![]() La dernière traversée, fluviale,
de notre territoire
|
Les belles poules de mer Ce navire était la troisième des frégates françaises ayant porté le nom Belle Poule ; en fait, elles auraient dû être nommées « Belle Paule », en souvenir d'une jeune fille de Toulouse, dont la beauté avait été remarquée par François Ier lorsque, choisie par le conseil municipal, elle lui avait remis les clés de la ville ; un corsaire bordelais aurait, plus tard, donné son nom en occitan, Bella Paoula, à son navire. Le nom Belle Poule a été repris pour une goélette devenue un voilier-école de la Marine nationale : construite en 1932 pour pêcher la morue en Islande, elle avait rejoint les Forces Françaises Libres pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle participe, souvent, à des fêtes nautiques, telles que l'Armada. |
Arrivé en France un mois et demi plus tard, dans la Rade de Cherbourg, le cercueil fut transféré, six jours plus tard, avec l'équipage sur le bateau La Normandie, fonctionnant à la vapeur et de roues à aubes, qui se dirigea vers Le Havre.
Toutefois, il était trop haut pour passer sous les ponts de la Seine jusqu'à Paris. Près de Rouen, le cercueil fut chargé, le 9 décembre, sur le bateau La Dorade 3 qui, pour ce voyage, avait été peint en noir et décoré d'aigles dorées. Le prince de Joinville, fils de Louis-Philippe qui lui avait confié le commandement de l'expédition depuis le départ de La Belle Poule de Toulon, devait dormir sur le pont comme l'équipage, ne disposant pas d'une cabine.
La transport de passagers sur la Seine Il a, souvent, été écrit que le cercueil de Napoléon a été transporté sur la Dorade. En fait, il s'agissait du bateau n°3 de la compagnie nommée Les Dorades qui, ainsi que la société concurrente Les Etoiles, assurait le service de transport fluvial entre Paris et Rouen. Dès 1826, 20 bateaux à vapeur circulaient sur la Seine. Le Pecq était devenu le départ des descentes de la Seine jusqu'au Havre en 1837, après l'ouverture de la ligne de chemin de fer qui a, ensuite, été prolongée jusqu'à Saint-Germain-en-Laye. Les bateaux Dorade et Etoile partaient chaque matin à la même heure, 8 heures, et arrivaient à Rouen entre 18 et 19 h ; leur vitesse moyenne était de 18 km/h (200 km en 10 h, avec dix huit arrêts). Chaque capitaine s'efforçait de naviguer plus rapidement que l'autre de sorte que des accidents pouvaient être craints. Ils s'arrêtaient à Maisons-Laffitte, à Conflans-Sainte-Honorine, à Herblay, à Poissy, à Triel, à Meulan, à Mantes, à Rolleboise et à La Roche-Guyon-Bonnières. Chaque Dorade était mue par une machine à vapeur à haute pression de 40 chevaux, construite par François Cavé, mécanicien à Paris. En 1843, le nombre de bateaux à vapeur augmentant, une ordonnance de Louis-Philippe réglementa leur navigation sur les rivières et les fleuves de France. Toutefois, les diverses entreprises de navigation, ne pouvant lutter avec le chemin de fer, perdirent peu à peu leurs clients et disparurent vers 1845 ; l'une maintint son activité sur la Haute Seine, de Paris à Montereau. |
Plusieurs ouvrages, publiés peu après le retour des cendres, relatent en détails cet évènement de juillet à décembre 1840. Celui dont le début du long titre est Histoire de l'expédition de la flottille de bateaux à vapeur de la Seine (4) nous fait bien connaître le déroulement du parcours qui nous concerne particulièrement.
« A Mantes, où l'on arrive
à dix heures du matin, l'espace semble manquer à la
population ; le port est envahi, une magnifique garde
nationale, de toutes armes, se déploya en bataille sur les
deux rives, ayant à sa tête le sous-préfet, le maire, le
clergé en habits sacerdotaux, le tribunal, toutes les
autorités. C'est l'artillerie de la milice citoyenne qui
salue la flottille de l'Empereur ; la Dorade n° 3 y répond
en passant sous le pont, décoré de trophées d'armes où
sont inscrites les principales victoires du héros. Cette
foule compacte ne semble avoir qu'une voix pour bénir sa
mémoire.
