Albert Uderzo et son frère Marcel, ancien Villennois
La mémoire de Villennes·Mercredi 25 mars 2020·Temps de lecture estimé : 7 minutesPublic
Albert Uderzo (à droite sur la photo), décédé le 24 mars 2020, est souvent venu à Villennes. Il n’y résidait pas mais son frère Marcel (à gauche sur la photo), qui habite en Normandie, a vécu dans la grande maison située à l’angle de la rue du Maréchal Leclerc et du chemin du Raidillon. Le Coronavirus, évoqué par un dessin prémonitoire d’un personnage masqué, n’a aucun rapport avec le décès d’Albert Uderzo, victime d’une crise cardiaque.

Albert avait formé au dessin de BD son frère, qui était devenu son assistant

Né en 1933, Marcel Uderzo avait d’abord appris le métier de luthier avec son père dont c’était l’activité professionnelle. De 1964 à 1965, il s’est formé seul au dessin de bande dessinée que pratiquait son frère Albert, son aîné de 6 ans. Celui-ci lui a proposé de l’entraîner, pendant un an, alors qu’il continuait, à mi-temps, à fabriquer des guitares avec son père. L’apprentissage de Marcel avec Albert a commencé par des dessins et l’encrage de planches de Tanguy et Laverdure et s’est poursuivi sur des planches d’Astérix.
En 1966, les éditions Dargaud l’ont recruté, à mi-temps, pour créer les visuels des produits dérivés sur le thème d’Astérix (papiers peints, petits tableaux pour chambres d'enfants, verres à moutarde, etc.). A la fin de l’année 1967, Albert l'a fait travailler sur Tanguy et Laverdure. Ensuite, jusqu'en 1972, Marcel a travaillé avec son frère sur l’encrage et la mise en couleurs des albums d’Astérix.
Après une pause de plus de deux ans, Marcel a repris sa collaboration avec son frère et l’éditeur en se consacrant à Astérix jusqu’à la scène du banquet final de l’album Astérix chez les Belges. S’étant brouillé avec Albert, Marcel a continué de produire des BD, mais signées de son nom. Il a réalisé une quarantaine d’albums, alternant dessin réaliste et humoristique, édition et projets publicitaires ; il a, notamment, publié L’histoire de l’aéronautique, retraçant les grandes étapes de la conquête du ciel.
Merci à Anne-Marie Ragot de nous avoir communiqué ce dessin que Marcel Uderzo avait réalisé pour son époux Claude ! Celui-ci était né dans la maison située en face du début du Chemin du Raidillon, c'est à dire en face de la villa où le dessinateur a vécu.

