Les sports olympiques villennois / le cyclisme

Oscar Egg, champion cycliste suisse, devenu villennois et industriel pour améliorer les vélos en les faisant "dérailler"


Oscar Egg (1890-1961), célèbre coureur cycliste suisse, professionnel de 1912 à 1926, vécut à Paris dès 1906.

Devenu entrepreneur en équipements de cyclisme, il fut le propriétaire de la villa "Les Frênes" du Bois des Falaises, de 1938 à 1948.


Parmi les quatre coureurs cyclistes villennois, il est le seul à avoir couru le Tour de France, dont il a gagné deux étapes juste avant le début de la Première Guerre mondiale. Oscar Egg, qui a pratiqué différentes disciplines, s?est illustré sur piste en participant à de nombreuses courses de Six Jours, en Europe et aux Etats-Unis, et en battant trois fois le record de l?heure entre 1912 et 1914. Il s?est essayé, également, avec moins de succès et de plaisir, au demi-fond ; c?est alors qu?il a côtoyé Léon Didier qui lui a, peut-être, fait connaître Villennes. Toutefois, Oscar Egg ne faisait pas partie de sa bande d?amis et, tandis qu?il était déjà devenu un industriel du cyclisme, ce n?est pas au bord de la Seine qu?il s?est installé mais dans une grande propriété du Bois des Falaises.

Les mémoires d'Oscar Egg

La première partie de cet article est constituée d?un témoignage de première main : ses mémoires publiés dans le magazine Le Miroir des sports en février et mars 1927. Il y a décrit sa formation de dessinateur technique, ses débuts dans le cyclisme, sa carrière, notamment sa découverte de l'Amérique, et ses opinions sur l'univers cycliste qu'il a connu. L'intérêt de ce long document justifie sa transcription, presque intégrale.


Quinze ans de courses dans les deux mondes
par Oscar Egg


PREMIER REGARD EN ARRIÈRE


Quand je suivais les cours de l'École Technique de Zurich, deux sports m'intéressaient particulièrement : le football et la natation. Je m'y adonnais dès que je disposais de quelque liberté. C'était en 1906 - j'avais seize ans - j'étais assez solide, et les sports, en Suisse, sont pratiqués par tous les jeunes gens. Le cyclisme aussi me tentait. Mais pour de saines promenades, qui satisfaisaient mon besoin de mouvement et de grand air. J'avais cependant vu, étant tout petit, mon père tourner sur le vélodrome de Hardau, et j'avais même eu l'occasion d'y rouler une fois moi-même. Mais je ne pouvais songer, à ce moment, que je serais amené, un jour, à faire l'écureuil et à défendre ma chance sur les vélodromes les plus lointains. Il y a plus de vingt ans de cela, et quand je me reporte à cette époque, où le sport ne m'apparaissait que comme une distraction utile, je suis bien obligé de convenir que la vie réserve d'extraordinaires surprises.

Je voulais être dessinateur, et je le voulais bien. A ma sortie de l'Ecole Technique, je vins à Paris pour me perfectionner dans cette profession, et j'ai travaillé dans plusieurs maisons d'autos avant d'entrer, en 1908, chez Panhard, où je devais rester trois années. Quand je quittai cette maison, où j'avais eu l'occasion de me confirmer dans la profession que j'avais adoptée, je ne devais plus manier l'équerre, le T et le compas. J'étais un homme de mécanique ; j'allais devenir un « homme mécanique ». C'est sous ce titre que je devais être connu quelques années plus tard, quand l'on annonçait, dans certaine ville du Midi, ma participation à des courses cyclistes.

Mes débuts cyclistes

J'avais, en mars 1909, fait l'acquisition d'un vélo. Il n'avait rien de commun avec ceux que j'ai utilisés depuis, ou avec ceux que je construis actuellement. C'était un bon vélocipède, avec des démontables rassurants. Le dimanche matin, je l'enfourchais pour des promenades assez longues. La route me séduisait. Mon admiration pour les coureurs cyclistes allait, d'ailleurs, aux routiers. Les pistards, que j'allais voir de temps à autre, m'émerveillaient moins. Un Trousselier, un Georget, un Vanhouwaert, un Faber, un Petit-Breton, c'étaient, pour moi, des gaillards extraordinaires. Un ouvrier belge me raconta un jour que Vanhouwaert avait gagné 50.000 francs avec sa victoire dans Bordeaux-Paris 1907. Je les suivis un jour dans le Paris-Bordeaux de 1909. En les voyant passer dans la forêt de Saint-Germain, je ne résistai pas au désir de tenter de « coller », si possible, au peloton. J'avoue bien humblement que je fus lâché assez vite même par les traînards et que j'abandonnai définitivement à Beauvais. J'avais pu mesurer l'effort que fournissaient les routiers dans une course toujours très disputée, et j'étais émerveillé. Il était sérieux. Il me tenta tout de même. Je ne pensais pas pouvoir un jour produire un effort semblable ; néanmoins, je me dis qu'en m'entraînant quelque peu, je diminuerai sans doute l'écart qui me séparait de ces grands routiers que j'admirais.

