Quatre-vingt jours ont été nécessaires, après le débarquement des troupes anglaises et américaines en Normandie, pour qu'elles atteignent l'Île-de-France, en longeant la Seine sur sa rive sud.
Pendant que Paris se soulevait et se libérait après l'arrivée de la Deuxième DB, les combats continuaient le long du fleuve, en aval ; à Villennes notamment, l'armée américaine a été confrontée, du 25 au 29 août, à une unité de parachutistes allemands qui avait quitté précipitamment la capitale comme de nombreuses autres troupes d'occupation. Depuis Triel, elle tentait d'empêcher les libérateurs d'avancer et de traverser la Seine.
Après trois jours de combats, ceux-ci réussirent à prendre le contrôle des têtes de pont (Mantes, Les Mureaux et Poissy) et à rendre la liberté à la région. L'armée américaine établit plusieurs ponts flottants, notamment à Rosny et aux Mureaux, pour remplacer les ponts que l'aviation alliée avait détruits afin d'interdire à l'ennemi le franchissement du fleuve.
Alors que la fin des hostilités était proche dans notre département, plusieurs habitants du village y ont trouvé la mort.
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Deux événements tragiques ont été relatés par Collatino Belluzzi, qui en a été le témoin ; parcourant le village et ses hauteurs, notamment pour se rendre sur son terrain du chemin des Groux où il cultivait des légumes, il cachait sa caméra Pathé 9,5 mm, qu'il portait sur lui au péril de sa vie jusqu'à l'arrivée des Américains. |
Cliquez sur le bouton "Vidéo" de la colonne de droite pour voir le film Villennes 44 de Jérôme Pinsembert et Christophe de Lafosse, dans lequel ils ont inséré des séquences, que Tino Belluzzi, avait réalisées.
Une nuit de juillet vers trois ou quatre heures, suite à un combat aérien, un avion allemand en flammes, que le pilote ne contrôlait plus, a traversé la Seine et le village avant de s'écraser sur le coteau. Il a terminé sa chute sur une maison proche de l'avenue Irène, tuant le couple de propriétaires dans leur sommeil. Les différents morceaux de l'appareil se sont dispersés dans un rayon d'au moins 30 mètres.
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Les corps calcinés des deux aviateurs brûlaient encore vers 7 heures du matin, lorsque sont arrivés les premiers témoins. Les S.S., stationnés à proximité pour couvrir la retraite de l'armée allemande, ont refusé de les considérer comme des compatriotes, n'admettant pas que l'avion appartienne à la Luftwaffe ; des Villennois les ont enterrés dans une fosse située à droite de l'entrée du cimetière, dans des caisses de fruits en bois fournies par l'épicier, M. Blossier.
Le matin même de l'arrivée des Américains, le 25 août, suite à une attaque des FFI sur des véhicules de l'ennemi sur la route de Vernouillet, les Allemands étaient à la recherche d'otages. Quatre officiers, circulant dans leur véhicule sur le chemin des Groux échangèrent des coups de feu, au niveau du Bois des Falaises, avec des jeunes résistants qui cherchaient à récupérer des armes au château de Fauveau. Deux d'entre eux, Michel et Jacques Jeunet, ont été capturés et chargés les bras en l'air, tenus en joue, dans le véhicule qui est revenu peu après vers la ferme de Marolles. Il s'y est arrêté devant Alfred Boursinhac et Adolphe Gerha, alsacien, interprète de la Mairie de Villennes ; celui-ci souhaitait, vraisemblablement, intervenir. Après quelques minutes de discussion, ils ont été, à leur tour, poussés dans le véhicule.
