Souvenirs de jeunesse à Villennes (de 1949 à 1962)


Après des échanges avec Michel Szemzo, que nous avons connu grâce au groupe Facebook Les "Anciens" de Villennes-sur-Seine, nous publions l'intéressant texte que nous lui avons suggéré de rédiger. Il nous a, également, fourni les photos de sa collection personnelle qui illustrent cet article.

Mes écoles

Mon premier souvenir est celui de l’école maternelle qui se trouvait dans une grande maison à la sortie du village dans l’avenue Georges Clemenceau. J’y étais le chouchou et l’on faisait pousser des petits pois dans du coton. Je devais avoir 6 ans ; c’était donc en 1949. L’année suivante, c’était la vraie école, située dans des bâtiments préfabriqués devant la place qui se trouve au centre du village ; je crois que c’est, maintenant, la bibliothèque. C’est là que j’ai appris à écrire et je me souviens, surtout, de la fête pour la remise des prix.

Je suis ensuite allé à la petite école située à l’angle de la rue des Ecoles et de la rue de Neauphle.


L’instituteur, M. Poitrenaud, d’une grande gentillesse a commencé à nous apprendre ce que l’école ne fait plus : à compter, la grammaire, etc.



A la fin décembre 1951, je suis parti trois mois aux Etats-Unis où mon père envisageait de s’installer. Je suis allé dans un pensionnat avec mon frère et je n’ai pas appris beaucoup d’anglais ; mon frère se moquait de moi car, dans une petite pièce de théâtre, alors que je devais dire "look at the bright star", j’ai dit : "l’eau gazeuse au drugstore" ! Mon père a renoncé à son projet et nous sommes revenus au printemps 1952.

Je garde de cette époque le souvenir d’une vie tranquille : j’allais à pied tout seul à l’école, et je commençais à me faire des amis ; le meilleur était Claude Eugène qui habitait la moitié d'une maison à la fin de la rue du Coquart ; nous jouions à un monde futur,  imaginant des inventions, notamment le téléphone portable où l’on se verrait.  A l’époque, le téléphone avait une manivelle. Mon numéro était le 250 à Villennes et je devais demander  le 108 à Villennes à l’opératrice qui m’intimidait ;  je la revois dans le bureau de poste jonglant avec les fiches comme dans le sketch de Fernand Raynaud "Le 22 à Asnières".

D'autres amis étaient des enfants de gardiens de grandes maisons : l'un d'eux habitait tout au bout de l’Île de Villennes, à gauche ; un autre avait un immense jardin, juste au carrefour de Marolles. Je me souviens d’un jour de juin  : tandis que nous nous empiffrions de cerises, j’en ai coupé une en deux ; j'y ai trouvé un petit vers qui gigotait, puis un deuxième et un autre !

Je suis ensuite allé à la grande école, rue de l’Ancienne mairie, dans la classe de M. Preneux. Avec sa blouse grise, il nous préparait en deux ans à l’examen d’entrée en 6e.  Je l’ai raté une première fois, justement à cause de l’orthographe, et je continue de faire des fautes, au grand désespoir de ma femme. Claude, qui était bon élève, a réussi du premier coup, ce qui a fait que nous nous sommes vus moins souvent. Auparavant, nous faisions tout ensemble. Lors de la fête du village avec les forains, les autos tamponneuses nous fascinaient  ; nous avons proposé nos services qui ont été acceptés : nous avons nettoyé les autos en échange de bons pour plusieurs tours, ce qui a impressionné toute la famille.

En 1956, l’année où il a fait si froid et la Seine a gelé, j’avais 13 ans ; je suis parti faire du ski à Megève et je me suis cassé la jambe, le dernier jour, dans la dernière descente ; les fixations portaient bien leur nom !

Mes parents ont voulu que je reste pendant ma convalescence de trois mois, ce qui a été fatal pour la suite de mes études. A cette occasion,  je me suis mis à la lecture intensive et j'ai eu l'idée de créer une revue imprimée sur stencil, Le troufignon laborieux. J’ai retrouvé un exemplaire du premier numéro de cette publication mensuelle.



