Mortel conflit, à Chapet, entre
des chasseurs vernolitains et un cultivateur, dans l’un
de ses champs de chardons à carde
Continuant mes recherches estivales, dans la presse des siècles derniers, sur des événements qui se sont produits à Villennes et dans les environs, je m’intéresse, en particulier, aux narrations de faits divers qui apportent des informations sur les modes de vie d’autrefois.
Bien que la chasse ne soit pas déjà ouverte, je vous transcris, aujourd’hui, un article paru le 4 septembre 1906 dans Le Petit Journal. Ce journal parisien, républicain et conservateur, a été publié de 1863 à 1944. De la fin du XIXe siècle jusqu'à la Première Guerre mondiale, il était l’un des quatre principaux quotidiens français.
Michel Kohn
Au reçu d'un télégramme de notre correspondant de Saint-Germain-en-Laye, je partais cet après-midi, à Ecquevilly, où un chasseur de Vernouillet, M. Vallet fils, avait été, disait-on, victime de son emportement, et avait été atteint très grièvement par la charge de son fusil, au cours d'une altercation avec un cultivateur de Chapet. Il ne serait pas très facile de se rendre à Ecquevilly si l'on ne venait, précisément, d'inaugurer un service d'omnibus automobiles, tout comme à Paris, qui fonctionne, fort régulièrement entre Saint-Germain-en-Laye, Chambourcy, Orgeval et Ecquevilly, à la grande satisfaction des habitants des communes intéressées. Aujourd'hui, ce long trajet, entrecoupé de descentes dangereuses et de montées fort raides, n'est plus qu'une promenade agréable, et, dès mon arrivée, j'apprends que le grave incident s'est exactement produit à la Garenne-de-Chapet, sur la route de Meulan. Les propriétaires de Chapet, m'explique-t-on, se sont entendus pour louer leur chasse communale, moyennant une redevance peu élevée. Toutefois, certaines cultures sont exceptées, notamment les champs, affectés aux chardons à carde, qui exigent de grands soins pendant deux années consécutives avant de donner une récolte rémunératrice. Aussi, malgré la mention formelle portée sur les cartes délivrées aux chasseurs, plusieurs agriculteurs de Chapet avaient cru bon de surveiller ces cultures réservées. Un petit cultivateur, M. Ferrand, qui est en même temps cantonnier de la commune, était de ceux-là. Il cultivait à la Garenne-de-Chapet, comme métayer, de compte à demi avec M. Beaugrand, un terrain dont la récolte promettait d'être magnifique ; depuis l'ouverture, il se tenait aux aguets pour en écarter les chasseurs. Lundi soir, vers cinq heures, il en vit deux : M. Vallet, propriétaire à Vernouillet, et son fils Nicolas-Albert, qui, oublieux de la réserve mentionnée sur leurs cartes, étaient entrés dans le champ de chardons. M. Ferrand se précipita au-devant d'eux. Une altercation s'engagea. Nicolas Vallet supporta mal les observations que M. Ferrand faisait à son père. La discussion prit un caractère violent et, à un moment donné, Nicolas Vallet, croyant son père menacé, saisit son fusil par le canon et asséna un coup de crosse, à plat, sur la tête du métayer. Une détonation retentit et l'infortuné jeune homme s'affaissa sans connaissance. Son fusil, qu'il n'avait pas désarmé, était parti sous la violence du choc et la charge avait atteint l'imprudent chasseur dans l'abdomen : les plombs avaient perforé les intestins et fracturé deux côtes. Plusieurs ouvriers de la batterie de M. Boudin, et M. Beaugrand, le propriétaire du terrain, coururent chercher du secours et ramenèrent un médecin qui constata que l'état du blessé était des plus graves et qu'il fallait recourir à l'opération de la la parotomie pour le sauver. Nicolas Vallet fut alors transporté, en voiture, au domicile de son père, mais tous les secours restèrent inutiles et l'imprudent chasseur expirait hier dans l'après-midi.
M. Ferrand a été blessé à la tête par le coup de crosse que lui a asséné son adversaire et la crosse elle-même s'est brisée, un peu au-dessous des canons, ce qui a sans doute provoqué la détente de l'arme. C'était la seconde année que le fils Vallet venait chasser à Chapet où on le connaissait assez bien. Le malheureux père, atterré par le coup qui le frappe cruellement, veille en ce moment à l'ensevelissement de son fils, dont les obsèques seront célébrées demain jeudi, à Vernouillet. Le beau-frère du jeune homme, M. Delattre, ancien adjoint au maire de Vernouillet, assiste M. Vallet Le parquet de Versailles a ouvert une enquête mais la victime ayant succombé suite à sa propre imprudence, l'affaire n'aura pas d'autres suites.