De Poissy à Iquitos, au Pérou, le
mythe Eiffel reste très vivace !
La Maison de fer de Poissy nous conduit loin, au delà de l’Océan Atlantique, dans la forêt amazonienne, à la fin du XIXe siècle.
La Casa de fierro
Nous n’avons pas besoin d’y aller pour connaître l’histoire de la maison de fer d’Iquitos. La Société de la Tour Eiffel a publié, sur son site Internet (1), un carnet issu des recherches et relevés effectués, en 2011, grâce à une bourse accordée par sa fondation d'entreprise, par Caroline Chauvel et Elsa Durand : Eiffel en Amérique du Sud- MYTHES ET HISTOIRES.
Elles y décrivent les nombreuses constructions métalliques que Gustave Eiffel a réalisées en Amérique latine. En ce qui concerne la Casa de Fierro, elles reconnaissent que ce bâtiment n’a rien à voir avec Eiffel mais qu’il a été bâti, comme les villas en tôles d’acier de Poissy, de Morgat et d’Arcachon, selon le procédé Danly. Avec elles, replongeons-nous à l’époque de l’âge d’or du caoutchouc dans l’Amazonie péruvienne.
C'est certainement parce qu'Iquitos est la seule grande ville continentale au monde à laquelle aucune route terrestre ne conduit que l'ambiance qui y règne est celle d'une île. Cœur de l'Amazonie, le lieu parait coupé de tout : un avion nous y amène. Pourtant Iquitos est une ville, habitée par autant d'histoires et de souvenirs qu'animée par son tourisme. Et Eiffel existe. On prononce son nom tous les jours ici, sur la place des Armes, en pointant du doigt cette maison assez étrange qu'est la Casa de Fierro. Circuits touristiques dans la selva et contes fantastiques de l'époque du Gaucho. L'économie de la ville est là, entre les traces de son époque dorée, son architecture luxueuse et les excursions sur les bords de l'Amazone. Les danses tribales peuvent s'admirer en transat devant un capuccino. Iquitos est une illusion qui joue avec le temps. Eiffel s'inscrit comme une touche finale à ce tableau de maître.
De même que toutes les fortifications françaises ne sont pas des œuvres de Vauban, toutes les constructions métalliques ne sont pas de Gustave Eiffel.
Histoire d'Iquitos
Fondation
Au milieu du XIXe siècle, Iquitos n'est qu'un petit bourg isolé dans la "Selva", au milieu de terres encore quasiment vierges. C'est le refuge des créoles peu fortunés et des premiers aventuriers de l'Amazonie. Iquitos n'apparaît officiellement qu'en 1864, lorsqu'elle commence,suite à l'ouverture des voies fluviales et à la navigation à vapeur, à accueillir une activité commerciale organisée et des migrants. Cependant, la région reste assoupie jusqu'au boom du caoutchouc qui, de 1885 à 1912, se répand sur l'Amazonie.L'âge d'or du caoutchouc en Amazonie
La ville d'Iquitos, riche de cette matière première, commence alors son expansion. Elle attire des négociants venant de chaque partie du monde, et particulièrement d'Europe, rendue plus proche par les bateaux à vapeur qui remontent jusqu'à Iquitos. La ville s'urbanise rapidement : des rues s'ouvrent et de larges avenues pavées remplacentles pistes boueuses. Cette affluence de nouvelles cultures influe aussi sur l'esthétique future de la ville. Suite à leur fortune rapide, les entrepreneurs d'exploitations se font bâtir de vastes et luxueuses demeures avec des matériaux venus par le fleuve d'Angleterre, d'Allemagne, du Portugal et d'autres pays d'Europe.
Le revers de l'apogée
Mais la fièvre du caoutchouc a son revers : elle se fait au dépend des Indiens, contraints d'aller recueillir le latex dans la forêt vierge, dans des conditions de travail et de survie épouvantables, enchaînés par ce cercle infernal de l'exploitation que constitue la «boutique patronale», où l'ouvrier dépense plus que la totalité de sa paye pour loger et alimenter les siens. En 1913, parait en Angleterre un rapport alarmant sur les atrocités commises dans la région du rio Putumayo. Bien que lajustice ait été saisie, aucun procès n'a jamais eu lieu. Ces événements ont plus tard fourni la trame du fameux roman La Vorágine (1924), œuvre du colombien José Eustasio Rivera.La fin du caoutchouc
Le développement des plantations d'hévéas en Extrême-Orient porte un coup fatal au commerce du caoutchouc en Amazonie. Dans les années 1920, Iquitos connaît une vertigineuse dégringolade économique. La lente vie du fleuve reprend le dessus, jusqu'à l'arrivée d'un nouveau boom, celui du pétrole, dans les années 1970.
