Le premier champion cycliste sur route
La mémoire de Villennes·Vendredi 20 juillet 2018·Temps de lecture estimé : 9 minutesPublic
En 2018, le Tour de France n'est pas passé pas à Villennes, comme en 1913 et en 1975, mais à proximité (à Poissy), comme ce fut le cas de la première compétition vélocipédique sur route.

De Paris à Rouen, en deux-roues

C’était l’itinéraire de cette première course d’endurance de ville à ville, qui eut lieu le 7 novembre 1869. Bien avant Geraint Thomas et Christopher Froome, elle fut gagnée par un coureur britannique, James Moore (à droite sur la photo ci-dessus, à côté de son vélocipède), âgé alors de 20 ans. Il s’était installé à Paris, où il avait lié une amitié avec une famille voisine : celle de Pierre Michaux, artisan serrurier et charron, qui avait inventé la pédale ; il conçut et fabriqua des vélocipèdes à pédale, en ajoutant une manivelle à la roue avant d'une draisienne.
Vélocipède Michaux
La course Paris-Rouen fut organisée par les deux frères René et Aimé Olivier, ingénieurs de l’Ecole impériale des Arts et Métiers, associés de Pierre Michaux ; elle était sponsorisée par le journal Le vélocipède illustré.
Voici le court article publié en novembre 1935 par l’hebdomadaire Le Miroir des Sports, après le décès de James Moore.
L'ancêtre des coureurs vient de mourir.
L'homme qui vient de mourir, en Angleterre, à l'âge de quatre-vingt-sept ans, James Moore, mérite tout de même quelques lignes avant que l'oubli ne soit fait définitivement sur son nom.James Moore est, en effet, le vainqueur de Paris-Rouen en 1869, le premier ville à ville qui ait été organisé. C'est en 10 h. 25 qu'il avait gagné cette épreuve préhistorique, sur un bicycle en bois cerclé de roues de fer.
Saluez, jeunes routiers !...
Deux cents partants s'alignèrent, il y a deux tiers de siècle, à la Porte Maillot, pour aller, par la route, dans la « Ville-Musée ». Ils empruntèrent la route de Quarante-Sous pour gagner le premier contrôle fixé à Mantes. Mais, comme les organisateurs craignaient que certains participants ne prissent le train à la gare Saint-Lazare, ils avaient installé un contrôle secret vers Epone, en pleine campagne.Là, on contrôla quatre-vingts coureurs, dont deux sur des tricycles et un sur quadricycle.Puis la course se décida aux environs de Gaillon et du Trou du Diable. James Moore gagna devant Castera et empocha les 1.000 francs (or), premier prix de la course. James Moore devait être le dernier survivant de cette course « historique » !

