Ernest Levallois, maire parisien et villégiaturant villennois,
du négoce de tissus vestimentaires
à l’amélioration et l’embellissement du tissu urbain de Paris

Troisième partie


Dans cet article en trois parties, nous laissons le premier propriétaire de la villa L'Aubrière de Villennes se présenter lui-même.

Lien vers la première partie.

Retour à la deuxième partie.

Honneurs et décorations



Avant même que je sois devenu maire, mais j’étais maire adjoint depuis 10 ans, j’ai été nommé Chevalier de la Légion d’honneur en 1880. Le Ministre du Commerce voulait me récompenser pour mes actions professionnelles comme il était écrit dans mes états de service(a) :
- Président de la Chambre syndicale des tissus et nouveautés depuis 15 années ;
- Membre des comités d’admission et d’installation des expositions de 1878 et d’Amsterdam ;
- Membre du jury de l’exposition de Barcelone ;
- Expert du Ministère du Commerce ;
- Arbitre du Tribunal du Commerce.

En 1881, j’ai eu le plaisir d’être nommé Officier d'académie par Jules Ferry, Président du conseil et Ministre de l'instruction publique et des beaux-arts.



Maire du IIe arrondissement



J’avais acquis une notoriété, dans mon arrondissement parisien et en France, qui me firent nommer maire adjoint en 1879 puis maire en 1907. A cette époque, les maires d’arrondissement n’étaient pas élus mais choisis par le ministre de l’Intérieur. En effet, pendant plus d'un siècle, la ville de Paris, administrée par l'État, n'avait pas de maire. Depuis le redécoupage de la capitale en vingt arrondissements, en 1859, le chef de l'État désignait pour chaque arrondissement, un maire et deux adjoints, choisis parmi les citoyens les plus imposés, nommés pour trois ans mais révocables. Une loi de 1871 a augmenté le nombre d'adjoints à trois, la durée du mandat devenant indéterminée.

En cette année très troublée, j’avais déjà été officier municipal du IIe arrondissement. J’avais obtenu, par un appel aux chambres syndicales de la Seine, dès les premiers jours de la Commune, une conciliation entre Versailles et Paris. Malheureusement, elle n’a pas abouti !

Mes principales actions, en tant que maire, pour l’élimination des embarras de circulation ainsi que pour la propreté et l’embellissement de mon quartier et de Paris ont fait l’objet de plusieurs de mes livres. Ayant développé diverses œuvres de solidarité et de mutualité, j’ai préconisé la construction, devant l'église Saint-Nicolas-des-Champs, dont on aurait rafraîchi l'aspect, d'une « Maison de la Mutualité » avec un monument aux hommes qui se sont dévoués à cette grande œuvre de solidarité sociale. Ce n'est qu'en 1930 qu'elle a été construite, à côté d'une église mais dans le Ve arrondissement.

La première Caisse des Ecoles avait été fondée, en 1849, dans le IIe arrondissement ; c’est lorsque je suis entré à la mairie, trente ans plus tard, qu’elle a reçu des sommes importantes, dont une partie s’est répandue dans le commerce parisien, grâce au bal que j’ai créé.

Cette réussite qui a duré est la preuve que les œuvres humaines restent faciles et durables, quand elles donnent satisfaction au plus grand nombre, sans nuire jamais à personne. Le Comité de la Caisse des Ecoles réunissait dans son sein l’élite de nos concitoyens, appartenant à toutes les opinions philosophiques, tolérants et respectueux des opinions et des idées d’autrui.






Lors des distributions des prix aux élèves des écoles communales, mêlant la leçon de choses à mon discours, j’ai fait appel au concours d'un Gramophone qui, à la grande joie de mes auditeurs, grands et petits, leur a récité de charmantes fables de La Fontaine, des monologues, et chanté avec maestria nos airs nationaux.

La presse parisienne(5), qui a écrit que mon discours avait été « une fort intéressante conférence sur le parti qu'on pourrait tirer des inventions modernes telles que le phonographe et le cinématographe, appliquées à l'instruction de la jeunesse », a souhaité que le Gouvernement prenne en considération le vœu émis par ma leçon de choses.



J’ai proposé divers projets pour enjoliver Paris : l’embellissement et l’amélioration de la Bibliothèque Nationale, du pont de la Concorde, du Passage des Panoramas ; l’agrémentation du Palais Royal au moyen de jardins suspendus.




J’ai suggéré que les principales rues et avenues de Paris aient chacune leur jour ou plutôt leur soir de réception, ne fermant pas, ces soirs-là, leurs magasins à l'heure ordinaire mais laissant leurs vitrines éclairées au moins jusque minuit, de manière à laisser aux foules venues des autres quartiers la possibilité d'admirer la splendeur des étalages et l'éclat des devantures.

