Ernest Levallois, maire parisien et villégiaturant villennois,
du négoce de tissus vestimentaires
à l’amélioration et l’embellissement du tissu urbain de Paris

Première partie


Dans cet article en trois parties, nous laissons le premier propriétaire de la villa L'Aubrière de Villennes se présenter lui-même.

Parisien et Villennois



Né à Paris en 1833, décédé à Villennes-sur-Seine en 1912, j’étais l’un des nombreux habitants de la capitale qui ont établi leur villégiature dans ce beau village du bord de la Seine.

J’y ai trouvé la tranquillité qui me reposait après les semaines de labeur dans le vacarme et les embarras des quartiers du Sentier et de la Bourse, tout particulièrement de la rue du 4 septembre ; c’était le cadre idéal pour rédiger mes divers ouvrages.



Trois jours après mon dernier souffle, j’aurais pu fêter mon 79e anniversaire. Le maire de Villennes, Alfred Laumonier, était un hôtelier de Paris ; je n’avais pas souhaité devenir le deuxième Parisien à gérer la commune de Villennes car j’étais déjà maire, celui du deuxième arrondissement de la capitale. Je suis retourné à Paris, au cimetière du Père-Lachaise.


Mon double prénom Pierre Ernest m’a, parfois, fait confondre avec un homonyme, artiste peintre ; ce n’est pas moi qui figure sur le croquis nommé Les Artistes Pierre Ernest Levallois et Blussé dans l’atelier de Jacques-Fernand Humbert et Henri Gervex ; il a été dessiné, l’année de ma naissance, dans l’académie de peinture qu’il fréquentait en compagnie de Jacques Emile Blanche, notamment.



J'ai habité, avec mon épouse Marie-Louise, dans un ancien hôtel particulier de la rue des Petites écuries, qui avait été construit en 1782 par un élève de Boullée.

Sa somptueuse salle à manger ovale éclairée par une coupole vitrée, au décor (sphinx, animaux divers, vases de fleurs et de fruits) de marbre et stuc, son plafond décoré d’une bacchanale de Proud’hon ainsi que son escalier aux peintures de style pompéien l’ont fait classer au titre des Monuments historiques en 1933.

A la fin du siècle, alors que j’avais fait construire ma villa villennoise, l’adresse de mon domicile parisien était celle de mon magasin.

Négociant en tissus et nouveautés dans le Sentier

Le magasin de la rue du Sentier

Alors que mon père était caissier, j’ai choisi le commerce dans le domaine des tissus et de ce que vous appelez la mode ; à mon époque, c’était les nouveautés.

J’ai installé mon magasin au 24 de la rue du Sentier qui a donné son nom au quartier resté spécialisé dans la confection et le commerce des vêtements.





J’avais d’abord un associé nommé M. Delon qui n’avait toutefois aucun lien avec un acteur du cinématographe de la fin du XXe siècle.

Ma société, devenue Levallois et Cie, a été exploitée par ma famille, après ma disparition, jusque dans les années 1930.


La Chambre syndicale des tissus et des nouveautés de France

J'ai été le fondateur de l'organisation nationale représentant notre profession, que j’ai présidée. Si le banquet  qui, en mars 1912, a célébré son cinquantenaire avait eu lieu sept mois plus tard, je n'aurais pas pu y participer. Le président de la Chambre de commerce de Paris, qui m’a alors remis un parchemin me confirmant président d’honneur(1), a félicité tous nos confrères :

« Messieurs, les industries des tissus et des nouveautés pour robes et ameublement que vous représentez, avec tant d'honneur ont déjà remporté les plus grands succès en France et à l'étranger. Ces succès, vous les devez à vos dons naturels, à vos facultés Imaginatives, à votre génie créateur, à votre esprit d'invention, aux combinaisons les plus heureuses et les plus fantaisistes, à ce mélange ingénieux des diverses fibres textiles, enfin à je ne sais quel cachet subtil que vous savez sans cesse renouveler pour donner un aspect spécial à vos produits les plus simples comme les plus compliqués, aux tissus à la portée de toutes les bourses comme aux étoffes plus luxueuses et d'un prix élevé. Vous justifiez dans vos industries la vogue que vous reconnaissent les étrangers, qui viendront toujours chercher à Paris les véritables modèles du goût. »




Nos fournisseurs étaient les manufacturiers de Roubaix qui ont, également, été remerciés lors de cette soirée d’anniversaire. L’Exposition internationale du Nord de la France qui avait rassemblé près de 3500 exposants dans cette ville, l’année précédente, a alors été évoquée. J’y avais présenté ma principale nouveauté textile : le tissu antirhumatismal Caloric Excelsior(2).

Parmi les membres de l’industrie lainière de Roubaix se trouvait la société de la famille Despature mais ce n’est qu’en 1953 que ses descendants créèrent le Thermolactyl, en mettant à profit les principes de la triboélectricité, afin de réaliser des tricots de peau protégeant du froid et de l’humidité ; les trois frères qui eurent cette idée avait une tante percluse de rhumatismes !

J’avais eu, le premier, cette volonté en faisant produire un tissu composé de matières diverses appartenant au règne végétal et au règne animal, traitées de façon spéciale, dont les propriétés électro-chimiques généraient un regain d'activité de la peau dans la circulation ; le développement calorique produit était bienfaisant pour quiconque était tributaire de l’arthritisme.

Mon tissu Caloric Excelsior avait déjà obtenu un grand prix aux expositions de Bruxelles et de Buenos-Aires. Souple et résistant à la fois, il pouvait être employé en bandes qui maintiennent sans comprimer et dans des vêtements, trouvant leur application chez tous ceux qui souffrent de douleurs, les rhumatisants. Ce tissu s'employait en chemises, vêtements de toutes sortes, combinaisons, blouses, corsages et même draps de lit.

Discours de Charles Legrand, président de la Chambre de commerce de Paris, le 27 mars 1912

Je ne puis oublier que, lorsque je suis entré dans votre Syndicat il y a bientôt trente-cinq années, comme le rappelait tout à l'heure M. Maurin, c'est précisément le héros de ce soir qui me servit de parrain […]. C'est donc une grande joie pour moi de m'associer à la fête que vous offrez au sage Nestor de notre Syndicat, qui est en même temps le maire si dévoué du IIe arrondissement de Paris, le noble quartier du Sentier où se trouve l'Hôtel de la Chambre de Commerce.

J'ai ainsi la bonne fortune d'apprécier souvent l'activité intellectuelle de cet administrateur zélé, son ardeur pour le bien public, son souci de la beauté de Paris et particulièrement de son arrondissement, et j'ai profité en outre, pendant les heures agréables d’un trop court voyage en Italie de son humour, de son bon sens, de sa finesse d'esprit. Car notre jeune et alerte vétéran est universel. Ecrivain de premier ordre, photographe émérite, économiste avisé, philosophe, non pas sans le savoir, mais au contraire très averti et de grande expérience, voici qu'il est devenu financier hors ligne et, grâce à l'emploi d'un timbre-poste particulier, dont il vous a tous certainement entretenus, il se fait fort d'équilibrer notre budget national en recettes comme en dépenses et il n'a pas hésité à aller, comme un de nos anciens rois, frapper à la porte de notre Surintendant des finances, en lui disant : « Ouvrez-moi, c'est la fortune de la France que je vous apporte. »


Sources consultées sur Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France

1. Bulletin de la Chambre de commerce de Paris - Cinquantenaire de la Chambre syndicale des tissus et nouveautés de France (20/4/1912)

2. Journal Le Matin (4/5/1911)


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Michel Kohn