La voilette à bicyclette
La mémoire de Villennes·Mardi 17 juillet 2018·Temps de lecture estimé : 7 minutesPublic
Après le partage de l’article du blog de Gallica-BnF sur les petites reines du bitume, j’ai trouvé un savoureux article, publié le 4 novembre 1897 dans Le Véloce-Sport, organe de la vélocipédie française.
L'épouse d'un célèbre journaliste de cette époque était-elle l'auteure de cet article ? En effet, la bicyclette a orienté la carrière de Louis Baudry de Saunier, dès 1890. Passionné par ce nouveau moyen de déplacement, il a rédigé, l’année suivante, Histoire générale de la vélocipédie qui a obtenu un grand succès puis Cyclisme théorique et pratique (1892), Les recettes et procédés vélocipédiques (1893) et L’Art de la bicyclette (1894). Après le vélo, il s’est intéressé aux tricycles à moteur, dont le tricycle à pétrole De Dion Bouton, qui commençaient à parcourir les routes. Son premier article sur ce sujet, dans L'Illustration en mai 1895, marqua le début de sa collaboration avec cet hebdomadaire, pendant quarante ans. Il s'intéressa à l'automobile dès son apparition, écrivant plusieurs ouvrages : L’automobile théorique et pratique (1897), Les recettes du chauffeur (1901), Sa majesté l’alcool (1904) et L'art de bien conduire (1906). Il fonda, en 1906, Omnia, premier journal consacré à l'automobile, qui donnait des conseils pratiques et techniques sur l’automobile, la mécanique et la conduite, ainsi que sur les règles à respecter et les comportements à adopter. Il devint rédacteur en chef de la revue du Touring Club de France, faisant la promotion du tourisme.
L’article nécrologique que L'Illustration lui a consacré mentionne qu’il avait acquis « une roulotte remorque », l’une des premières caravanes. Son épouse y faisait-elle, elle-même, la cuisine, en portant une voilette, ou étaient-ils accompagnés par leur cuisinière ?
L’article reproduit ci-après est bien une oeuvre de la femme de Louis Baudry de Saunier, comme le confirme, en reproduisant plusieurs de ses autres écrits sur les femmes à vélo, l’ouvrage Les femmes à bicyclette à la belle époque de Claude Pasteur (Editions France-Empire, 1986). Voici le sommaire de ce livre :
Est-ce bien convenable pour une femme de monter à bicyclette ? Ce nouveau sport n’est-il pas réservé aux demi-mondaines et une femme de la bonne société peut-elle se hasarder à pédaler en public ? Est-il prudent de laisser vélocer les jeunes filles ? La pratique du vélo ne donne-t-elle pas aux femmes certaines habitudes vicieuses, s’il faut en croire quelques médecins ? Comment faut-il s’habiller ? Faut-il porter un pantalon, au risque de faire scandale ? Peut-on conserver sa voilette et ses gants ? Doit-on ôter son corset ? Est-il vrai que la bicyclette soit une cause de dépopulation, ou bien au contraire favorise-t-elle la natalité et les élans de l’amour entre vélocipédistes de sexe différent ? 
Michel Kohn

Si vous ne pouvez pas lire l’article original, voici sa transcription.
La Voilette à bicycletteLa question du costume que la femme peut porter à bicyclette est plus que jamais à l'ordre du jour. Le dernier plébiscite ouvert à ce sujet a donné les résultats les plus contradictoires ; la vérité est, comme le disait M. Jehan de la Pédale dans un de ses derniers Billets du Dimanche, ici même, que nous n'avons pas besoin qu'on nous fabrique, pour nous toutes, un costume réglementaire. Un uniforme ne convient qu'à des soldats ou à des lycéens. Mais chacune de nous sait bien, quand elle a l'instinct féminin assez développé, s'habiller de la meilleure façon.Mais les femmes peuvent être divisées sur la question des robes, des corsages, des chapeaux et des bottines, elles s'entendent sur l'importance de cette petite futilité, si considérable dans la toilette - la voilette !Ou plutôt elles ne s'entendent encore pas ! Cette fois, nous ne discutons plus la forme à lui donner, à cette pauvre voilette, comme nous avons discuté dans le plébiscite la forme des jupes, nous discutons simplement son utilité : en faut-il ? 
n'en faut-il pas ?