Les quatre otages ont été conduits au Mas de Breteuil, où ils ont été enfermés dans la cave. Les Allemands ont jeté des grenades à travers le soupirail et fusillés les quatre hommes. Rodolphe Gehra et Michel Jeunet sont morts sur le coup. Jacques Jeunet et Alfred Boursinhac ont été très grièvement blessés ; ils ont survécu mais ils ont dû subir une longue période d'hospitalisation. |
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Selon le témoignage ultérieur de son fils, Alfred Boursinhac avait reçu 17 éclats de grenades et 2 balles de mitraillette. |
Nous avons retrouvé le rapport qui fut rédigé pour relater cet acte de barbarie. Malgré les détails des scènes horribles qu'il nous restitue, nous le transcrivons intégralement (en respectant l'orthographe).
Rapport de l'assassinat de Messieurs Rodolphe GEHRA, Michel JEUNET
et la tentative de Messieurs Jacques JEUNET et Alfred BOURSINHACLe 25 Août 1944 vers 12 Heures une automobile Allemande passe à coté des frères JEUNET qui circulaient sur la route Nationale 190 lorsqu'ils essuyent des coups de feu ; des personnes qui se trouvaient aux environs se sauvent à travers champs, les frères JEUNET se jettent dans le fossé ainsi que les Allemands qui avaient descendu. Le calme rétabli les Allemands firent monter les frères JEUNET en voiture en les menaçant de leurs revolvers et les obligèrent à tenir leurs bras levés après leur avoir dérobé leurs papiers et leur argent.
Environ 1 kilomètre plus loin, ils rencontrent M.M. Rodolphe Gehra et Alfred Boursinhac qui rentrent à leur domicile, ils les obligent également à monter en voiture et les conduisent à leur cantonnement qui se trouvait dans un immeuble situé à Breteuil et dénommé "Le Mas de Breteuil". Ils les ont fait descendre tous les quatre dans la cave où ils ont été enfermés à clefs par le sous-officier Joseph ZIMMER. Rodolphe Gehra qui était employé à la Mairie en qualité d'interprète essaye de parlementer, mais sans succès. Il lui fut répondu qu'ils allaient les tuer et leur écraserait la tête à coups de crosse. M.M.Gehra et Jeunet se sont évanouis.
Vers 13 h. 30 après avoir mis hors d'usage à coups de grenades une voiture automobile Peugeot qu'ils n'avaient pu mettre en route appartenant à Monsieur Gevrey, architecte à Médan qui a entre les mains un bon de réquisition signé par l'officier ils jetèrent les grenades par les soupiraux de la cave.
Alfred BOURSINHAC réussit à saisir une grenade et à la lancer à quelques distances de lui. Les Allemands en lancèrent d'autres et au bout de quelques instants ils furent tous atteints, mais non satisfaits les Allemands tirèrent par les soupiraux à coups de mitraillettes et de mitrailleuses comme le prouvent les douilles de différents calibres trouvées sur place. Les habitants de la maison d'en face, M. et Mme Johannet, rue de la Croix, furent sommés de rentrer chez eux et mis en joue. Mesdames Perrot et Berthelot ont été enfermées dans une salle contiguë à la cave, elles ont été libérées par un soldat Allemand qui leur a dit de s'éloigner.
Les Allemands remontèrent en voiture et quittèrent définitivement leur cantonnement, se dirigeant sur Poissy. A ce moment les voisins pénétrèrent dans la cave, trouvèrent Monsieur Rodolphe GEHRA tué, Monsieur Michel Jeunet tué, Monsieur Jacques Jeunet grièvement blessé, Monsieur Alfred BOURSINHAC portait de nombreuses blessures mais ne paraissait pas grièvement atteint, il a subi une forte commotion cérébrale mais est aujourd'hui hors de danger.
Tous étaient couverts de nombreuses blessures, éclats de grenades et balles, certaines ont pénétré par la plante des pieds, ce qui implique forcément que les Allemands tirèrent encore lorsque leurs victimes étaient tombées.
