La dernière traversée, fluviale, de notre territoire
par l'empereur Napoléon Ier

Deuxième partie



Nous sommes en retard pour commémorer le bicentenaire de la mort de Napoléon Bonaparte ; par contre, ne sachant pas où et dans quel état nous serons dans dix-neuf ans, nous prenons de l'avance pour relater le retour de ses « cendres », transportées cérémonieusement par la Seine.

Après un résumé de l'origine et de la première partie de l'expédition, nous la suivrons pendant les journées du samedi 12 décembre 1840 et du lendemain, entre Mantes et Maisons, grâce au récit de personnes qui y ont participé. Nous connaissons plusieurs habitants de nos rives de la Seine dont le fort souvenir de Napoléon les a, certainement, fait assister au passage de la flottille. Victoires et défaites ! Pour ou contre l'empereur Napoléon ? Déjà, lors du retour de son exil en captivité à Sainte-Hélène, les opinions étaient diverses sur les deux rives de la Seine dans notre territoire, comme le montrent deux témoignages qui auraient pu être recueillis par un ancêtre du journal local, que nous nommons La Gazette séquanienne.

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Les vraisemblables hommages de trois habitants de villes riveraines de la Seine

La Gazette séquanienne ne nous a pas confirmé la présence, sur les bords de la Seine, de trois habitants de notre territoire qui ont pu assister, en bonne place, au passage de la flottille.

Aux Mureaux, Napoléon Daru, propriétaire du Château de Bècheville

Napoléon Daru

Il était le fils de Pierre Daru, comte d'Empire ; l'empereur Napoléon, qui lui avait demandé d'élaborer un nouveau code militaire afin de réorganiser l'armée de terre, en avait fait l'éloge, à Sainte-Hélène, en ces termes  : « Il joint le travail du b½uf au courage du lion ». Son fils avait été baptisé Napoléon, lorsque l'empereur et Joséphine étaient devenus son parrain et sa marraine. Il a mené une carrière militaire, avec le grade de capitaine en 1840, et avait succédé à son père à la Chambre des pairs.


A Meulan, Claude Ursule Gency, ancien général de division, baron d'Empire(6)

Militaire depuis 1783, nommé général de brigade en l'an II de la République, il participa aux sièges de Charleroi et de Maastricht avant de prendre part à la pacification de la Vendée sous les ordres du général Hoche. Il fut engagé dans de nombreuses guerres napoléoniennes avec l'armée d'Italie, puis il participa aux batailles de Friedland et de Wagram, où il fut, plusieurs fois, blessé.  Commandeur de la Légion d'honneur dès la fondation de l'ordre par Napoléon 1er, il reçut le commandement de la Hollande du Nord. En 1814, le général Gency s'est mis au service de la défense des habitants de Meulan, sa ville natale, contre les Cosaques. A son retour de l'île d'Elbe en 1815, Napoléon Ier le maintint dans le commandement du Département de l'Eure et le nomma lieutenant-général honoraire. Il s'est retiré à Meulan, où il a été inhumé.

A Vaux-sur-Seine, le propriétaire du château, le sculpteur Carlo Marochetti

Carlo Marochetti, photographié par Antoine Claudet

Le château avait été acquis, en 1819, par un baron d'Empire : son père Vincenzo (Vincent) d'origine turinoise, avocat à la Cour de cassation et au Conseil d'Etat, qui avait été l'un des avocats de Napoléon.

Après ses études à l'Ecole des Beaux-Arts et dans l'atelier de François-Joseph Bosio, Carlo Marochetti a poursuivi sa formation à Rome. Revenu à Paris, il a obtenu des commandes publiques après avoir exposé au Salon de 1827. Dès la décision du retour des cendres de l'Empereur, Louis Philippe avait souhaité ériger un tombeau sous le dôme des Invalides : un cénotaphe impérial surmonté d'une statue équestre de près de cinq mètres. Carlo Marochetti remporta le concours. Cet artiste, qui avait collaboré au décor de l'Arc de Triomphe, venait de livrer une impressionnante statue équestre d'Emmanuel-Philibert de Savoie. Il réalisa, dans son atelier de Vaux-sur-Seine, cette statue, représentant l'empereur à cheval, en habit militaire, portant le collier de la Légion d'honneur autour du cou et un sceptre à la main ; elle était l'une des premières sculptures en bronze mais le projet du monument fut abandonné en 1849, faute de crédits.

En France, Carlo Marochetti a été chevalier de la Légion d'honneur mais c'est le Roi de Sardaigne qui l'a créé baron. Il fut maire de Vaux-sur-Seine, comme l'avait été son père.