Alberto Alessandro Uderzo

Pour évoquer le dessinateur disparu, nous transcrivons deux pages du livre Goscinny, la liberté d’en rire de l’historien Pascal Ory (Editions Perrin), consacré au complice d’Albert Uderzo pour la saga Astérix.
[...] A l'évidence, les deux talents [de René Goscinny et d’Albert Uderzo] sont complémentaires mais l'important n'est pas là : il est dans la complémentarité, toujours difficile à définir pour un biographe, des caractères - René plus extraverti, Albert plus réservé, René plus juvénile, Albert plus pragmatique, René plus intellectuel, Albert plus artisan -, et dans celle, plus facile à repérer, des origines sociales, assez représentatives, au fond, des rapports de force dans le monde de la bande dessinée, où le dessinateur est souvent issu d'un milieu social plus modeste que le scénariste. En profondeur, elle est, sans doute, dans leur commun être-au-monde : ce sont tous les deux des immigrés de la seconde génération, tombés dans la même marmite nationale quand ils étaient petits et qui en sont sortis marqués à jamais.
Cela ressemble à un roman à thèse : si l'écrivain est un type achevé de petit Ashkénaze malicieux, Alberto, Alessandro Uderzo (pour parler comme l'état civil de la commune de Fismes, près de Reims, où il naît le 25 avril 1927) est un type non moins achevé de rital artiste de la deuxième génération, un cousin à la mode symbolique d'un Ivo Livi (né en 1921, alias Yves Montand), d'un Serge Reggiani (né en 1922), d'un Lino Ventura (né en 1919) ou, pour parler d'un milieu proche (enfin, tout est relatif.,,), d'un François Cavanna (né en 1923). Le père, Silvio, caractère difficile, est un artisan du bois, la mère, Iria, enjouée, protège le fils, titi parisien de la rue de Montreuil. A la maison on aime la musique, l’opéra mais c'est le dessin qui va s'imposer à Albert comme la porte de sortie - le dessin et non la peinture, car il est daltonien. Sa vocation est si précocement établie qu'à l'âge de treize ans et demi il est déjà engagé - à l'essai... - à la fameuse Société parisienne d'éditions (SPE), maison canonique des Pieds nickelés et de Bibi Fricotin,désormais acquise à la « révolution Mickey ».
Comme René, et sensiblement au même moment, Albert est séduit par Walt Disney - son esthétique « gros nez » en est partiellement issue -, comme Morris il est passé - c'est dans l'après-guerre - par le dessin animé, école de la rigueur. Quand Yvan Chéron décide de se l'attacher, c'est sur constat de la variété de ses talents, qui l'ont rendu capable de donner aussi dans le réalisme des reportages illustrés ou des fameuses bandes verticales de la série Le crime ne paie pas. Morris ou Hubinon sont classés dans un style ; Uderzo, lui, peut tout faire - ce qu'il prouvera à la création de Pilote où, pendant sept ans, il dessine à la fois Astérix et Les Chevaliers du ciel. Pour l'heure, il reprend avec Charlier une série d'aventures « réaliste », Belloy, tout en illustrant sur commande des rubriques pour l'International Press - et c'est ainsi que son destin croise celui de Goscinny. Le courant passe dès la première rencontre, qui suit de peu l'arrivée de Goscinny, puisque la première collaboration de René et d'Albert date sans doute de l'automne 1951 (le premier dessin d'Uderzo pour la rubrique de savoir-vivre de Bonnes Soiréesest publié dans le numéro daté du 16 décembre). Sustentés par les casse-croûte copieux de Mme Uderzo mère, les deux jeunes complices associent leurs talents. Plutôt que de répondre seulement à la commande, ils prennent l'initiative, et élaborent leur première série en commun. Elle a pour héros un bon géant qui ne connaît pas sa force, mais ce n'est pas encore un Gaulois, c'est un « Peau-Rouge » d'aujourd'hui, Oumpah-Pah, plongé dans la vie moderne. Les effets comiques sont fondés sur le contraste entre sa civilisation et celle des Occidentaux ; il est intéressant de noter que ce premier scénario goscînnyen nous parle de l'étrangeté culturelle, et y cherche matière à rire. [...]

La notoriété et la fortune ne font pas le bonheur familial !

Les photos d’Albert et de Marcel, présentées ci-dessus côte à côte, reflètent bien les cractères différents des deux frères. En 1979, au moment de la création des éditions Albert-René, des tensions ont mis fin à leur collaboration. Pendant plusieurs décennies, ils ne se sont plus parlé, la réussite “matérielle” de l’aîné laissant de côté son ancien assistant. Marcel a, néanmoins fait la déclaration suivante : "Je ne suis pas rancunier, pas jaloux. J'ai pu l'envier quelque fois, quand il n'arrêtait pas de s'acheter des Ferrari. Mais ça s'arrête là. J'ai une toute petite retraite, je n'ai pas des millions de côté, il y a eu des moments difficiles... Mais je m'éclate toujours autant en dessinant et c'est l'essentiel.” Avec sa série Mathias, il a pu se faire un prénom.
L’argent, comme dans d’autres familles fortunées, a détruit la bonne entente familiale. Le conflit entre Albert Uderzo et sa fille Sylvie a même été porté devant la justice. Il s’était amplifié en 2008 lorsque Hachette Livre, déjà diffuseur-distributeur des Editions Albert René, avait acquis 60 % de son capital, Sylvie en détenant 20 %. Cette société familiale publiait les albums Astérix après le décès de René Goscinny. C’est au groupe Hachette qu’à l’issue d’un long procès avec Dargaud, Albert Uderzo avait confié l’exploitation des 24 premiers titres. L’équilibre entre les ayant-droits et les actionnaires avait prévalu sur les relations familiales. L’acquisition, en 2011, de la totalité des parts d’Albert Uderzo, de sa fille et d’Anne Goscinny montre le caractère désormais “industriel” du domaine de la BD.
Nous ne savons pas si les familles Uderzo et Goscinny se sont réunies pour un grand banquet à l’occasion de la reconciliation d’Albert et de sa fille, en 2016.