Le supplice de ces malheureux a été atroce, ils ont été une heure sous la menace de la mort. Gehra était tombé la face contre terre et ses ongles avaient pénétré dans le sol ; le masque horrifié de Michel Jeunet qui était tombé le buste appuyé dans l'angle des murs de la cave démontrait aussi les souffrances subies.
Ces crimes odieux commis sans aucune raison militaire ne s'expliquent même pas par les vengeances, aucun attentat n'a été commis sur le territoire de Villennes les jours qui ont précédé rien ne pouvait faire supposer aux Allemands que leurs victimes appartenaient à un groupement de résistance, les frères Jeunet leur étaient inconnus ils savaient pertinemment qu'ils n'étaient pas armés et que ce n'était pas eux qui avaient tiré puisqu'ils étaient sur la route à même hauteur qu'eux. Gehra était en contact avec eux par sa fonction d'interprète le matin même vers 10 heures 30. Ils l'avaient conduit à Villennes, avec une chenillette pour une réquisition. Boursinhac leur était connu comme habitant du hameau où ils cantonnaient.
L'officier commandant le détachement été entré chez lui à plusieurs reprises ; il avait causé à sa femme, donné des bonbons aux enfants et dit qu'il était lui même père de 6 enfants.
L'auteur de ce rapport quittant en ce moment son objectivité ouvre une parenthèse et croit devoir faire remarquer aux lecteurs le contraste énorme qui existe entre l'attitude correcte bienveillante même de cet officier et de sa cruauté foncière. Il cause simplement parle de sa famille donne des bonbons aux enfants et n'hésite pas peu de temps après à faire de ces enfants des orphelins. Cela démontre bien que contrairement à ce que certains ont pu penser en 1940, les Allemands ne sont pas après tout des hommes comme les autres.
Aucun doute n'est possible il ont tué pour le plaisir de tuer, aucun allemand n'était ivre, tous, Officier, Sous-Officier et soldats ont participé au meurtre. L'officier fait arrêter la voiture près de Monsieur ROBOT, habitant de Breteuil, sans doute avec le désir de l'emmener également, après quelques minutes de réflexion il a dit au chauffeur de continuer, a-t-il pensé que quatre victimes suffisaient ? Cela démontre bien que c'est lui qui a décidé de tuer. Le sous Officier a fermé la porte de la cave et les soldats ont tué.
Les victimes sont :
tué Rodolphe GEHRA, Alsacien, sous-officier retraité laissant Veuve et deux enfants.
tué Michel Jeunet, célibataire 18 ans.
blessé Jacques Jeunet marié père d'un enfant, 23 ans grièvement blessé.
blessé Alfred Boursinhac, père de 7 enfants, frère prisonnier actuellement.L'identité au sous Officier a été établie de façon formelle, par sa carte d'alimentation oubliée dans la chambre qu'il occupait à Breteuil. Aucun Allemand n'a logé avant ni après dans cette chambre. L'identité de l'officier peut-être établie par le bon de réquisition qui est entre les mains de Monsieur Gevrey. Le détachement appartenait à un service portant le numéro 23.677.
Ce rapport a été signé par Monsieur Téoullier, Maire de Villennes, qui a fait les constatations d'usage par le Commandant Beaugé qui a assisté à l'ensevelissement des corps par le Docteur Fauvel qui a apporté les soins aux blessés et qui a constaté les décès, par Madame de Bellefontaine, Conseillère Municipale et Secouriste qui a participé à l'ensevelissement des victimes et par Monsieur Parigot, Adjoint qui a assisté à l'enlèvement des corps ainsi que Mesdames Berthelet Perrot et Daniel qui ont assisté à l'enlèvement des corps et à leur ensevelissement.
Villennes S/Seine le 14 Octobre 1944.