Aujourd'hui
AIquitos est aujourd'hui un port franc, au point ultime de la navigation des cargos sur l'Amazone, à 4000 km des côtes brésiliennes. Ce port exporte des bois de construction, du « barbasco » (poison qui entre dans la composition des insecticides), des
« castanas » ou noix de cajou, du « chicle » (pour fabriquer le chewing-gum) et des fruits tropicaux.
La Casa de fierro
L'histoire de structures jumelles
D'après les témoignages des gens et la documentation trouvée sur place, l'histoire de la maison de fer est la suivante. Un exploitant du caoutchouc, Julius Toots, ramène de Paris une maison de fer en kit transportable, achetée lors de l'exposition universelle de 1889. Suite au long voyage de la maison de fer en kit, depuis la France et à traversl'Atlantique et l'Amazonie, elle arrive finalement en 1890 à Iquitos. Son acheteur se rend alors compte de la taille énorme de l'édifice. La modularité et la souplesse de la structure la rendant facilement partageable en deux parties similaires, celui-ci décide alors de la diviser. La première partie est achetée par un autre exploitant qui a le projet de la transporter dans la région Madre de Dios (une région isolée du sud du Pérou amazonien) via l'isthme de Fitzcarrald. Les difficultés de transport sont tropgrandes et la maison est édifiée sur le Malecôn d'Iquitos. Elle ne sert à rien si ce n'est à être vue, puis un commerçant l'achète pour un usage inconnu. Elle n'est pas entretenue et la rigueur du climat la transforme en ruine. A sa destruction, elle sera vendue pour le prix de sa ferraille. La seconde partie connaît un meilleur sort puisqu'elle est encore aujourd'hui en plein centre d'Iquitos, sur la place d'Armes (Plaza de Armas). Cependant, l'emplacement initial de la Maison de Fer n'est pasexactement celui-ci. En effet, entre les années 1890 et 1900 l'Amazone sort de son lit et comme la maison est située très proche du littoral, elle est démantelée et repositionnée dans son lieu de résidence actuel.
Fonctions
La Casa de Fierro a changé plus de six fois de propriétaires en moins d'un siècle et autant de fois d'usage. D'abord fabrique et entrepôt, elle devient ensuite maison particulière, pour devenir finalement restaurant et commerces. Aujourd'hui, le rez-de-chaussée accueille une boutiquende souvenirs. Au 1er étage, le restaurant « La Cafeteria del Amazonas » est reconnu dans la ville et par les touristes.
Stuctures et particularités
La « Casa de Fierro », malgré son nom suggestif, n'est pas de fer mais d'acier *. Elle est constituée de deux étages soutenus par un porche de colonnes argentées. Son plafond est pyramidal et deux de ses façades successives donnent sur rue. Aussi, grâce à son balcon continu sur les deux façades et à ses larges arcades qui laissent passer la brise, elle dispose d'espaces intérieurs confortables. Les parois, le plafond et lebalcon sont recouverts de multiples plaques d'acier embouti d'un même module.Le système constructif utilisé possède une flexibilité incroyable qui permet la réalisation de formes architecturales très diverses (églises, maisons...). Ce type de construction métallique est par ailleurs adapté aux climats chauds comme celui d'Iquitos. Le module du panneau est en acier galvanisé et les murs estampillés sur leurs deux faces.