Même réception à Porcheville, à Mézières, à Rangiport, à
Juziers, à Meulan même, où l'on remarque cependant l'absence
de la garde nationale et du clergé ; une lettre adressée par
le maire de cette ville au préfet de Seine-et-Oise et
publiée dans plusieurs journaux, a parlé de mystifications
douloureuses dont cette commune et les populations
environnantes auraient été les victimes ; le convoi impérial
n'aurait été attendu que pour le lendemain 13 vers 9 heures,
et des dispositions auraient été prises en conséquence.
Non, il n'y a eu de la part de qui que ce soit dessein
arrêté de mystifier personne. Le prince commandant la
flottille, craignant que, si le froid continuait, les glaces
n'interrompissent la navigation de la Seine a, dans les
commencements, forcé son itinéraire, sauf à y rentrer plus
tard aux approches de Paris. Voilà tout ! Il est à regretter
que M. le maire de Meulan n'ait pas été informé de ce
changement d'étapes, comme tous ses collègues des deux rives
ont dû l'être, car tous ont été exacts au rendez-vous de la
reconnaissance.
Après Meulan, on a salué le Temple, Port Mahon, Vaux, Triel
qui s'adosse à une haute colline, avec son église en
amphithéâtre et son hospice, desservi par les S½urs de la
Charité, qui se rangèrent pieusement sur la grève pour dire
un dernier adieu au cercueil impérial. On distingue ensuite
Verneuil [...], Vernouillet, Médan, Vilaines et
Poissy qui voit l'escadrille de Napoléon passer en plein
jour sous le pont de pierre dont cette vieille cité est
redevable à Louis IX, un de ses enfants. Salut, moulins si
laids et si utiles ! Vaste marché de bestiaux qui alimente
Paris ! [...]
Depuis Meulan, l'enthousiasme n'avait fait que croître ;
c'étaient partout les mêmes démonstrations spontanées, le
même enivrement. A Poissy, la rive était couverte de gardes
nationales, de troupes de ligne, d'habitants de l'intérieur
qu'unissait une seule pensée, le désir de payer un dernier
hommage aux cendres du héros qui avait fait la gloire de la
France.
La flottille alla mouiller au-delà du pont où la Seine est
encore fort large. Sur les deux rives se formèrent
immédiatement des bivouacs, des feux s'allumèrent, des
tentes furent dressées, la garde nationale voulut, malgré le
froid, faire sa veillée d'arme avec la troupe de ligne. A la
lueur des feux, on remarquait, du haut des bateaux à vapeur,
les factionnaires qui se relevaient, les patrouilles qui
passaient et repassaient silencieuses ; on entendait le qui
vive des factionnaires qui se répétait au loin d'écho en
écho. Le lendemain, dimanche 13, au point du jour, les
tambours battirent la diane, les trompettes y répondirent de
la hauteur, les canons de la garde nationale et les obusiers
de la Dorade échangèrent leurs saluts. Napoléon, se relevant
de son cercueil, eût pu se croire au milieu d'un camp.
Dans la nuit, le duc d'Aumale était venu joindre son frère à
bord. L'abbé Coquereau prit leurs ordres. C'était le dernier
dimanche qu'il devait passer auprès des restes mortels de
l'Empereur. A dix heures du matin, il monta à l'autel pour
célébrer la messe devant le cercueil. Les deux princes, à la
tête des états-majors, étaient debout, découverts ; les
généraux Bertrand et Gourgaud se tenaient au pied du
catafalque, dans un profond recueillement ; et autour de la
Dorade s'étaient rangés en ordre tous les autres bâtiments,
dont les équipages couvraient les ponts. Les troupes et les
gardes nationales, en bataille, l'arme au pied ; le clergé
de la ville, croix et bannière en tête, étaient venus
spontanément s'échelonner sur les deux rives ; et, malgré la
rigueur du froid, les populations de Poissy et des communes
voisines, hommes, femmes, enfants, vieillards, se groupaient
tête nue et agenouillées sur les bords. Le silence qui
régnait dans ces masses ferventes n'était interrompu que par
le bruit du canon et les harmonies funèbres de la musique du
prince qui montait le Zampa. Tout le long de la route, à
travers les villages et les villes, elle avait semé en
passant les vieux accords de la Marseillaise et du Chant du
départ, auxquels plus d'une fois les musiques des gardes
nationales et de la ligne avaient répondu avec effusion.