Des idées issues de l’expérience de maire parisien

J’ai publié plus de cinq livres(4) où j’ai rassemblé mes idées, notamment pour l’amélioration de notre ville capitale.

Paris propre !


Photographie d'Eugène Atget, 1898, Gallica/BnF

Cet ouvrage résume mon combat pour nettoyer Paris qui était devenu de plus en plus sale. C’était une honte de voir les murs de Paris salis par ces amas d'affiches collées les unes sur les autres. J’ai blâmé aussi le trop long temps qu'on les maintenait à seule fin d'en retirer une publicité productive.

La publicité était devenue indécente. Nous la retrouvions partout, à notre porte, jusqu'en rase campagne où elle déshonorait les paysages les plus délicieux. Elle était même cynique, quand elle recouvrait mal  les inscriptions « Défense d'afficher ».

Les propriétaires ignoraient qu'ils pouvaient arrêter, dès qu'ils le voudraient, cette invasion hideuse de papiers multicolores. En effet, chacun pouvait réclamer 100 francs, par affiche, de l'industriel dont elle portait le nom. La condamnation ne comportait pas de sursis. Nous avions fait une expérience dans le quartier du Sentier mais il a été fâcheux que ce fût un malheureux professeur de danse qui, le premier, ait subi les foudres du tribunal.



Depuis que j’étais maire du IIe arrondissement, je n’avais cessé de protester contre la saleté de Paris : la première ville du monde était couverte d'ordures et de crasse ; partout, dans n'importe quelle rue ou boulevard, nous retrouvions, le long des chaussées, le même ruisseau, les mêmes trottoirs abjects !

J'ai lancé l'expression "poche restante" afin d'inciter les Parisiens à ne pas jeter des prospectus dans les rues. J’ai proposé le moyen d'en rendre l'usage utile, sans nuire à personne, en les timbrant : des vignettes à la Semeuse, d'un ou plusieurs centimes, auraient porté des numéros de tombola.

Pour supprimer de nos trottoirs les déjections canines, j'avais imaginé un projet de lavatories pour chiens avec cabinets spéciaux pour bêtes de race. Afin de rendre les passants moins négligents, j'avais conseillé de frapper les délinquants d'amendes immédiates, comme en Angleterre, dont les policemen exigaient 12 shillings pour ne pas tenir son chien en laisse, deux livres pour excès de vitesse, sept schillings pour tout papier jeté dans la rue.


Il n'était pas féroce de demander aux habitants douze jours de lavage par an, alors que ceux du Nord faisaient, tous les samedis, une lessive générale. Pour habituer nos administrés à prendre des habitudes de propreté flamande, j’ai suggéré que, le premier jour du mois, les habitants du premier arrondissement lavent les soubassements de leurs maisons à grande eau, que le Sentier continue le second jour et ainsi de suite.

Le tramway criminel



Dans ce quartier du Sentier, nous avions d'autres sujets de mécontentement, dont le principal était le tramway, le maudit tramway de la rue du Quatre-Septembre, devenu fameux par les travaux qui exaspérèrent les habitants. Le trolley avait été enlevé mais le tramway a subsisté dans cette rue trop étroite, où le regretté Waldeck-Rousseau faillit être sa première victime.

Les conséquences étaient désastreuses pour le quartier : peu à peu, les grands magasins ont déserté l'arrondissement inextricable et ont été, à peu près tous, remplacés par des marchands de vin ! Nous imaginions les temps proches où chaque rez-de-chaussée serait occupé par un bar !

Ces encombrants et bruyants véhicules, effectuant trois cents courses par jour pour l'ensemble des lignes, occasionnaient un branle-bas colossal et continu, une folie de circulation, une trépidation du sang dans les artères, qui était une menace de mort plutôt qu'une promesse de vie. La rue du Quatre-Septembre n'a que 20 mètres de largeur, ce qui était insuffisant pour permettre le passage sans danger, d'un tramway sur double voie alors que le boulevard Magenta et le boulevard Sébastopol ont chacun 30 mètres et le boulevard Malesherbes 34.

Il fallait supprimer ce tramway criminel ! Les autobus d'une part, le métro d'autre part ont très bien pu le suppléer.

Je faisais tous mes efforts pour transformer esthétiquement les plus belles voies de Paris et veiller à leur propreté. Dans ce but, j'ai fondé l'Association Parisienne de l'Art dans la Rue, qui n'avait pas pour objet de décorer les murs de peintures diverses comme celles auxquelles vous avez donné le nom street art.

Elle a, notamment, proposé de faire de la Place de la Bourse une place artistique lorsque le tramway aura été supprimé.