Commentaire de l'ACV

Le titre de cette revue provient d'une désignation d'un orifice naturel, dont la première mention connue se trouve dans cet ouvrage du début du XVIIe siècle.

Ce mot peut désigner, par extension, la zone arrière concernée, comme dans l'usage qu'Emile Zola en a fait dans son roman L'Assommoir : "Je regardais une petite qui se tortillait au bras d'un vieux, devant moi, et je me disais : voilà un troufignon que je connais".

La maison de ma famille, la Villa du Parc

Mon grand-père maternel, Léon  Siritzky, avait acheté cette maison en 1938 sur les conseils de Wolf Lévitan, le créateur des Meubles Lévitan ; son neveu avait la maison "Castel Villennes" à l’angle de l’avenue du Parc et de l’avenue Foch. Ayant dû fuir la France et les Nazis pendant la guerre, mon grand-père a confié puis légué sa maison à sa fille Klara, ma mère.

C’était la maison où mes oncles et leurs familles venaient souvent passer le dimanche ; nous faisions de grands repas sous l’immense marronnier qui, par vieillesse et faute d’élagage, a perdu, une nuit, la moitié de sa splendeur.

La fumée noire du train à vapeur, qui passait derrière la maison, nous laissait parfois des odeurs !







Mon père amenait aussi ses amis, dont le prince Rainier de Monaco.

Sur la première photo, il était, au premier plan,  sur le balcon de la Villa du Parc, avec l'un de ses amis, ma mère, mon père et moi.

Le prince avait dédicacé cette photo de lui à mon père qu'il nommait "Professor" Eugène. Mes parents avaient assisté à son mariage.


Nous étions devenus amis avec les voisins turcs, les Fidji, qui avaient deux filles ; il était très facile d’escalader la cascade au dessus de la rivière pour passer d’une maison à une autre. De l’autre coté, habitait une jolie fille, Régine Tanvier, mais nous n’avions pas de contact.


Mon père est retourné aux Etats-Unis en 1956, suivi par mon frère.

Ma mère décida de rester en France et de divorcer.


Nous n’avions pas beaucoup de moyens et une femme de ménage cuisinière nous aidait ; moi, j’étais le jardinier en chef et je me souviens de journées épuisantes à tondre les pelouses car les tondeuses n’avaient pas de moteur. Pour moi, le jardin était immense, coupé en deux par la rivière avec des poissons dont je ne connais pas le nom ; il y avait le grand pont et le petit pont. Je garde le souvenir de trois arbres remarquables : le marronnier, l’immense saule pleureur et un grand sapin, là où se trouve aujourd’hui une maison. Il y avait des fraises des bois et des violettes dont je continue de sucer les tiges. A l’arrière de la maison, sur la pente qui descend vers les voies de chemin de fer, se trouvaient deux pommiers, dont un qui donnait des pommes acidulées délicieuses et parfois habitées, et un abricotier dont je n’attendais jamais assez que les fruits murissent. J’avais fait un trou pour aller sur la voie de chemin de fer et je m’amusais à poser sur un rail une pièce 5 francs en aluminium qui doublait de taille lorsque la locomotive roulait dessus.


En 1955, il y a eu une inondation qui a fait déborder la rivière et nous regardions avec angoisse l’eau qui s’approchait de la cuisine.

Nous avons construit,  sur le seuil de la porte, un petit muret qui n’a servi à rien.


La maison avait un portail qui n’avait pas de clé et cinq entrées pratiquement pas protégées ; nous avons eu peur, un jour, parce qu'un homme avait menacé ma mère et j’ai passé mon temps à vérifier que tout était bien fermé. Le reste de l’année, il était facile d’entrer mais nous n’avions pas peur.

D'autres propriétaires de villas villennoises

Ma mère était très amie, toute sa vie, avec Jacqueline, la fille de Wolf Lévitan, et une amie de la famille Rachline (les matelas et literie Rachet), qui était devenue propriétaire de la villa "Castel Villennes" de Wolf.

Lorsque mon père était là, nous aimions nous promener dans l'Île de Villennes ; il me montrait la maison de Pierre Lazareff à l'entrée de l'île. Je me souviens de sa surprise lorsque nous avons croisé le beau-frère de Wolf Lévitan, Marcel Bleustein, en scooter ; il m'a alors dit "Tu te rends compte : un homme si riche qui roule en scooter !". Je circule, moi-même, en scooter depuis plus de 50 ans !

