La pêche de loisir

Au début du XXe siècle, la richesse de la Seine en poissons est l'un des arguments utilisés pour attirer les Parisiens à Villennes, notamment dans la notice publicitaire du lotissement de l'île :

On trouve à Villennes de luxueux et confortables canots pour la pêche et la promenade. [...]

En aucun point, la pêche n'est aussi fructueuse qu'aux environs de Villennes. Le grand bras de la Seine donne asile à toutes les variétés de poissons. Dans le petit bras, on trouve plus particulièrement les espèces qui se plaisent dans les eaux tranquilles, telles que carpes, tanches et brochets. [...]

Dès l'aube, le pêcheur diligent quitte sa demeure, il détache sa barque ; d'un bras vigoureux il la pousse vers son lieu de pêche, laissant derrière lui un mouvant sillage, que la caresse des premiers rayons du soleil levant, transforme en un étincellement de rubis et d'émeraudes.


De nombreuses cartes postales représentent les coins de pêche et des pêcheurs, postés sur une rive ou dans une barque.  

 

Les amateurs de la pêche à Villennes étaient assez nombreux pour constituer une association, d'abord avec ceux de Poissy, puis de manière indépendante.



Juste avant le début de la guerre de 1914-1918, un concours de pêche a eu lieu en juin.

Les participants ont défilé derrière la bannière de l'association des pêcheurs.


Ce magazine a publié, dans son édition de 1943, l'information qui suit.

Plusieurs lecteurs nous ont communiqué en même temps l'extrait ci-après du journal La Tribune, daté du 12 décembre 1942 :

UNE BELLE PÊCHE

La gendarmerie de Poissy a saisi en gare de Villennes 500 kilos de poisson d'eau douce pêchés la nuit en Seine à l'aide d'engin non réglementaire et qui allaient être expédiés sur Paris.

Ce poisson a été distribué aux établissements hospitaliers de la région, et l'engin, un immense filet de 70 mètres de long sur 6 de large, aux mailles très fines, a été mis à la disposition du Parquet de Versailles.

Les auteurs de ce braconnage, dont l'un est un récidiviste de ce genre d'opérations, ont fait l'objet de procès-verbaux.

On estime à 4 tonnes environ le poisson ainsi détruit, en l'espace d'un mois, par ces écumeurs de notre rivière.

En nous l'adressant de son côté, M. Néaume, le distingué président de la Fédération de Seine-et-Oise, y ajoute un intéressant commentaire : c'est que l'Association de Pêche et de Pisciculture « la Gaule de Villennes-Poissy » a déposé contre les salopards en question une plainte en vol, et s'est portée partie civile.

Les espèces de poissons recensées par l'association de pêcheurs

 

Les poissons étaient beaucoup plus nombreux et variés qu'aujourd'hui :

ablettes, gardons, lancerons, barbeaux, vandoises ou chevesnes, brêmes, lottes, tanches, perches, carpes, brochets.

Alors que la faune originelle comptait vraisemblablement beaucoup plus d'espèces de poissons, 45 restent présentes dans le bassin de la Seine.

Parmi celles-ci, 19 ont, toutefois, été introduites par l'homme.

 

Vers 1950, les membres de la Gaule de Villennes-Poissy prenaient encore part aux défilés dans les rues du village.  
  La Gaule Villennoise diffusait des informations sur les poissons que l'on pouvait pêcher dans le Seine.
 

La pêche professionnelle

Avant de devenir un agréable passe-temps, la pêche était un moyen de subsistance pour quelques familles villennoises.

Sans remonter aux hommes préhistoriques, qui pêchaient au moyen de filets et de hameçons de silex taillés, il est vraisemblable que la pêche était pratiquée à Villaines pendant le Moyen-Age comme en d'autres bords de Seine.

Les engins de pêche

La pêche à la ligne était alors appelée "pêche à la verge" ; il était toutefois plus efficace d'utiliser des filets et des "engins".

Les nasses


Il y avait certainement, sur le petit bras de la Seine, des "pêcheries" fixes constituées d'alignements de pieux convergeant vers une nasse.
 

Des nasses plus récentes sont visibles sur une photo représentant le port de l'hôtel-restaurant "Jallabert", en face de la pointe de l'île.

La pêche au gille

L'ouvrage Pêches, pêcheurs, pêchés ! de J. H. Perreau (1904) décrit le gille.

Comme il est interdit de traîner des filets sur le fond des cours d'eau pour ne pas détruire les œufs et les jeunes alevins et que le gille est un filet à traîner, cet engin doit donc être compris dans la série des filets prohibés. Cependant, dans certaines contrées, et on ne sait trop pourquoi, il est, sinon autorisé, du moins toléré ; nous nous en sommes servi fréquemment sous l'œil même des gardes, pour pêcher dans des canaux à demi asséchés.