Elle a été aménagée avec de frais jardins, des kiosques gracieux pour les journaux et des lavatories souterrains.

Des idées pour tous les Français et pour tous les Hommes

Pour la France


Dans les élections législatives et municipales où l'intérêt particulier était sans cesse en lutte avec l'intérêt général, j’ai réclamé deux votes successifs pour chacun, au milieu d'un vote unique les englobant tous les deux.

Par suite des évolutions continues de la vie sociale, les lois devraient être révisables tous les dix ans. Dans l'instruction qui est la base de la civilisation, pourquoi les progrès de la science ne seraient-ils pas à son service, en mettant à la disposition des pèlerins intellectuels, des voyageurs de la pensée, des automobiles munies de phonos et de cinématographes ?

Pour combattre les abus, chaque citoyen n'aurait-il pas été heureux de trouver auprès de chaque boîte à lettres des enveloppes anonymes où il aurait glissé ses doléances ou ses récriminations ? A l'adresse des solliciteurs qui oubliaient trop que « times is money », le prélèvement d'un impôt de vingt francs pour chaque audience ministérielle aurait, peut-être, eu pour résultat de refroidir leur zèle.


Pour l’humanité

Avec la pacification qui a marqué le début du XXe siècle,  l'armée, cette synthèse de la nation, aurait pu aisément devenir à la fois une école de devoir moral, de fraternité universelle et d'apprentissage professionnel pour l'édification de l'entente cordiale européenne. Le salut du pays ne serait-il pas venu pas du développement continu de la décentralisation, de la fusion de toutes les religions dans un temple unique, et dans des conférences internationales promouvant une réconciliation de tous les peuples.

J’avais imaginé une œuvre internationale que j’avais nommée le Sou de la paix, dont le montant aurait été employé à la fondation de prix en argent, distribuables aux diverses nationalités, et à l’achat d’œuvres d’art acquises au concours, chez chacune d’elles. On en aurait composé un challenge qui aurait été décerné à la nation qui aurait produit les plus belles œuvres de fraternité humaine. Ce grand prix décennal serait devenu la propriété du pays vainqueur et l’objet de pèlerinages internationaux, de telle sorte que tous les peuples appelés à se visiter mutuellement, comme l’usage avait commencé à s’en établir depuis l’Entente cordiale avec l’Angleterre. Malheureusement, tous les chefs d’Etat ne sont pas présentés le rameau d'olivier à la main, la parole franche aux lèvres.

En 1905, j’avais imaginé une première manifestation décennale qui aurait eu lieu 10 ans plus tard. Alors, je n’étais plus de ce monde et la guerre avait supplanté la paix !



Le Petit Parisien, 26/11/1905


L’œuvre du Sou de la paix n’avait pas pu se concrétiser avant cette Première Guerre mondiale mais elle été établie en 1937 à l’initiative du Rassemblement universel pour la paix. Deux millions de Cartes du Sou de la Paix, ont été alors placées dans tout le pays, constituant la base du Plébiscite français et témoignant de la volonté pacifique des masses.

Ce financement de la propagande pour la paix n’a pas suffi ! Le projet des pacifistes d’établir, dans le cadre de la Société des Nations, un mécanisme efficace pour remédier aux situations internationales susceptibles de provoquer la guerre, n’a pas eu le résultat espéré.


Sources consultées sur Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France

1. Bulletin de la Chambre de commerce de Paris - Cinquantenaire de la Chambre syndicale des tissus et nouveautés de France (20/4/1912)

2. Journal Le Matin (4/5/1911)

3. Comment on a vendu la mélinite : avec 18 lettres autophototypographiées et 5 planches, Eugène Turpin, éditeur : A. Savine, 1891
et Nécrologie d’Eugène Turpin dans La Nature, 1927

4.  Les principaux ouvrages d’Ernest Levallois :
- La Loi électorale municipale, par un adjoint... Signé E. Levallois, 1884 ;
- Les idées d’un maire de Paris, 1906 ;
- Paris propre !, 1910 ;
- Une France nouvelle, 1907 ;
- L'État, c'est nous, 1911.

5. Journaux et revues de l’époque :
- L'Aurore ;
- Excelsior ;
- Gil Blas ;
- Le Journal ;
- Le Journal des économistes ;
- Le Matin ;
- L'Œuvre ;
- Omnia ;
- Le Petit journal ;
- Le Petit Parisien ;
- Le Radical ;
- Le Rappel ;
- Regards ;
- La Revue illustrée ;
- Le XIXe siècle.


Autres archives consultées

a. Base Léonore des Archives nationales

b. Nombreux divers sites Internet


Michel Kohn