Les anciennes célébrités des Mureaux : des propriétaires du Château de Bècheville
La mémoire de Villennes·Samedi 18 mai 2019·Temps de lecture estimé : 10 minutesPublic

Le domaine de Bècheville

Aujourd’hui, ce nom qui est également celui d’un bois, d'un complexe sportif, d’un théâtre et d’un marché, est le plus souvent employé pour désigner l’un des sites du Centre Hospitalier Intercommunal de Meulan-Les Mureaux. Lorsqu’on se rend au Conservatoire Gabriel-Fauré pour la première fois, on découvre qu’il est situé dans le château de Bècheville, alors qu’aucun panneau ne l’indique et que son entrée n’est pas facile à trouver dans un quartier de grands immeubles d’habitation construits dans une partie de son parc. Les élèves de ce conservatoire de musique et les musiciens qui utilisent ses studios de répétitions et d’enregistrement connaissent-ils la riche histoire de ce lieu ?
Je ne décrirai pas ici la bâtisse qui appartenait aux seigneurs des Mureaux et de Bècheville, avant son acquisition, en 1811, par le comte Pierre Daru, ministre et secrétaire d’État de Napoléon Ier, ni la grande demeure de style Louis XIII, résultant de sa transformation, pendant dix ans à partir de 1855, sous la supervision de l’architecte Henri Parent. Elle a été réalisée par le fils du précédent propriétaire : prénommé Napoléon, filleul de Napoléon Ier et de Marie-Louise d’Autriche, il était alors député avant de devenir ministre des Affaires étrangères.

Les propriétaires du domaine de Bècheville, lors de l’existence du haras

[Notre enquête a permis de retrouver l’emplacement du haras, décrit dans un article de la revue Le Sport universel illustré, en 1890 : il se trouvait à la limite de la commune des Mureaux mais sur le territoire de Chapet.] 
Le haras de Bècheville
Ce haras aurait donc été installé après le décès de Napoléon Daru. Le nom du nouveau propriétaire du château, qui l’a acquis en 1891, varie selon les sources : prénommé Félix, il serait soit Hubin soit Dehaynin. En fait, le deuxième était le gendre du premier ; Félix Hubin était, vraisemblablement un industriel normand, dont les usines métallurgiques, fonderies et laminoirs, se trouvaient dans sa ville de Gournay près de Harfleur, à Rouelles et au Havre ; celles-ci produisaient des tubes de laiton et de cuivre, des barreaux et des barrettes en cuivre et des tuyaux de plomb. Félix Dehaynin (1822-1895) était, conseiller municipal de Paris et trésorier de la chambre de commerce. Sur sa tombe au cimetière du Père-Lachaise, une inscription précise qu’il était officier de la Légion d’honneur et qu’il est décédé en son château aux Mureaux. Le nom du château y est illisible mais il est bien précisé dans les annonces du décès, parues dans la presse. [Il] était, à Paris, fabricant de produits chimiques en 1874, puis négociant en charbons en 1891.
Son décès a entraîné une nouvelle vente du domaine de Bècheville, dont l’annonce a été publiée, en juin 1896, dans plusieurs journaux, dont Le Temps ; celle-ci ne mentionnait pas le haras mais décrivait ainsi la propriété : « 600 hect. environ, château, communs, parc, eaux vives, fermes et moulins de Bécheville et de Sautour, fermes des Rouloirs et de Chapet. Grand et Petit moulins de Chapet, bois, terres, prés, chasses […] ».
Le moulin de Sautour en faisait, donc, encore partie.

Le fondateur du haras

Si le terrain du haras appartenait à Félix Dehaynin en 1891, ce n’est pas lui qui l’avait créé, comme l’indique la même revue Le Sport universel illustré, dans son édition du 1er juillet 1899 ; un article sur le marquis Maison, qui venait de disparaître, nous le présente ainsi que son successeur :
« Depuis de longues années il s'occupait du modeste élevage qu'il avait fondé à Bécheville, puis transporté sur le plateau voisin lorsqu'il cédait son haras à M. Th. Dousdebès. […] Très aimable et excellent homme, il avait un caractère d'une égalité que rien ne pouvait
troubler ; jamais on ne l'a entendu se plaindre ni récriminer ; il laissera à tous ceux qui l'ont connu un sympathique souvenir.
»
Ce marquis Maison était-il un descendant de celui qui était général de division en 1813 ? […] Né en 1871, créé baron de l’empire après la Retraite de Russie, il fut créé comte après ses victoires sur les Prussiens en 1813. Il fut, ensuite, ambassadeur et ministre de Louis-Philippe. Le titre de marquis a été attaché héréditairement à sa pairie par une ordonnance royale de 1817 ; […] décédé en 1840, il avait trois fils, respectivement marquis, comte et vicomte, décédés entre 1869 et 1885. Aucun de leurs fils ne semble avoir porté le titre de marquis. En effet, [...] l’ainé des fils n’avait pas de postérité. Toutefois, […] après son décès, Jean Joseph Robert Calmon, fils de sa sœur, ayant obtenu en 1886 l’autorisation d’adjoindre le nom Maison au sien, s’est fait connaître sous le titre Marquis Maison. Une de ses cousines, Isabelle Maison, baronne de Vatimesnil, petite-fille du pair, Maréchal de France, a péri dans l’incendie du Bazar de la Charité, en mai 1897.

