rappeler la carrière cycliste trop connue de Léon Didier, d'abord sprinter, puis stayer, puis entraîneur. Entre temps, il fut même hôtelier a Villennes. Nul ne sait, pas même lui, ce qu'il sera demain. J'aime mieux vous parler de son caractère. Ça en vaut la peine !

Fichu caractère ! disent les uns. Beau caractère, disent les autres. Les uns et les autres ont raison. Expliquons-nous ! D'une franchise plus que brutale, envoyant promener tout le monde, n'admettant pas de discussions, violent et pas toujours juste, voilà pour le mauvais caractère !

Loyal, courageux, foncièrement bon sans vouloir en avoir l'air, plus respectueux de la parole donnée qu'aucun autre coureur, travailleur, d'une honnêteté scrupuleuse : voilà pour le beau caractère.

Quelques faits pour illlustrer qualités et défauts de ce sportif de 41 ans. Rageur, râleur en course, Léon Didier a perdu bien des épreuves par sa mauvaise humeur. Qu'on se rappelle seulement le dernier championnat de France qu'il disputa et qu'il devait gagner, haut la main, descendant de machine pour un incident, accusant de partialité son entraîneur qui n'en pouvait mais, les officiels, ses soigneurs, etc., et regagnant le quartier sans écouter les supplications de ses meilleurs amis.

Léon Didier ne sait pas ce que c'est que de faire l'aimable, surtout avec les journalistes ; il n'a jamals compté que sur sa propre valeur. Par contre, il a bien souvent rendu service à des camarades sans que personne ne le sache ; il est fidèle à ses amis, fidèle à ses rancunes, fidèle à sa promesse, reconnaissant l'amitié témoignée.

Un seul exemple : Léon Didier, qui est sorti d'un milieu ouvrier, faubourien, fut dès ses débuts soutenu par un très puissant directeur de journal ; le petit débutant en casquette n'a jamais oublié les poignées de mains du grand directeur, au pauvre diable qu'il était alors. Un jour, dans une course organisée justement, par un autre directeur, concurrent du premier, Léon Didier, cependant devenu un Monsieur, se vit refuser l'entrée de l'enceinte réservée aux invités, sur l'ordre de ce directeur de journal ; il ne le lui a jamais pardonné.

Peu de temps après, s'ouvre Buffalo ; le Parc des Princes compte ses amis. Tous promettent de rester fidèles au Parc et de ne pas courir à Montrouge. Tous, les uns après les autres, se sont « dégonflés » devant les offres de Buffalo ; un seul a refusé les plus gros cachets, résisté aux pressions de ses amis, du public, des journaux : Léon Didier. Et lorsqu'on insistait pour savoir la raison de ce refus, le pacemaker se contentait de répondre : « J'ai dit une fois que je n'y courrais pas ; c'est tout. »

Tout Léon Didier est là !

Mais comme ce cabochard est aussi un grand c½ur, et que somme toute, il est assez humain de s'attacher à quelqu'un moins pour les services qu'on a reçus que pour ceux qu'on a pu lui rendre, mon petit doigt me dit que le divorce qui vient de faire plus de pétard que la propre moto de Didier, pourrait bien être moins définitif qu'il n'en a l'air. Et peut-être reverrons-nous avant peu le nez en l'air de Toto derrière la cotte, avec ou sans trous, de celui qui l'a fait le champion qu'il est.

Petit Masque.
Paris-soir, 1/3/1924


L'hôtelier-restaurateur villennois

 

 

Un dessin de l'article du magazine La Pédale, ci-dessus, qui le représente, porte cette légende :

Léon DIDIER

Que l'on appelle aussi quelquefois l'Hôtelier de Villennes, le Frégoli du demi-fond".

Si Didier soigne ses clients aussi bien qu'il tire Grassin, sa fortune est faite.

Un petit Deauville

[...] Les restaurants sont sur une hauteur. Chacun d'eux a sa terrasse, d'où on voit le fleuve et tout ce qui y passe ou s'y passe. Il y a les baigneurs, les pêcheurs, les baigneuses jolies et court vêtues, tout comme à Deauville, je vous dis ; puis, il y a les petits bateaux, qui vont et viennent, et les gros, qui, sans discontinuer, montent à Paris. On a devant soi les îles ; mais, par une échappée, on aperçoit une plaine immense bornée à l'horizon par de grands bois. Il fait bon s'attarder là, le matin et le soir, à l'heure des apéritifs ou du café et des liqueurs.

Je voulais déjeuner dans le bon endroit. Je cherchais. Une file d'autos me mit sur la voie. J'arrivai à une terrasse où, sous des parasols, devant des verres multicolores, des personnes étaient assises ; elles étaient fort élégantes et me semblaient avoir commandé un menu fort appréciable. Je pensai : voilà le bon endroit. A travers des marronniers, longeant des tables déjà dressées, je me dirige vers l'établissement.
J'accoste le directeur :
- Chez qui suis-je ici, je vous prie ?
- Chez Didier.
- Didier ?
- Léon Didier. Vous ne le connaissez pas ?
- Non, avouai-je, tout confus.
Nous autres journalistes, quand nous n'avons pas une spécialité, nous ne savons rien de rien. Léon Didier, gagnant du Grand Prix d'Auteuil en 1917 et en 1918, champion de France du demi-fond derrière motocyclettes en 1920.
Je fus tenté de tirer mon chapeau. Le directeur paraissait si fier du patron et si brave homme que je renonçai à la plaisanterie.
Et j'appris que Léon Didier, l'une de nos gloires sportives, s'était, en décembre dernier, disposant de quelques économies, improvisé hôtelier.
Pourquoi pas ? Carpentier rougit-il de vendre de la batterie de cuisine, et en aluminium ?
Toujours est-il que Léon Didier s'est montré à la hauteur de sa tâche. Pour la clientèle select qu'il recherche, parce qu'elle a ses préférences, il a transformé du tout au tout la maison de son prédécesseur. Vous qui avez vu le patelin, vous ne le reconnaîtriez pas. Des gens très bien y fréquentent, et des gens riches. J'ai vu un monsieur et une dame, venus en une belle Renault, se faire servir, entre autres choses, un poulet à l'ivoire et une bouteille de Champagne grande marque ; ferait-on mieux à Deauville ?
Je vous jure que je ne fais ici aucune réclame pour Léon Didier, champion de France du demi-fond derrière motocyclettes et hôtelier ; mais, parti à la campagne pour y découvrir quelque chose, je dis ce que j'ai vu. Tous les restaurants du lieu se valent peut-être ; ils sont, en tout cas, également bien placés.

Oh ! mon délicieux petit coin de terre, ce n'est pas Deauville ! M. Contuché ne peut être partout Mais on y villégiature entre gens du dernier bateau. Mettons que c'est un petit Deauville. Et mon petit Deauville, vous l'aviez deviné, c'est Villennes-sur-Seine. Je n'ai pas perdu mon dimanche !

Edmond Lainé
Le Gaulois, 18/7/21


Après le décès de Léon Didier, ses amis, coureurs cyclistes, continuèrent à venir à Villennes pour se ressourcer.

C'était le cas de Marcel Guimbretière (1909-1970), dont Léon Didier était le mentor et l'ami ; il avait très souvent résidé dans son hôtel pour s'entraîner et se reposer.

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Michel Kohn