Témoignages de deux proches d'anciens généraux de Napoléon Bonaparte

Comme La Gazette séquanienne ne peut pas être trouvée dans les archives publiques, nous avons reconstitué ces évocations du passage de la flottille dans notre territoire ; ces témoignages sont, toutefois, très peu imaginaires.

Victor de Latour-Foissac, à Vilaines (Villennes aujourd'hui)

« Je n'ai pas vu la flotille remonter la Seine. La raison n'est pas que l'Île de Mignot empêche, depuis ma demeure, le Château d'Hacqueville, d'apercevoir le grand bras du fleuve. Si mon père était encore de ce monde, il n'aurait pas voulu voir revenir de son exil lointain celui qui l'avait envoyé en exil intérieur à Vilaines.

Sous-lieutenant au 7e régiment de dragons, j'étais son aide de camp lorsque j'ai participé avec lui à la défense de Mantoue, dont il était le gouverneur. Après la prise, par l' armée autrichienne, de la ville qu'elle assiégeait, Bonaparte l'avait destitué, lui retirant le droit de porter un uniforme militaire à l'avenir. Il a acquis Hacqueville, où il a vécu ses trois dernières années en "résidence forcée", sous la surveillance de la Police d'Etat.

Mon frère ainé, général de division, et moi-même, colonel, nous avons suivi sa voie. Nous avons hérité du Château d'Hacqueville  après avoir aidé notre père pour payer des sommes énormes afin de rétablir tous les bâtiments, le parc et les murs de clôture. J'espère qu'ils résisteront plus de deux siècles. La dépouille de Napoléon reste, seule, dans la chapelle Saint-Jérôme de l'Eglise Saint-Louis des Invalides. Mon père et ma mère, reposant dans la chapelle de notre Domaine d'Hacqueville, seront entourés par leurs deux fils et mes descendants ! »

Le général François Philippe de Latour-Foissac

La ville où il est né au milieu du XVIIe siècle, Minfeld, est une ville allemande, très proche du nord de l'Alsace, qui faisait partie de 1792 à 1815 du département français du Bas-Rhin ; le futur général s'était fixé en Alsace, notamment à Phalsbourg, où son grand-père avait été lieutenant colonel, son père ayant été capitaine au régiment d'Alsace.

Il est donc logique qu'il ait été choisi pour lever, pendant plusieurs années, le cours du Rhin, avant de rédiger des mémoires d'attaque et de défense pour les rives de ce fleuve frontière.

Après sa  participation, en tant que capitaine à la guerre d'indépendance américaine, il devint chef du génie à Phalsbourg ; il y construisit la fontaine royale, ouvrage hydraulique qui fut alors considéré comme un chef-d'½uvre, et il rédigea trois volumes sur la guerre de sièges pour l'instruction des jeunes officiers.

Au moment de la Révolution, capitaine de la Garde Nationale du canton de Phalsbourg, il devint membre du directoire du département de Meurthe. Tout en se montrant favorable aux idées nouvelles, il eut un rôle modérateur et protégea notamment les membres de la colonie israélite locale. Les hostilités contre l'Autriche et la Prusse le rendirent à la vie militaire et accélérèrent son avancement jusqu'au grade de général de brigade provisoire.

Pendant la terreur, il fut suspendu et emprisonné mais le comité de Salut Public le réintégra comme chef de bataillon avant sa nomination au grade de général de brigade. Après plusieurs affectations, il a rejoint à l'armée d'Italie ; en tant que gouverneur de Mantoue lors de l'invasion de la péninsule par les Austro-Russes en 1799, il dut défendre la place dans des conditions très difficiles. Il capitula après avoir résisté pendant quatre mois, n'ayant pas pu mettre en ½uvre ses enseignements sur la guerre de sièges !

Correspondance de Napoléon Ier au citoyen Carnot, ministre de la guerre, relative à la destitution de François Philippe de Latour-Foissac

Félicité Lepic née Geoffroy, à Andrésy

« Au milieu de nombreux habitants d'Andrésy, mes deux fils et moi, nous sommes allés, non loin du Manoir, notre propriété familiale, sur la berge de la Seine près du confluent de l'Oise, pour rendre hommage à Napoléon.

Malheureusement, mon cher époux Louis qui l'avait accompagné pendant de nombreuses années, n'est plus là. Notre fils Antoine Joachim Hippolyte a disparu, également mais très récemment, trop tôt à l'âge de 29 ans : capitaine de spahis en Algérie, il était l'un des 10 000 soldats français commandés par les ducs d'Orléans et d'Aumale, lorsqu'il est mort au combat près de Blida, en avril dernier.