La première course, organisée dans le Parc de Saint-Cloud

L’année précédant le premier Paris-Rouen, il y a 150 ans, James Moore avait remporté l’une des épreuves de la première course cycliste.
Nous reproduisons l’article rédigé par René Bierre et publié par le magazine Match, le 31 mai 1938, à l’occasion de la commémoration de cette compétition historique.
Mardi 31 mai, inauguration, au parc de Saint Cloud, de la plaque apposée par le Touring-Club de France pour commémorer l'organisation de la première épreuve "vélocipédique" en France. Le 31 mai 1898, en effet, fut courue la première course cycliste sur route, épreuve gagnée par l'Anglais James Moore. On va donc célébrer le soixante-dixième anniversaire de cet important événement, et S. E. l'ambassadeur de Grande Bretagne en France honorera de sa présence cette manifestation particulière, qui aura pour théâtre le lieu où se fit l'arrivée de la première course sur route, dans la partie du parc que limite la Seine.
Nous disons : "Cet important événement". Et la première course vélocipédique sur route devait en être un. Vous entendez bien qu'elle ne fut pas courue sur la fine machine qu'est devenue, avec le temps et les progrès qu'il permet de réaliser, le vélocipède de jadis. La course sur route dont on va commémorer l'anniversaire a été réalisée sur un engin qui tenait plus de la draisienne que du vélo. Pédales inconfortables pour le roulement desquelles on ne soupçonnait pas l'utilisation des billes, roues cerclées de fer et qui, sur les pavés, devaient réserver quelques sérieuses secousses. Il fallait du courage et une assiette résistante pour se permettre un parcours sur route dans des conditions de confort aussi redoutables.
Mais c'était le vélocipède, dont on usait encore bien peu, et dont un demi-siècle allait faire, par des améliorations successives, un instrument qui serait utilisé par des millions de sujets et qui allait supprimer tous sujets de mécontentement. Soixante-dix ans après cette première course sur route, huit millions de cyclistes se servent, en France, du vélocipède, devenu bicyclette, pour parcourir des routes qui n'ont rien de commun avec les routes du siècle dernier. La bicyclette a été améliorée par les inventeurs, comme les routes l'ont été par le service des Ponts et Chaussées. A la base de ces deux améliorations on trouve la science que possèdent les ingénieurs.
Ils ont fait, pour le vélo, bien des choses. Au bandage de fer a été substitué tout d'abord le caoutchouc plein qui garnissait les roues de la bicyclette à corps droit et à pivot, puis le caoutchouc creux et le cadre avec douille, le caoutchouc creux qui allait faire naître le pneumatique à tringles, ensuite le pneumatique sur jante posé directement, enfin le boyau collé sur la jante. L'équipement du vélo allait se compléter de la roue libre, du dérailleur, du changement de vitesse, cependant que la machine était allégée par l'emploi des métaux légers. les Ponts et Chaussées ont fait, de leur côté, des découvertes et des adaptations qui devaient faire dire, avant la guerre déjà, que notre réseau routier était le meilleur du monde. Il le demeure.
Ce qu'il faut dire aussi, au jour qui voit commémorer la première course sur route, c'est que c'est à elle que l'on doit la diffusion de ce vélocipède, devenu engin de sport et de transport. C'est le sport qui a permis avec le vélo comme avec l'auto, de créer des engins de transport qui ont atteint à la quasi-perfection. La première manifestation cycliste sur route est donc bien une date; elle fut un important événement.
Car le sport à bicyclette fut rapidement florissant. On se passionna vite pour les compétitions auxquelles il donna lieu, sur piste et sur route. Les champions de ce sport apparurent d'abord comme des surhommes. On a fait d'eux, par la suite, des "géants". Mais si le mot est gros, la chose est belle. Des noms de champions nous restent et il nous a paru intéressant de donner une des premières photos qui illustraient les faits et gestes de ces champions.
Champions cyclistes se rencontrant à la brasserie L'Espérance
Le café de l'Espérance, avenue de la Grande-Armée - il est maintenant la brasserie le Touriste - les rassemblait. On se déplaçait vers l'ouest. Car si le centre des coureurs de l'est se tenait à la place de la Nation, dans un café Arago qu'une banque a remplacé et qui voyait se réunir les membres d'un des premiers clubs cyclistes, le Guidon parisien, on retrouvait le soir les coureurs de l'est au café de l'Espérance. Ils avaient, sans crainte des autos, sans souci des fiacres, descendu à vélo le boulevard Voltaire d'abord, mal pavé et cahoteux, les boulevards pavés eux aussi et, la place de la Concorde atteinte, monté les Champs-Elysées jusqu'à l'Etoile pour utiliser ensuite ce trottoir cyclable de l'avenue de la Grande-Armée, créé lorsque deux cent mille pédaleurs se campaient fièrement sur leur machine, et supprimé lorsque huit millions de cyclistes déclarent posséder un vélo. La mode est au rappel de l'époque 1900 et de son élégance particulière. Voyez les champions 1900 et leur tenue qui montre, en somme, que si la mode féminine est faite de caprices, la mode masculine dit chez l'homme une constance que les femmes se permettent parfois de discuter.
Et puis ce qu'il faut dire encore, après avoir déclaré que la course sur route, le sport cycliste, a aidé à la diffusion du vélo, c'est qu'elle se trouve, de ce fait, à la naissance d'une industrie devenue considérable ; c'est qu'elle a provoqué de tels enthousiasmes qu'elle concourt, pour une large part, à la prospérité de l'économie nationale par le mouvement qu'elle crée sur les parcours qu'elle adopte - songez au Tour de France et aux millions de spectateurs qu'il déplace ; c'est encore qu'elle a amené la prospérité du cyclotourisme, et le Touring-Club de France a tenu à le souligner en prenant l'initiative de la cérémonie qui verra commémorer la première manifestation d'un sport dont l'histoire est belle et dont la vogue demeure énorme.
La course comprenait quatre épreuves, se déroulant dans la grande avenue du Parc de Saint-Cloud, de la grille d’entrée près de l’actuel pont de Saint-Cloud jusqu’au pied du bassin inférieur de la Grande cascade, sur environ 700 m parcourus à l’aller et au retour. Les organisateurs de cette première course s’étaient inspirés des courses de chevaux mais, semble-t-il, un seul coureur portait une tenue de jockey (toque et manches vertes, casaque jaune) ; les coureurs sont partis debout derrière leurs vélocipèdes, sautant en selle dès que le signal fut donné. En l’absence de barrières, de nombreux spectateurs débordèrent sur la piste.
Le 26 mai 2018, une reconstitution de cette course a été organisée dans le même lieu, en présence de John Moore, petit-fils de James Moore.
Crédit photo Brigitte Olivier
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