Le mythe
Même si les informations trouvées sur place nous indiquent que la Casa de Fierro a été conçue par l'entreprise Eiffel, ce n'est en fait qu'un mythe, comme nous le confirme plus tard Darci Pinto Gutiérrez Pinto. « Le mélange de matériaux locaux et du métal est inexistant ici, alors qu'il compose l'ensemble des œuvres réalisés par l'entreprise Eiffel en Amérique du Sud. Cela m'a amené à vérifier d'où vient le système si particulier de cette maison. Je me suis rendue compte qu'il y avait une fabrique qui a produit plusieurs exemplaires de ce système. Il s'agit des forges d'Aiseau, à Bruxelles. »Ainsi, ce véritable meccano qu'est la Casa de Fierro est un des exemptes du « système Danly », créé par Josef Danly directeur des ateliers belges des Forges d'Aiseau. Ces bâtiments ont généralement été importés de Belgique dans les années 1890 et on retrouve leur assemblage de panneaux d'acier dans de nombreux ouvrages du monde entier (Congo, Brésil, Pérou, Mexique, Costa Rica et France) *. Tout comme la Casa de Fierro, la fameuse Maison de Fer de Poissy, souvent attribuée à Eiffel, a elle aussi une toute autre histoire. Dessinée par ces mêmes ateliers pour le Congo Belge, elle s'est ensuite transformée en ferme et est aujourd'hui à l'état d'abandon. Ainsi, dans beaucoup de parties du monde, ces réalisations Belges sont attribuées à Eiffel. A Iquitos, le mythe constitue un attrait touristique remarquable. [...]
* Guedes, P. «Iron In Building, 1750-1855», Part 2 : illustrations. Thèse, Université du Queensland. Australie. 2008.
Des maisons de fer exposées autour de la tour Eiffel
Il est vraisemblable que les maisons de fer de Poissy, de Morgat et d’Iquitos ont été commandées lors de l’Exposition universelle de 1889, où plusieurs constructions présentaient le système Danly. Celle-ci se tenait sur le Champ de Mars autour de la Tour de 300 mètres (c’était son nom à l’époque). C’est le seul lien entre le constructeur de la tour, qui a été inaugurée à cette occasion, et les maisons de tôles d’acier embouties.

Plan de l'Exposition universelle de 1889, publié dans le tome XIV, N° 16. de la revue Le Génie civil (consultée sur Gallica)
Dans le cadre de l’exposition, Joseph Danly a, notamment, construit le Théâtre des Folies Parisiennes à proximité de la tour, entièrement métallique comme elle. Il a, longtemps, été supposé que la maison de fer de Poissy était un élément de ce théâtre ou un ancien pavillon de l’exposition.

Le mythe Eiffel à Villennes et à Poissy
La gare de Villennes
Nous pouvons affirmer qu’il n’y a aucun rapport entre notre gare, inaugurée en 1911, et Gustave Eiffel, contrairement à ce que certains ont pu laisser penser. Une vidéo, toujours d’actualité, le démontre : http://www.dailymotion.com/video/k6jylxcE0KGZ76dFp7q.
La Maison de fer de Poissy
Dans le magazine municipal Le Pisciacais n°137 de novembre 2016 (p. 16), un article intitulé Le sauvetage de la maison de fer a commencé commence ainsi : ”Le projet de reconstruction de la Maison de Fer entre dans sa phase active avec le défrichage du terrain et le début du démontage des vestiges de la maison Eiffel au mois d’octobre. “ La première phrase d’un article du site Internet de la ville de Poissy (2), mis en ligne en juin 2017, est identique. Même si nous pouvons lire, plus loin “ Construite en 1896, inscrite aux Monuments historiques, la Maison de Fer est une villa conçue selon le système imaginé par le Belge Joseph Danly“, la dénomination “maison Eiffel” est complètement incorrecte !
Le communiqué de la ville annonçant la réunion publique qui a eu lieu, le 22 juin dernier, pour présenter le projet a généré plusieurs articles dans la presse locale et nationale, tels que celui du Parisien intitulé Poissy : le projet de la maison Eiffel présenté aux habitants (3).
Il semble que notre suggestion au maire de Poissy, formulée dans la première édition de cet article en 2017, de ne plus associer Gustave Eiffel à la Maison de fer, même si son nom valoriserait l’image de la ville mieux que celui de Joseph Danly, ait été entendue.
Sources :
- http://www.societetoureiffel.com/fondationSTE/fondation//histoires-eiffel-final.pdf
- http://www.ville-poissy.fr/index.php/infos-generales/611-maison-de-fer-le-defrichage-a-commence-2.html
- http://www.leparisien.fr/poissy-78300/poissy-le-projet-de-la-maison-eiffel-presente-aux-habitants-21-06-2017-7073826.php