J'ai tenu à ce que son frère Jacques Philippe Auguste soit avec nous pour saluer l'empereur, à son passage. Sous-lieutenant dans le corps des spahis 'Oran, il est revenu d'Algérie avec une citation à l'ordre de la division pour sa belle conduite au combat ; il vient d'être nommé capitaine au 9e Hussards.

Notre fils aîné, Louis Joseph, auquel nous avons donné le troisième prénom Napoléon, était également présent. Il a fait de même pour son fils Ludovic, né l'année dernière, mais comme deuxième prénom. J'espère que, sous ce patronage symbolique, mon unique petit-fils perpétuera la lignée des Lepic ; il est notre principal atout. Sera-t-il militaire comme les autres hommes de la famille ou mettra-t-il à profit d'autres talents, transmis par son père ? Sans être un artiste, il est un amateur et grand connaisseur des beaux-arts ; ses visites de musées et de collections privées l'ont conduit à constituer sa propre collection de peintures. »

Le général Louis Lepic

Louis Lepic (tableau posthume), Louis-Charles Arsenne, 1842, Musée de l'Armée.

Faisant partie de l'armée d'ltalie de 1796 à 1805, Louis Lepic avait été nommé colonel major des grenadiers à cheval de la Garde impériale après la bataille d'Austerlitz. Il avait participé aux campagnes de Prusse et de Pologne. Sa charge héroïque, à la tête de ses cavaliers contre l'infanterie russe, lors de la bataille d'Eylau, lui a valu d'être grièvement blessé et d'être promu, sur le champ, général de brigade par Napoléon. Promu capitaine-général après la bataille de Wagram, il fut fait baron de l'Empire en 1809 après la campagne d'Espagne. Puis, toujours avec la Garde impériale, il participa à la campagne de Russie. Nommé général de division en 1813, il commanda le 2e régiment de la Garde d'honneur pendant la campagne de Saxe, puis celle de France qui s'est terminée par la défaite des armées de Napoléon.

En février 1807, juste après la bataille d'Eylau, à l'occasion d'une chasse avec Napoléon sur l'Hautil, il se seraient arrêtés dans la ferme seigneuriale d'Andrésy, appartenant à Pierre Joseph Geoffroy, notable et maire de Maurecourt.  Le général Lepic serait, alors, tombé amoureux de sa fille Félicité, qu'il a ensuite épousée.

Louis Lepic avait commencé sa carrière militaire dans l'armée d'Italie alors que Philippe de Latour-Foissac y avait terminé la sienne ! Le premier repose dans l'ancien cimetière d'Andrésy, le deuxième dans la chapelle du parc du Château d'Aqueville à Villennes.

Quant à Bonaparte devenu simplement Napoléon, qu'ils avaient servis, ses restes sont toujours conservés sous le dôme des Invalides ; lorsque le tombeau fut achevé, plus de vingt ans après le retour des cendres, elles y avaient été transportées, de la chapelle Saint-Jérôme, une chapelle annexe de la Cathédrale Saint-Louis, qui avait été autrefois réservée à la famille royale pour suivre la messe séparément des soldats.

Ce tombeau n'est pas surmonté de la statue équestre de Carlo Marochetti, qui a disparu. Lorsqu'il a été installé, un autre empereur, nommé Napoléon, était au pouvoir : il était le neveu du premier !


Maquette de statue équestre pour le projet de monument à Napoléon Ier,
Carlo Marochetti, Baltimore,Walters Art Museum


Principales sources

1. Les Lepic, une famille de notables andrésiens au 19èmesiècle, Evelyne Hervé, Club Historique d'Andrésy
2. Poissy et son histoire, Narcisse Noël, Cercle d'Etudes Historiques et Archéologiques, 1978
3. Napoléon :le retour des cendres, Jean-Marie Homet, Magazine L'Histoire N°272, janvier 2003
4. Histoire de l'expédition de la flottille de bateaux à vapeur de la Seine : les Dorades, les Etoiles, le Zampa, la Parisienne et le Montereau, envoyés par le gouvernement français à la rencontre de la dépouille mortelle de l'empereur Napoléon, précédée d'un précis de l'expédition de Sainte-Hélène et suivie d'un coup d'½il sur les cérémonies qui ont eu lieu à Paris, d'après MM. le baron Emmanuel de Las Cases, l'abbé Félix Coquereau, Eugène de Monglave, plusieurs officiers de la frégate la Belle-Poule et de la corvette la Favorite, et les capitaines des bateaux à vapeur les Dorades et les Etoiles, 1841
5. Site Internet ville-imperiale.com
6. Le général baron Claude Ursule Gency 1765-1845, Madeleine Arnold Tetard


Michel Kohn