Marcel était très ami avec mes oncles ; c'est à eux qu'il confia la gestion des cinémas Publicis.

Nous allions aussi voir la maison que Marcel Dassault avait achetée pour être à côté de son ami Marcel ; elle était tout le temps en travaux ! Une fois l'escalier était à droite ; une autre fois à gauche.

Le village, à l'époque où j'y habitais

Je garde le souvenir d’un village paisible. Lorsque j’achetais une baguette avec du chocolat Meunier, à la boulangerie en haut de l’avenue Georges Clemenceau, j'en mangeais la moitié sur le chemin du retour. J'allais aussi, souvent, à la grande épicerie Blossier.  J’ai déjà évoqué les fêtes du village ; il y avait aussi la Saint-Christophe ; ce jour-là, le curé bénissait tous les véhicules. C'est au café Le Sophora que j’ai vu, pour la première fois, une télévision. Il y avait aussi des projections de films, dont ceux de Laurel et Hardy. A la petite épicerie, qui s’appelle aujourd’hui Le Marigny, en sortant de l’école, j’allais acheter des caramels à un franc, soit 0,01 nouveau franc soit 0,0015 ¤. J’achetais aussi des malabars qui donnaient la chance assez rare de gagner un autre malabar ; un jour j’en ai gagné trois de suite ! Plus tard, j'allais à la piscine de Médan et au Country club de la Nourrée, où je me suis fait des amies au bord de la piscine, très peu fréquentée.

Mes parents m’avaient offert un vélomoteur pour aller au lycée afin de m’éviter le train pour Poissy, le car par Saint-Germain ou le car de Chapet, beaucoup moins pratique. Je me souviens d’un gadin mémorable dans la rue qui mène au petit tunnel pour aller dans l’île ; j’ai toujours un petit trou dans la paume droite. Je passais mon temps à démonter et remonter le moteur pour améliorer ses performances et j’étais toujours surpris qu’il me reste des pièces sur l’établi. J’allais jusqu’à Meulan pour le tester sur la grande côte. En 1961, alors que j'allais au lycée, rêvassant sur la route de Quarante sous, une camionnette de La Marée m’a doublé et a, ensuite, ralenti pour tourner à droite ; heureusement les portes arrière étaient ouvertes : je me suis retrouvé au fond du camion, un peu assommé avec de petites écorchures aux jambes ; le chauffeur n’a trouvé que le vélomoteur sans me voir tout de suite.  Je crois que si j'avais été un peu plus à droite ou à gauche, je ne serais pas là car les étals de poissons avaient des cornières en acier. Nous ne portions pas de casque à l’époque.  Après ce vol de l’Alcyon [oiseau marin mythologique], les gendarmes m’ont reconduit à la maison.


Cette voiture n'était pas celle du poissonnier mais l'Oldsmobile, modèle 1952, de mon père, dans le jardin de notre maison.


Lorsque je devais rentrer du lycée en train, pour gagner du temps, je faisais parfois de l’autostop ou je parcourais les 4 km entre Poissy et ma maison en courant ; je gagnais souvent.

En 1961, j'ai passé, sans succès, le bac. Après des stages à Paris, en juillet 1962, je suis parti faire mon service militaire. Je ne suis jamais retourné à la Villa du Parc ; ma mère l’a d’abord louée puis l’a vendue pour acheter un appartement à Paris. Je suis passé plusieurs fois devant la maison pour la montrer à mes enfants puis à mes petits-enfants.

Je reste attaché à Villennes où j’avais amené ma future femme sur les coteaux, qui n'étaient pas encore lotis. C'était le jour de nouvel an 1966 ; j'avais trouvé ce prétexte pour l’embrasser sous le gui. Cela m’a porté chance puisque nous sommes toujours mariés.


Texte et photos de Michel Szemzo (juillet 2022)


Mise en forme par Michel Kohn

 

Lire l'histoire de la Villa du Parc et des informations, prochainement complétées grâce à Michel Szemzo, sur la famille Siritzky