Extrait d'un article sur les restaurants des bords de la Seine de Billancourt à Vernon, publié dans la revue Vogue le 1er août 1927 :
Poussons au-delà de Saint-Germain, et allons dîner à Villennes dans les auberges du bord de l'eau, ou plutôt allons-y déjeuner, pour voir la Seine sous un autre jour, ou plus simplement sous le jour tout court. Deux restaurants pour le moins vous y offrent, l'un et l'autre strictement sur le rivage, leurs terrasses juxtaposées, car dans ces sortes d'endroits favorisés du promeneur dominical, les hôtelleries vont souvent par deux : le jazz de l'une pourrait facilement faire danser les dîneurs de l'autre, mais celle-ci mourrait plutôt que de devoir quoi que ce soit à sa voisine, et de ne pas avoir le sien propre, ce qui fait qu'en définitive on ne peut danser nulle part. L'un de ces restaurants s'appelle "La Pergola" l'autre "Le Pet de Nonne".
Ici et là, on est fort bien traité sous des guirlandes
de fleurs qui rappellent les repas de la Décadence Romaine, et l'on voit
de sa table le fleuve coulant à vos pieds et qui porte allègrement
sur son dos toutes les petites barques des pêcheurs d'où partent des
bouts de fil dans tous les sens. Parfois un vapeur passe, tirant
fièrement par un câble qu'on ne voit pas toute une théorie de péniches
extrêmement espacées les unes des autres. Elles fendent l'eau de leur
étrave peinte de bandes vertes ou couleur de minium ; à leur poupe elles
montrent une belle étoile blanche et portent le marinier de la barre,
qui dirige le bateau avec ses reins. Gaîté de ces paysages fluides et
toujours renouvelés !
Après le déjeuner, l'hôte, mis en confiance par quelques paroles
amicales, vous emmène voir dans son établissement la cheminée spéciale
livrée toute montée par le constructeur avec son jeu de broches établies
pour faire rôtir ensemble trente poulets, et indispensable à toute
hostellerie qui se respecte. Nous serions curieux de connaître l'avis de
la volaille en général sur l'opportunité de cette résurrection des
auberges Louis XIII.
Comme pour l'auberge parisienne Au Pet de Nonne, le dessert portant ce nom, une pâte à choux frite et saupoudrée de sucre, était-il une des spécialités de ce restaurant villennois ?
Difficile de faire plus anticlérical comme nom de pâtisserie que ce pet de nonne ; néanmoins, comme le rappelle Brillat-Savarin, il y a fort à parier que ce nom lui a été donné par des dignitaires religieux haut placés, qui cherchaient à se gausser des locataires de couvent qui avaient un penchant certain pour les friandises, surtout les bonbons ; ne les portant pas en leur c½ur, ils ont donné ce nom sacrilège et taquin à ce délicieux dessert. Brillat-Savarin qui connaissait aussi bien la gastronomie que les dédales de l'à‰glise catholique, disait aussi que les dévots étaient en général très gourmands et que les plus gourmands sont les prélats qui raffolent, eux aussi, des plats sucrés. Les religieux aimaient à s'attacher des cuisiniers et pâtissiers de grande qualité (surtout aux XVIIe et XVIIIe siècles), et leurs tables étaient connues et très fréquentées. [...] Le nom des pets de nonne pourrait avoir une autre origine, plus poétique : ce serait le contraire du pet de loup, qui est un champignon rond et gris plein de poussière et d'air vicié, contrairement aux pets de nonne, emplis de douceur et de bon goût. Les beignets soufflés nommés vesses d'âne étaient des pets de nonne plus simples et appelés aussi rissoles, cuits dans du saindoux, servis lors des veillées d'hiver ; les pets de nonne étaient réservés aux repas de cérémonie et aux foyers plus riches. Pour terminer dans la gaudriole, rappelons que ce dessert était surtout servi dans les restaurants et qu'il était du plus haut comique, au XIXe siècle, de réclamer de pets de nonne à haute voix, mais uniquement ceux de la mère supérieure. L'humour gaulois n'était pas mort à l'époque !
Selon Liliane Plouvier, il faut voir dans l'aliter dulcia, beignet classique des fins de repas romains, cité par Apicius, le premier pet de nonne. Abandonné au Moyen Âge, l'usage de la pâte à choux pour la confection des beignets reviendrait à la Renaissance sous les ustensiles de Scappi et Messisbugo. Georges Dubosc indique que ce type de beignet, que d'aucuns ont baptisé paix-de-nonne, en racontant que ces beignets soufflés et gonflés avaient été inventés par une religieuse qui, en donnant sa recette à un couvent voisin et ennemi, avait assuré la paix, se retrouve dans De honesta voluptate de Bartolomeo Platina, au XVe siècle, et sur la table de Marguerite III de Flandre ou La Varenne. Les auteurs de Les Français peints par eux-mêmes mentionnent également la « vogue » sous François Ier, au point qu'« on en vint à le prononcer naturellement et sans rougir ». Fulbert-Dumonteil, dans sa France Gourmande, situe la naissance du pet-de-nonne à l'abbaye de Marmoutier, réputée à l'époque pour sa cuisine. Lors de la préparation d'un repas de la saint Martin, où l'archevêque de Tours devait bénir une relique du manteau du saint patron tourangeau, tout le monde s'affairait autour des fourneaux. « Soudain, un bruit étrange et sonore, rythmé, prolongé, semblable à un gémissement d'orgue qui s'éteint, puis aux plaintes mourantes de la brise qui soupire dans les cloîtres, vient frapper de stupeur l'oreille indignée des bonnes sœurs. » L'auteur de ce bruit, une novice de l'abbaye prénommée Agnès, gênée face à ses coreligionnaires, aurait alors chancelé malencontreusement, laissant tomber une cuillerée de pâte à chou dans une marmite de graisse chaude. Une autre tradition donne la maternité de cette recette aux chanoinesses de l'abbaye de Baume-les-Dames, connues pour leurs spécialités pâtissières.
C'est vraisemblablement le restaurant Les Peupliers, voisin de La Pergola en aval de la Seine, qui a été ainsi nommé pendant quelques temps. Le nom "Pet de Nonne" pourrait avoir été donné à la Maison Houpy par Louis Fèvre qui avait acquis ce restaurant en 1923. Dans ce cas, le nom "Restaurant des Peupliers" aurait été choisi par le champion cycliste Léon Didier qui en est devenu propriétaire en 1928.
Michel Kohn