![]() Le nom de Michel Jeunet, habitant à Poissy, a été donné à une rue de cette ville. |
![]() Une autre plaque a été placée sur un mur du cimetière de Villennes, en souvenir de Rodolphe Gehra. |
Le 29 août, des soldats américains de la Task Force Boyer, dont le PC était à Bures, et du 10th Tank Bataillon se sont déployés sur le coteau de Villennes le long de la crête. L'un d'entre eux, semble-t-il enhardi par une dose d'alcool, s'est aventuré seul, avec son fusil, à la rencontre des Villennois et a embrassé les femmes qui le saluaient.
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Dès le lendemain et pendant quatre jours, les américains ont échangé des tirs avec les parachutistes allemands (6e Fallschirmjäger Division), qui avaient pris position, le long de la Seine à Triel, dans des tranchées creusées dans les terrains agricoles des Grésillons.
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Dès qu'ils l'ont pu, de très nombreux Villennois ont rejoint les chars américains sur le chemin des Groux, pour remercier les libérateurs et les inviter dans leurs foyers.
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La photo ci-dessus fait partie de la collection de Mireille Passerat de La Chapelle.
D'anciens Villennois peuvent se reconnaître sur cette photo, parmi des militaires américains, dont l'un porte notre ami Daniel Hamelin, qui nous a permis de la reproduire. |
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Villennes s'est pavoisé ; les enfants portaient des drapeaux dans les rues. |
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Peu après, les véhicules blindés et les jeeps ont défilé dans la rue principale du village, sous les acclamations des habitants. |
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Le capitaine Baugé, responsable de la Résistance pour le secteur Vernouillet-Villennes, a déclaré qu'il n'y avait plus de risque que les Allemands traversent la Seine et que Villennes était libéré. Il prit possession de la mairie pour y mettre bientôt en place un "Comité de salut public", qui a administré la commune jusqu'à l'installation d'un nouveau conseil municipal, le 13 mai 1945, après les élections de fin avril. |
C'était aussi l'heure, comme dans toutes les localités françaises, des règlements de compte et de l'humiliation pour quelques femmes. La villa Sans Souci, qui avait utilisée par les Allemands comme Kommandantur, et la Villa du Parc qui avait été occupée comme de nombreuses autres grandes villas, toutes deux dans l'avenue Foch, avaient été reprises par les résistants dès la libération de Villennes. |
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Peu de temps après, de nombreux Villennois se sont rassemblées sur le balcon monumental de la Villa du Parc et dans son jardin. |
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Ils assistaient à des scènes que nous pouvons juger aujourd'hui peu glorieuses. |
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Précédée par la fanfare, les pompiers, les jeunes gymnastes, le clergé et les notables de Villennes, la population se sont dirigés en cortège pour déposer une gerbe au monument du souvenir. Il était déjà situé, depuis 1919, en face de la gare, sur la place du village qui est devenue, quelques années plus tard, la Place de la Libération.
Plus de 80 ans après cette triste période de notre histoire, nous pouvons mettre à l'honneur les Villennois, plus ou moins connus, qui participèrent à la lutte contre l'ennemi. Nous citerons particulièrement quelques uns qui restent dans les mémoires :
Tous deux résidaient dans le Clos Sainte Barbe.
Cliquez sur l'image ci-dessus, si vous souhaitez connaître cet ordre, fondé en 1099, qui est devenu une association catholique internationale, maintenant la tradition caritative de la Chevalerie. Il s'est séparé de son important patrimoine immobilier pour aider la Terre Sainte. Maurice Dreux avait, également, été fait chevalier de l'Ordre de Saint Lazare en 1927.
Le premier habitait dans l'île, la seconde dans la ruelle de la Lombarde.
Les deux premiers possédaient les villas "Le Pré fleuri" et "Bagatelle" dans l'île ; le troisième fut propriétaire de "Castel Villennes".
Pour écouter deux séquences sonores vous faisant particulièrement connaître chacune des deux femmes, cliquez sur la flèche du lecteur audio, situé à côté de la photo et du nom de chacune.
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Emilienne Le Sidanner |
Ses actions
dans la Résistance et son extrême volonté pendant sa
captivité : |