 

Le gille n'est en somme qu'un très grand épervier, construit exactement comme cet engin, connu de tous, mais de dimensions telles qu'un seul homme ne saurait le manœuvrer à la main.

Aussi n'en fait-on usage que comme filet traînant. Il possède des bourses, des plombs très gros, est fait de grandes mailles ne pouvant retenir que les grosses pièces, et à l'extrémité de la chapelle, ou coiffe, ou pointe de l'épervier, est attachée, comme dans ce dernier, une solide corde non vrillable, destinée à permettre de sentir les secousses du poisson et à retirer l'engin de l'eau. Il est en général trois fois plus grand qu'un épervier ordinaire et peut tenir en largeur 10 à 12 mètres de rivière.

Nous avons recherché les racines du mot gille, qui est devenu un peu vieillot, car on dit plus fréquemment épervier à traîner, ou grand épervier ; nous n'avons trouvé qu'approximativement cette origine. D'après nous, il viendrait de l'expression populaire faire le gille, c'est-à-dire se retirer, s'enfuir peureusement. L'expression elle-même provient de l'histoire, ou plutôt de la légende de saint Gilles, qui s'enfuit de son pays et se cacha de peur d'être sacré roi. Il y a sans doute là une allusion moqueuse au poisson fuyant poussé par les plombs, alors que l'homme lui fait le grand honneur de vouloir le manger. Peut-être le mot vient-il aussi du personnage de l'ancienne comédie, le gille, le niais de la pièce, en voulant dire à cela que cette pêche est une pêche de niais, car en effet on s'y donne beaucoup de mal sans grand succès, à moins de circonstances spéciales que nous expliquerons tout à l'heure.

Hatzfeld Darmesteter et Thomas, dans leur dictionnaire de la langue française, disent :
Gille, origine inconnue, paraît être le même mot que gielle, mentionné dans Modus XIVe, comme nom d'une partie constitutive de rets. Le gille a été souvent interdit par d'anciennes ordonnances. [...]

La pêche à la trouble

Le même ouvrage présente la trouble, filet en forme de poche, monté sur un cercle ou un ovale, auquel est ordinairement ajusté un manche.

Truble ou trouble ?

Les deux se disent, mais si trouble est plus employé, truble est plus français ; quant au sexe de l'objet, personne n'est très fixé : la Grande Encyclopédie le fait masculin, alors que le Larousse le donne au féminin. Littré tranche la question et incline pour le féminin. Nous croyons avec lui que le féminin est le plus courant, et pourvu que l'engin prenne le poisson les vrais pêcheurs ne se préoccupent guère du sexe !

Le mot, d'après Littré, viendrait du wallon troul et serait d'origine inconnue ; P. Larousse dit qu'il est sorti de troubler l'eau, et cela nous parait parfaitement naturel. A part ces deux dictionnaires, tout le reste, encyclopédies, lexiques, etc., sont muets à son sujet, le Dictionnaire de la con- versation l'oublie et l'Encyclopédie des gens du monde le dédaigne. Cependant nous avons rencontré des traces de l'engin dans les manuscrits du dix-huitième siècle, dans le Livre des Métiers, par exemple, [...]

Au quatorzième siècle aussi, nouvelle trace de la trouble dans l'Ordonnance des rois, t. VII : Truble de fil autre que celle de bois de quoi en tout temps l'en pourra peschier. La truble n'est pas toujours un filet à poissons, elle sert à désigner souvent, dans certains pays, la pêchette ou balance avec laquelle on capture les écrevisses, lorsqu'elle est plus grande que l'ordinaire de ces engins. [...]

En général, l'instrument a 1 mètre de haut sur un peu plus à la corde de base et environ 1 m. 30 de profondeur. Mais la grandeur est tellement variable, suivant les besoins, qu'on ne saurait lui assigner une dimension. Il en est de même pour le manche, qui est court ou long, suivant les pays et les dispositions des cours d'eau. Parfois le pêcheur plonge la truble dans le courant et la ramène à lui vers la berge pour la relever, brusquement lorsqu'il l'a atteinte ; c'est alors qu'on donne à l'engin le nom pittoresque de tire-à-soi.

La truble sert beaucoup à la pêche de l'alose. [...]

La truble est un engin qui complète le matériel d'un pêcheur acharné, mais elle sert rarement, car c'est plutôt un instrument de braconnage. [...]

