L’île mystérieuse
Lorsque la presse nationale publiait des articles relatifs à Villennes dans les années 1930, c’était principalement sur deux sujets :
- le domaine naturiste de Physiopolis ;
- le “camp d’entraînement” de célèbres champions cyclistes.
Nous évoquerons, ultérieurement, ces cyclistes qui ne s’illustraient pas dans le Tour de France mais dans des courses de Six-Jours, en France et à l’étranger. Ils résidaient, juste en face de Physiopolis, dans l’hôtel-restaurant “Les Peupliers” qu’avait acquis un ancien coureur cycliste. Se reposant et s’entraînant à Villennes, ils traversaient parfois la Seine pour se balader à Physiopolis, comme de nombreux visiteurs.
Plusieurs journalistes ont également visité ce premier centre naturiste français. L’article publié dans le journal Marianne, en mai 1934, est particulièrement savoureux.

Ce journal, qui a précédé l’hebdomadaire homonyme, fondé par Jean-François Kahn en 1997, avait été lancé par Gaston Gallimard en 1932 et a été publié jusqu’en août 1940. L’auteur, Carlo Rim (1902-1989) a été romancier, essayiste, scénariste, réalisateur de cinéma et dessinateur de presse.
Voici comment il voyait les bungalows de fibro-ciment : “Leur forme tient à la fois de la guérite et du caveau de famille”. Sa description des naturistes est, également, intéressante : ”L'homme nu porte au cou et aux mollets la trace rose du faux-col et des fixe-chaussettes. Il a la peau douce, molle, blême, ses bras l'embarrassent et il a l'air de marcher sur des œufs. La femme nue appartient, jeune, à Henry Bataille, et vieille, à Daumier. ”.

Nous avons transcrit cet article et reproduit les photos qui l’illustraient.
A cet endroit, la Seine a déjà pris son air campagnard. Ce n'est pas encore, il est vrai, le fleuve qui roule ses flots clairs entre deux rives d'épinard, pour la seule joie des alouettes et des goujons se frôlant à fleur d'eau, mais ce n'est plus l'horrible banlieue au parfum de cambouis et de frites, qui mêle sa verdure phtisique au coton sale des faubourgs.Bref, le naturisme commence où finit le naturalisme, et c'est précisément sur l'îlot fleuri de Médan, nouveau Tilsit, que la métamorphose s'opère. Ici, Zola doit pactiser avec un nommé Polyclète, fabricant de canon. Un canon, il est vrai, qui, au contraire des autres, ne sert guère qu'à l'amélioration de la race humaine, ce qui est en somme une triste destinée pour un canon.A Villennes, le dimanche, dans les cabarets du rivage, les Parisiens, au son du clakson, prennent le thé ou vident une canette, et n'ont d'yeux que pour la verte Physiopolis, où vivent, dit-on, les hommes nus. Parfois, n'y tenant plus, quelques promeneurs courent à l'embarcadère, tendent leur obole au passeur, et abordent dans l'île mystérieuse, hilares et bien décidés à s'en « payer une tranche ». Une bouée est accrochée à un arbre. Plus loin, un écriteau : avis aux visiteurs, il est interdit d'avoir une attitude discourtoise et de se permettre des réflexions déplacées. J'ai idée que cette recommandation ne doit pas toujours être inutile.Une jolie fille, vêtue d'un slip et d'un soutien-gorge tricotés, une rame sur l'épaule, descend vers le fleuve, en mangeant à belles dents une tartine de pain d'épice. Comme eût dit Prudhomme (Joseph ou Sully), sa démarche est celle d'une statue, et les explorateurs, soudain, cessent de rigoler..Il faut passer au guichet pour visiter les stades de Physiopolis, et quelqu'un évoque avec à-propos le camp peau-rouge du jardin d'Acclimatation.

Le coin des aîeules
De chaque côté d'une allée bitumée, des « tentes fixes » en fibro-ciment s'alignent, toutes pareilles. Leur forme tient à la fois de la guérite et du caveau de famille. Au creux brûlant d'une immense piscine vide, des indigènes se rôtissent, écartelés comme des étoiles de mer. Un gros Silène passe, un broc à la main. Il porte deux buissons de poil noir à ses épaules et la peau de son ventre est si tendue qu'on ne peut que deviner son nombril. Assise sur un pliant, au seuil de son caveau, une dame âgée, aux jambes bleuies de varices, montre sans pudeur aux passants étonnés son dos. de jeune fille aux vertèbres apparentes. Ses petits-enfants, intégralement nus, jouent dans son ombre, sagement.Des hommes nus surgissent de tous les coins. Presque tous sont bien bâtis, et leur visage est empreint d'une extraordinaire gravité. Je m'obstine à appeler « hommes nus » des gens qui ne sont que des nudistes, mais je sais maintenant la différence qui existe entre le nu et le nudisme. L'homme nu porte au cou et aux mollets la trace rose du faux-col et des fixe-chaussettes. Il a la peau douce, molle, blême, ses bras l'embarrassent et il a l'air de marcher sur des œufs.La femme nue appartient, jeune, à Henry Bataille, et vieille, à Daumier. Les nudistes, eux, ne sont point de ce monde. Ils ignorent et le costume et le ridicule et l'amour, et j'ai vu, à Physiopolis, des filles ravissantes sourire à des athlètes de brique qui restaient froids comme le marbre. Si ces héros juvéniles s'étaient rencontrés dans le métro, nul doute qu'ils n'eussent fait l'amour le soir même, après de telles « avances ».

Le nu intégral

Dans le stade, des hommes nus, beaux pour la plupart...
Dans le stade incendié de soleil, les « naturistes » courent, jouent au ballon, luttent, crient. Un arbitre, dont le poignet s'orne d'un bracelet-montre, emprunte, semble-t-il, une certaine indécence à cet accessoire insolite.

Hector, va t'habiller, on va rater le train.
Deux adolescents, qu'un 400 mètres a essoufflés, se sont étendus sur l'herbe tiède et discutent. [...] L'autre grogne des mots inintelligibles et feint de dormir. Le premier a de larges pattes carrées de mécano. L'autre arbore un cache-sexe de soie noire et les ongles de ses pieds sont soignés.Ces deux nudistes en uniforme ne sont encore que des néophytes, et la mère Nature n'a pas eu le temps de faire son œuvre. Bientôt, dans leur tête bouillonnante, Al Brown mettra knock-out Louis Marin et ils lâcheront Karl Marx pour Bernardin de Saint-Pierre.C'est du moins la grâce que je leur souhaite.