Accident de voiture (à cheval) de
la châtelaine d’Hardricourt, actrice d’un théâtre
parisien
La ville d’Hardricourt, située sur la rive droite de la Seine entre Meulan-en-Yvelines et Mézy-sur-Seine est, particulièrement, connue pour son usine de chocolat et pour son château, dont le propriétaire des années 1970 jusqu’en 2011 fut Jean-Bedel Bokassa.
En juillet 1863, un accident de la circulation, dans la descente d’Hardricourt, fit l’objet d’un article dans la revue La Comédie ; la calèche transportait une actrice, qui possédait alors le château ; elle devait jouer le soir sur la scène du Théâtre du Boulevard-du-Temple. N’ayant que de légères contusions, elle put prendre le train à Meulan pour s’y faire applaudir, deux heures plus tard.
Une semaine après la parution de cet article élogieux qui, en fait, reproduisait un texte de La gazette des étrangers, un autre journal Le Tintamarre, qualifiant son concurrent de “journalicule théâtral ”, mit en doute cette version des faits.
Un Dieu veille sur nous ; voici ce qu'un « historien sincère » écrivait jeudi à la Gazette des Etrangers :« Un accident semblable à celui qui a failli, tout récemment, coûter la vie à Mlle Brohan, mettait hier, également en danger, les jours d'une autre actrice qu'on applaudit, en ce moment, au Théâtre du Boulevard-du-Temple, dans le tôle de Mme Moronval, de la pièce de ce nom, où elle déploie, chaque soir, un talent véritable et une splendide beauté.» Mlle Victorine de Courtais revenait, dans sa voiture, d'une propriété qui lui appartient à Hardricourt, auprès de Meulan, en compagnie aussi de deux messieurs, dont l'un M. S..., notaire en cette ville, était placé près d'elle, tandis que l'autre,
M. Saint-Albin, assis sur le siège, tenait les rênes en main. Le cheval, dès le départ, soit qu'il fût mal attelé, soit excès de repos et de nourriture, donnait des signes d'impatience, lançait à chaque instant des ruades et cherchait à gagner à la main de son conducteur. Arrivé à la descente d'Hardricourt, qui est très rapide, M. Saint-Albin cessa de pouvoir le contenir ; l'animal s'élançait par bonds furieux, et, saisi d'une sorte de vertige, imprimait à la voiture, dans sa course désordonnée, de terribles cahots. Une catastrophe était inévitable ; pour essayer de la prévenir, M. S... sauta rapidement hors de la voiture, espérant arriver à la tête du cheval pour le maîtriser. Renversé par le choc, il eut la chance de se relever sans blessure, mais déjà distancé par la voiture, il ne put que de loin assister à l'effroyable collision de l'animal contre le mur d'une ferme où la voiture se brisa avec fracas. M Saint-Albin fut lancé en l'air et retomba, par bonheur, sur le dos du cheval abattu, d'où il roula dans la poussière, sans autre mal. Quant à Mlle de Courtais, cramponnée à la voiture, elle n'avait pas un instant perdu la tète, et encourageait son compagnon à ne pas quitter le siège, ce qui probablement lui a sauvé la vie.» Mais le chemin de fer n'attend personne, il fallait arriver à Meulan pour saisir le train qui se dirige sur Paris au passage, afin de ne pas faire manquer la représentation du soir. La courageuse femme refoulant son émotion, imposant silence à ses nerfs ébranlés, voulut, à peine sur pied, se remettre en route sur le champ... Et moins de deux heures après cette terrible aventure les spectateurs de M. Brisebarre, auxquels le jeu saisissant de la belle de Courtais arrachait des larmes sur les souffrances imaginaires de Mme de Moronval, étaient loin de se douter de l'affreuse réalité à laquelle venait d'échapper l'actrice qui, pour ne pas entraver leurs plaisirs, avait persisté à se rendre à son devoir, malgré une secousse morale et des contusions physiques qui eussent suffi pour mettre hors de combat toute autre que la vaillante artiste.» Qu'on dise encore que l'amour pur de l'art n'existe plus, à notre époque ultra-réaliste ! Mlle de Courtais est riche, heureuse ; le château d'Hardricourt, au sortir duquel survenait l'accident, est un domaine princier d'où ne s'échappe chaque jour la belle châtelaine pour les coulisses d'un théâtre, que par suite d'une irrésistible vocation justifiée, du reste, par des qualités dramatiques peu ordinaires et une beauté de reine. »« Sincère, mais enthousiaste, » ajoute M. H. de Pêne. M. Saint-Albin, qui, comme Mlle de Courtais, a couru le plus grand péril, est très connu dans le monde artiste ; il a appartenu à l'administration de l'Opéra-Comique et dirigé un journal de théâtre, alors au premier rang.
FIEZ-VOUS DONC AUX JOURNAUX (DE THEATRES)On lit dans un journalicule théâtral cette réclame en partie double, faite dans le but de donner de la célébrité (à tant la ligne) à une dame qui a peu de présent et pas d'avenir dramatique :Il y a deux jours, mademoiselle Victorine de Courtais venait de quitter son château d'Hardricourt et se rendait en voiture à la station de Meulan ; elle devait y prendre le chemin de fer pour venir à Paris, où elle SE FAIT APPLAUDIR TOUS LES SOIR, sur le théâtre du boulevard du Temple, dans le rôle de madame de Moronval.Tout à coup le cheval s'emporte et va briser la voiture contre un mur qui bordait la route. Mademoiselle de Courtais, au lieu de chercher à descendre de la voiture, comme on a toujours grand tort de faire en pareille circonstance, s'y était fortement cramponnée. Aussi en a-t-elle, au contraire, été quitte pour quelques légères contusions.Malgré la très vive émotion que lui avait causée cet affreux accident, la VAILLANTE ACTRICE est montée en chemin de fer et est arrivée assez à temps encore pour entrer en scène.Oh ! là, là !Il n'y a qu'un petit malheur dans tout ce récit, c'est que la VAILLANTE artiste n'a pas joué, et que le théâtre a fait relâche pour cause d'indisposition de mademoiselle de Courtais, qui a envoyé reprendre le même soir, par sa sœur, ses toilettes de théâtre.
Il est à noter que Victorine de Courtais ne put pas, ce soir, jouer le rôle de Mme de Moronval, personnage dont les souffrances étaient imaginaires. Il ne semble, toutefois, pas que cet accident de la châtelaine-actrice n’aurait été que le résultat d’une mise en scène.
Cette comédienne n’a laissé ni beaucoup de souvenirs ni son portrait. Selon le journal “Les coulisses - Gazette de Paris” du 14/7/1860 : “ Mademoiselle Victorine de Courtais vient d'arriver à Paris après une saison passée aux théâtres de Madrid et de Barcelone, où elle a obtenu de très grands succès“. Elle a alors joué au Théâtre du Vaudeville.
Un article du quotidien Le Figaro du 26/10/1865 à propos de la pièce La Louve de Florence, qu’elle interprétait au Théâtre-Beaumarchais, la présentait ainsi : “une de ces personnes distinguées dont les menuisiers du faubourg Saint-Antoine disent Voilà une bien grande dame ! [...] Mme Victorine de Courtais a parfois des élans vers la haute comédie. Dans les scènes de passion elle a un de ces gestes pleins de noblesse qui veulent dire Messieurs, fleurissez vos dames.”