J'ai entendu l'autre jour un de nos plus aimables confrères s'écrier : « La voilette ! La voilette à bicyclette ! Jamais une femme ne marchera avec une voilette ! » Comme on voit bien que ce confrère est coiffé à la Titus !
S'il avait quelques frisures sur le front, s'il était blonde par exemple, comme il se rallierait à notre voilette !
La voilette à bicyclette est très incommode, cela est certain ; elle empêche la respiration de se faire librement ; avec elle, les yeux sont gênés, la vue est brouillée, bien moins précise. En un mot, on y est étouffée et a peu près aveuglée. Voilà les grands arguments contre.Les grands arguments pour sont : que certaines femmes ne changent pas impunément pour leur grâce la coiffure qu'elles ont adoptée, étudiée, et que, si cette coiffure comporte quelques frisures, il est totalement impossible de les conserver sans la voilette. Les frisures les moins rebelles au fer se distendent ; au bout d'une heure de promenade et tombent le long du visage au lieu de voltiger au-dessus. Les petits arguments pour sont : que la poussière atteint moins le visage, que les moucherons sont tenus à l'écart des yeux, etc. Ces considérations sont d'ordre tout à fait secondaire, car la femme qui craindrait la poussière, les moucherons,le Soleil et la pluie, ferait bien de rester dans son boudoir - à bouder contre son meilleurplaisir !Donc, une femme brune, qui n'est à son avantage, je suppose, que lorsqu'elle est coiffée en bandeaux, à la Vierge, avec les cheveux bien relevés sur les côtés, pourra se passer de voilette, tandis que la blonde, dont la figure demande un encadrement de cheveux follets, en a un besoin absolu.Certaines femmes ont tranché la difficulté... en se tranchant les cheveux ! Elles sont coiffées en garçons et, de même qu'elles en ont les allures et les vêtements, elles en ont les cheveux courts. Mais le remède est trop cruel !Heureuses les femmes à bicyclette qui peuvent se passer de voilette! Mais queferont les malheureuses ? Elles mettront tout simplement une voilette !Elles se garderont bien de prendre du tulle blanc ou crème. Ces deux nuances font paraître les objets mal définis, indistincts, comme dans un brouillard. De plus, elles fatiguent beaucoup la vue. Elles choisiront de préférence un tulle noir léger, de grain un peu fort, ou un tulle russe avec pois dits grains de beauté ; c'est très seyant et fort gracieux.Comment mettront-elles la voilette ? Pour que la voilette soit jolie, pour lui laisser tout son cachet, il est nécessaire qu'elle tombe jusqu'au-dessous du menton mais alors on étouffe ! Oui. Mais la voilette écourtée, tombant jusqu'au nez, est si
disgracieuse ! Elle coupe la figure en deux.
On pourrait peut-être, après l'avoir froncée légèrement au milieu, la poser sur le bord du chapeau et ne pas la faire descendre au-dessous du front. Elle garantirait ainsi les cheveux et ne gênerait pas le visage, mais cette disposition, que j'ai vue convenir à certains visages originaux, ridiculisait certains autres.Il faut donc, je crois, lorsque l'utilité d'une voilette est reconnue pour une coiffure, en prendre courageusement son parti. En la choisissant de tissu un peu large et de couleur noire, on finit par s'habituer à y respirer et à y voir très bien. C'est une bienfaitrice que la voilette ; il faut lui passer ses petits défauts pour le grand service qu elle nous rend de nous conserver bien coiffées !
MME L. BAUDRY DE SAUNIER.