Après la messe, suivie de l'absoute, la flottille se remit
en route, accompagnée des v½ux des habitants, dont un grand
nombre l'escortèrent longtemps à la course. Elle vit, sur
son chemin, Achères, Andrésy [...],
Conflans-Sainte-Honorine avec son joli port ; Herblay et le
hameau du Val, avec leurs gracieuses îles ; Lafrette, adossé
à une colline abrupte ; Sartrouville ; et enfin Maisons, ou
l'on devait passer la nuit ; Maisons, dont le château [...]
est aujourd'hui la propriété de M. Jacques Laffitte. Un peu
avant la nuit, la flottille passa le pont qui fait face au
château. Elle alla mouiller un peu plus loin. Le temps était
noir et froid. On entendait encore sur le pont et sur les
rives quelques cris de vive l'Empereur ! Depuis, deux jours,
on annonçait une députation de pairs et de députés,
devançant la population parisienne et venant déposer un
premier hommage sur le cercueil de l'Empereur. C'était à
Maisons surtout qu'on l'attendait. Elle ne parut pas.
[...] On sentait l'approche de Paris et la fin des
tortures physiques. Pourtant ce n'était pas sans regret
qu'on voyait finir ce saint pèlerinage. Combien de personnes
auraient voulu être à la place des voyageurs ! »
C'est dans ce château de Maisons-Laffitte qu'est conservé le tableau représentant le mieux le bateau funéraire : La Dorade passant devant la rive de Maisons de Pharamond Blanchard (image d'entête de l'article).
Jacques Laffitte avait commandé au peintre, proche du prince de Joinville, cette ½uvre montrant de nombreux détails(5) : la foule est massée sur le pont de Maisons et sur les rives ; l'armée est au garde à vous; le propriétaire du château et son frère font partie d'un petit groupe qui se détache sur la rive. Des enfants de ch½ur et un prêtre veillent sur le sarcophage de l'empereur, posé sur le pont de la Dorade. Un drapeau brodé d'un N flotte à l'arrière du bateau.
Le lundi 14 décembre, la flottille, composée de dix bateaux à vapeur, s'ébranla très tôt pour sa dernière étape, sous un magnifique soleil. Au Pecq, dont le pont était tout décoré d'inscriptions et de faisceaux de drapeaux tricolores, les maisons des deux rives étant pavoisées, l'accueil fut semblable à celui de Mantes. Sur un quai de la Seine à Courbevoie, une stèle commémorative marque, toujours, le lieu où la Dorade était venue s'amarrer dans l'après-midi.
La dépouille mortuaire de Napoléon y avait été placée dans un « temple funèbre » construit sur un bateau-catafalque, remorqué par un bateau à vapeur, avant son transfert solennel aux Invalides, le lendemain, sur un « char impérial ».
1. Les Lepic, une famille de notables andrésiens au 19èmesiècle,
Evelyne Hervé, Club Historique d'Andrésy
2. Poissy et son histoire, Narcisse Noël, Cercle
d'Etudes Historiques et Archéologiques, 1978
3. Napoléon :le retour des cendres,
Jean-Marie Homet, Magazine L'Histoire N°272, janvier
2003
4. Histoire de l'expédition de la flottille de bateaux
à vapeur de la Seine : les Dorades, les Etoiles, le Zampa,
la Parisienne et le Montereau, envoyés par le gouvernement
français à la rencontre de la dépouille mortelle de
l'empereur Napoléon, précédée d'un précis de l'expédition
de Sainte-Hélène et suivie d'un coup d'½il sur les
cérémonies qui ont eu lieu à Paris, d'après MM. le baron
Emmanuel de Las Cases, l'abbé Félix Coquereau, Eugène de
Monglave, plusieurs officiers de la frégate la
Belle-Poule et de la corvette la Favorite, et les
capitaines des bateaux à vapeur les Dorades et les
Etoiles, 1841
5. Site Internet ville-imperiale.com
Michel Kohn