Ernest Levallois, maire parisien et villégiaturant villennois,
du négoce de tissus vestimentaires
à l’amélioration et l’embellissement du tissu urbain de Paris

Deuxième partie


Dans cet article en trois parties, nous laissons le premier propriétaire de la villa L'Aubrière de Villennes se présenter lui-même.

Lien vers la première partie.

Une affaire explosive !



J’ai écrit dans Les idées d’un maire de Paris que chaque actionnaire, dans son propre intérêt, devrait prendre une connaissance exacte et précise de la société où il se propose d'engager ses fonds. C’est ce que j’aurais dû faire avant de m’associer avec Eugène Turpin(3), ingénieur chimiste, Charles Coget, industriel, et un ancien avoué pour former la société La Plancastite (Explosifs Turpin).

Elle avait pour objet « La mise en valeur, l'exploitation sous toutes les formes tant en France qu'à l'étranger des inventions de M. Turpin, ainsi que la vente ou la cession des différents brevets relatifs auxdites inventions ».

La Plancastite était un explosif, dont l’avantage considérable était la sécurité de son transport : les deux produits qui servaient à sa fabrication pouvaient être transportés isolément et mélangés sur le lieu de leur utilisation.

Le Bureau des poudres et salpêtres du Ministère de la Guerre s’est approprié sa nouvelle poudre, qu’il a nommée Mélinite, sous le prétexte qu'Eugène Turpin n’en était pas l’inventeur car l’acide picrique dont elle était composée était connu depuis longtemps. Toutefois, son usage n’était pas dans son application pour le chargement de canons, d’obus et de torpilles, pour laquelle il avait pris plusieurs brevets mais, dans mon domaine, pour la teinture en jaune de la soie et de la laine ! Exploitant les propriétés explosives de l'acide picrique, il avait, toutefois, découvert le moyen de stabiliser et de manipuler cette substance pour l'utiliser comme explosif.

Ce nom Mélinite est devenu célèbre, au point qu’une femme-canon, qui se produisait au Cirque d’été des Champs-Elysées, l’a choisi pour son spectacle.



Eugène Turpin a été nommé, en 1886, Chevalier de l'Ordre national de la Légion d’honneur(a),  à la demande du général Ladvocat, commandeur de l'ordre.

Celui-ci fut l'un des généraux de l'artillerie qui le frustrèrent, deux ans plus tard, du fruit de son génial labeur. Pourquoi cet ingénieur chimiste fut-il "rayé des matricules par mesure disciplinaire" en 1891 ? Il venait d'être condamné à cinq ans de prison et 2000 F d'amende pour infractions à la loi sur l'espionnage !



Après qu’il ait vendu ses procédés de fabrication au Ministère de la Guerre, mais à des conditions peu satisfaisantes, un procès lui a dénié la qualité d’inventeur de la Mélinite.

A maintes reprises, des articles non signés avaient été lancés dans les journaux pour jeter la déconsidération sur ses travaux et sur lui-même.




Le petit Parisien, 24/4/1893

C’est une autre campagne d’opinion, à laquelle participa Le Petit Journal, qui permit d’obtenir sa libération de la prison d’Etampes où il avait passé vingt-trois mois ; il avait été accusé, à tort, d’avoir dérobé un détonateur à l’arsenal de Puteaux et divulgué des secrets intéressants la défense nationale, dans le livre dans lequel il dénonçait les généraux de l’artillerie qui l’avaient spolié !



Le Petit Journal, 18/5/1894

Ses ennuis ne s’arrêtèrent pas alors : il perdit le procès qu’il avait intenté à Jules Verne qui s’était inspiré de son histoire pour tracer le portrait d’un savant fou, dans son roman Face au drapeau, et à son éditeur Jules Hetzel.

L’écrivain, défendu par le futur président de la République, Raymond Poincaré, fut relaxé mais une correspondance avec son frère Paul révéla qu'il s'était effectivement inspiré d’Eugène Turpin pour son roman.





Des démêlés entre cet incontestable inventeur et la société La Plancastite, dont j’étais actionnaire, intervinrent alors qu’il essayait de vendre ses brevets en Angleterre : nous fîmes opposition car ils les avaient apportés à la société, lors de sa formation.

Finalement, c’est le gouvernement français qui vendit, indirectement, la Mélinite à la société Armstrong qui la nomma Lyddite en fonction du nom Lydd de la ville, où se trouvaient l'atelier et le terrain où elle avait fait des expériences.

L’intermédiaire, spécialisé dans l’espionnage, qui lui avait livré des documents importants et confidentiels du Ministère de la Guerre sur le détonateur et le chargement des obus, est devenu le représentant de cette société anglaise. Bientôt, celle-ci a vendu ses nouveaux obus d’origine française à l’Italie, qu’elle armait ainsi contre notre pays !

Ayant été nommé président du conseil d’administration de la société La Plancastite, en remplacement de Charles Coget décédé, c’est moi qui ai dû procéder à la vente de l’immeuble qu’elle possédait, rue du Roule, en exécution d'un jugement rendu par la chambre des saisies immobilières du Tribunal de la Seine. Cette aventure n’avait pas eu la douceur du miel dont le nom avait formé celui de la Mélinite, qui avait la même couleur jaune !

Qu’étais-je allé y faire alors que je propageais les idées pacifistes et je proposais la création de la Ligue de la Paix Universelle ?




Sources consultées sur Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France

1. Bulletin de la Chambre de commerce de Paris - Cinquantenaire de la Chambre syndicale des tissus et nouveautés de France (20/4/1912)

2. Journal Le Matin (4/5/1911)

3. Comment on a vendu la mélinite : avec 18 lettres autophototypographiées et 5 planches, Eugène Turpin, éditeur : A. Savine, 1891
et Nécrologie d’Eugène Turpin dans La Nature, 1927


Autres archives consultées sur Internet

a. Base Léonore des Archives nationales

b. Nombreux divers sites Internet


Lire la troisième et dernière partie.


Michel Kohn