Avant la Révolution

La pêche était l'un des privilèges féodaux ; ne pêchait pas qui le voulait : la Seine appartenait à l'origine, comme tous les grands cours d'eau, au roi qui en concédait des parties. L'abbaye de Saint Germain des Prés, puis celle de Neauphles-le-Vieux qui possédaient au XIe et XIIe siècles le domaine, où a été bâtie l'église, bénéficiaient-elles d'une telle concession, comme ailleurs d'autres congrégations religieuses ? Dans ce cas, pour être reçu "maître-pêcheur", il fallait non seulement "être au fait de la pêche" mais également "de la Religion Catholique Apostolique et Romaine".

 

La pêche fait l'objet dans tout le royaume, depuis Philippe le Bel, en 1289, jusqu'à la Révolution, de règlements :

- limitant l'ouverture de la pêche (notamment en dehors des dimanches et jours de fête, des périodes de frai et de gel) ;

- prohibant certains appâts ;

- interdisant certains types de filets, tels que parfois l'échiquier (ou carrelet) et définissant la taille minimale des mailles.

C'est Pierre Gilbert Menard, le garde des eaux et forêts du dernier seigneur, Pierre Paul Gilbert de Voisins, qui avait la fonction de garde pêche. Ses rapports nous font connaître deux procédés qui étaient utilisés dans le bras de la Seine, appartenant au seigneur, notamment par ceux qui n'avaient pas le droit d'y pêcher.

Son frère, Laurent, était pêcheur ; leur père, Jean Laurent Ménard, agriculteur, fut le premier maire de Villennes élu en 1790.

Au XIXe siècle

Parmi les quelques pêcheurs villennois qui ont laissé des traces dans les registres municipaux, nous pouvons noter Louis François Jolivet, maître pêcheur à Migneaux en 1847.

Deux faits divers, qui ont fait l'objet d'un procès-verbal au milieu du XIXe siècle, nous apprennent qu'alors :

- on pêche notamment des anguilles à Villennes,

- les poissons sont conservés jusqu'à leur vente dans des réservoirs immergés, appelés boutiques.

 

Celles-ci sont parfois vidées par des voleurs, comme l'ont déclaré deux pêcheurs :

- le sieur Clérembourg a subi le vol d'une vingtaine d'anguilles, pouvant valoir 20 francs, dans l'une de ses boutiques dans la Seine, en aval du pont de Villennes.

- les poissons de Nicolas Bonnet étaient dans une boutique-réservoir en bois, située au dessous du pont du moulin, fermée par une barre de fer et un cadenas qui a été cassé ; le montant du vol s'est élevé à 6 francs.

La fin de la pêche professionnelle

Le métier de pêcheur disparaît lorsque les prises ne sont plus suffisantes, suite à diverses modifications de l'environnement :

- aménagement de la Seine (dragages, transformation des berges et suppression des moulins, constituant des abris où les poissons se réfugiaient) ;

- perturbations résultant de la navigation fluviale, en particulier des bateaux à vapeur ;

- développement de l'urbanisation et d'industries polluantes.

Ils subissent également la concurrence de leurs confrères de la mer, les marins-pêcheurs, dont la production arrive de plus en plus rapidement sur les marchés, alors que la demande diminue : les lois de l'Eglise sur l'observation du jeûne (140 jours "maigres" par an) sont de moins en moins respectées.

Les diverses activités humaines sur la Seine, en particulier la construction de barrages-écluses, constituant des obstacles infranchissables, ont notamment entraîné l'extinction de 7 espèces migratrices, en particulier la grande alose, le saumon, la truite de mer, la lamproie marine et l'esturgeon.

Les esturgeons de la Seine

Un esturgeon de près de 100 kg et mesurant 3 mètres a été capturé en 1839 à Poissy ainsi qu'un autre de 140 kg à Mantes-la-Jolie en 1856.  

Le célèbre restaurant qui perpétue le souvenir de l'esturgeon pisciacais appartenait alors à François Hommery. Il l'a pris dans les filets qu'il avait l'autorisation de tendre sous les arches du pont et qui lui servaient habituellement à pêcher les anguilles descendant le cours du fleuve.

 

Des esturgeons ont fréquenté la Seine jusqu'en 1917 ; il est vraisemblable que de plus petits spécimens aient été capturés également à Villennes.

On ne pêchait pas que des poissons dans la Seine

Un tonneau, des pièces de bois, un bateau ... et des noyés.

Ce sont les "pêches" mentionnées dans les déclarations inscrites dans un registre municipal entre 1840 et 1884.

Pour lire des détails, consultez la rubrique Faits divers.

Pour aller plus loin dans l'histoire de la pêche, nous vous proposons de consulter deux sites Web :

  Quand nos ancêtres vivaient de la Seine, sur le site Web de l'Association de Recherches Historiques en Val de Seine, Val d'Ecole, Pays de Bière, Gâtinais Français.
  L'origine des poissons de la Seine, sur le site du Cemagref.