Lors de l’exposition universelle de 1867, un marquis Maison a été vice-président d’un jury des beaux-arts comprenant Ernest Meissonnier ainsi que d’autres peintres célèbres (Gerome, Théodore Rousseau…). Il n’était pas connu comme artiste-peintre mais en tant que collectionneur de tableaux. Dans son ouvrage Les petits mystères de l'Hôtel des ventes, Henri Rochefort a écrit en 1862 : « Une croûte, dans les mains d'un amateur connu, attrape facilement un renom de chef-d'œuvre. Mieux vaut, au point de vue de la spéculation, posséder un Galimard, qui viendrait du marquis Maison ou du docteur Lacaze, qu'un Van Dyck, qui sortirait d'une boutique de la rue Jacob. » L’acquisition de la collection du marquis Maison, en 1868, par le duc d’Aumale, et la vente d’autres œuvres d’art, en 1869, après son décès confirment qu’il s’agissait de l’oncle.
Le marquis Maison était un expert financier : en 1890, il a été nommé commissaire « à l’effet d’apprécier la valeur exacte de l’ensemble de l’actif de la Banque parisienne ». Un fac-similé d’une aquarelle, daté de 1885, mis en vente en 2015, fait apparaître quatre chevaux derrière un personnage dénommé « Mr. le Marquis Maison », mais le contexte semble plutôt circassien.
Le journal Le Figaro du 12/5/1883 contient une information sur un marquis Maison, alors propriétaire de chevaux : l’un d’eux avait gagné le Prix Vertugadin à Saint Louis de Poissy, c'est-à-dire à Carrières-sous-Poissy sur l’hippodrome que venait de construire un vigneron, M. Lemercier, à côté de son haras. Ceux-ci seront acquis en 1906 par William Kassam Vanderbilt qui bâtira son château à proximité. D’autres journaux mentionnent des succès hippiques du marquis jusqu’en 1896.
Dans Le Livre d'or du sportsman, publié en 1899 par le comte de Mirabal, se trouve cette information : « Jusqu'à ce jour, le marquis Maison s'était occupé uniquement d’élevage ; mais, pour utiliser les produits de son haras, il s'est mis à faire courir et, en 1896, l'écurie a gagné six courses s'élevant à 22230 francs. En 1897, ses couleurs, casaque bleue, toque rouge, n'ont pas paru sur le turf. » Il précise qu’il s’occupait alors, donc après avoir quitté le haras de Bècheville, de celui d’Aubergenville. […]

L’aménageur et développeur du haras

Th. Dousdebès avait un fils prénommé Paul, également propriétaire de chevaux, qui est devenu, en 1903, handicapeur de la Société d’Encouragement. Le livre d’or du sportsman, déjà cité, évoque le haras de Bècheville et les activités de ses deux dirigeants : « […] MM. Dousdebès père et fils s'occupent beaucoup de leurs chevaux à l'entraînement, qu'ils ont confiés à R. Denman et qui sont au nombre de vingt-cinq, dont seize pour le plat et neuf pour l'obstacle. […] Le haras de Bécheville est un très bel établissement d’élevage ; il se compose de trois étalons : Trajan, Mignon, Accapareur et de dix-sept poulinières, dont l'une appartient à M. Paul Dousdebès. […] Comme on le voit, M. Dousdebès ne néglige rien pour obtenir les bons résultats qui ne peuvent manquer de venir récompenser ses efforts. Ses couleurs sont : casaque blanche, manches et toque vertes. »
Divers documents consultés donnent moins d’informations sur Th. Dousdebès que sur les chevaux de son haras, notamment les poulains qui y sont nés et y ont été élevés, ainsi que sur leurs résultats dans les courses. C’est un article du journal Le Figaro d’octobre 1891 qui fait connaître sa vie antérieure : « Type de notaire breton, breton d'origine. Il a de grandes propriétés dans le Morbihan et à Lorient, sur le square Brizeux, un musée plein de tableaux d'écoles italienne et flamande. Chef d'exploitation de la Compagnie générale des eaux, officier d'académie, philanthrope, fondateur d'une Société de secours mutuels des employés de la Compagnie. Il est devenu sportsman, depuis deux ans on le sent lâcher les eaux pour les chevaux. Les lauriers du turf excitent ses ambitions. » Le journaliste précisait que son fils, l’un de ses confrères, l’avait poussé dans cette voie.
Ce journal mentionne, encore, le haras de Bècheville en 1899 à l’occasion de la vente de ses yearlings et de ceux du haras de Jardy. La publication Les Sports hippiques, annuaire général de l’hippisme, recensant, dans son édition de 1932, le haras de Bècheville (par Les Mureaux), appartenant à M. Dousdebès, il est vraisemblable que Paul Dousdebès avait succédé à son père.

Ce dernier n’aimait-il pas son prénom, Théodore ou bien Théophile, Théophraste, Théodule ? En effet, il était toujours indiqué par ses deux premières lettres, même dans la plupart des annonces de son décès intervenu en 1910. Un faire-part, trouvé sur le site Geneanet, confirme que notre première hypothèse était correcte : à la fin de sa vie, Théodore Dousdebès était, effectivement, chef d’exploitation honoraire de la Compagnie générale des eaux et président de la « Neptune », société de secours mutuels des employés de cette compagnie. Ses anciennes activités hippiques n’étaient pas indiquées.
Vestiges des bâtiments du haras, rasés en 2009 - © Benoît Beaunez
Michel Kohn