Je m'entraînai donc, et sévèrement, et résolus à la première occasion de m'engager dans une épreuve. Je tombai sur une course réservée aux débutants : le Premier Pas Labor. Je partis, confiant, baissai la tête pour « foncer » et... me retrouvai sur la route, mais sous mon vélo, quelque peu mis à mal. J'ai appris, depuis, à pousser en regardant devant moi. On répara ma bicyclette, et, le dimanche suivant, je me retrouvai en course sur un parcours Sèvres-Neauphle-le-Château. Malheureusement, j'avais eu la fâcheuse idée, avant de me rendre au départ, de prendre un bain et de ne manger que très légèrement. Je n'avais pas la moindre idée de ce qu'était l'entraînement. Je ne compris mon erreur que lorsque je pus me rendre compte que j'avais les jambes en flanelle. Je poussais dans l'ouate et dus abandonner. J'ai appris, depuis, à ne désirer un bain que lorsque mes courses étaient terminées. J'ai appris aussi à manger normalement, comme le demandait mon estomac. Les jeunes coureurs qui liront ces lignes pourront faire leur profit de cette constatation que je dus faire à mes dépens. Je puis leur assurer qu'ils se trouveront bien d'un repas bien compris avant d'aller courir leur chance dans une épreuve qui demande un certain effort.

Ayant pris goût à la course, j'étais décidé à courir d'autres épreuves pour essayer de me classer à l'arrivée. Oh ! je n'envisageais pas la possibilité de terminer en vainqueur. Je considérais cette chose comme tenant un peu du fantastique. Me classer à l'arrivée, me suffisait, même si ce classement ne m'apportait pas la gloire. Les débuts des sportifs doivent être modestes. Ils le sont généralement.

Le dimanche suivant, un Asnières-Viarmes était annoncé. Je m'engageai. J'ai poussé comme un sourd ; je me suis vu près de l'arrivée, avec trois coureurs qui n'en mettaient pas moins que moi. Je les eus. J'avais gagné. Je me souviendrai longtemps de la joie que j'éprouvai à me dire que j'étais premier. De l'étonnement aussi, car jamais je n'aurais osé penser que je pouvais être premier d'une course dont je m'exagérais, sans doute, à cette époque, l'exacte importance. On me félicitait. Le président du Vélo-Club de Levallois me demanda de faire partie de son club et m'assura qu'un vélo de course me serait prêté. C'était la gloire. Je vous assure que je ne pensais pas à l'argent. Ma quatrième course me valut, pour une place de second, à un pneu, sur Champigny-Nangis et retour, le vélo rêvé. J'étais équipé ; je commençais à savoir courir ; j'adorais la course pour les émotions qu'elle donne ; je sentais que je pourrais faire mieux que ce que j'avais fait. Je devins  indépendant.

Je courus un championnat omni-sports pour m'assurer que je nageais bien, me tirais pas mal et qu'un 100 mètres, en course à pied, ne me faisait pas peur. Je fus classé second. Je m'étais « étoffé ». Je me sentais fort. J'avais confiance en moi.

Je courus de nombreuses courses comme indépendant. Je connus la guigne, toutes les guignes. Je fus, cependant, assez souvent vainqueur, et parce que, pendant l'épreuve, je « fonçais » de mon mieux et que je n'hésitais pas à prendre la tête du peloton, je fus appelé à cette époque le « Faber des Indépendants ». Et j'étais fier, je vous le jure, de ce titre, le plus beau qui puisse m'être donné, car je vous dirai, par la suite, quelle profonde admiration j'ai toujours eue pour le grand François, qui fut, à mon avis, l'un des meilleurs routiers que j'ai côtoyés et - de cela je suis sûr - le meilleur camarade qu'on puisse rencontrer.

Après avoir battu le record mondial des 50 kilomètres en 1 h. 14' 47'' 2/5, je fus incorporé dans le service des courses de la maison Peugeot. J'étais devenu, pour ma plus grande joie, un « lionceau ». C'était en novembre 1911. J'étais professionnel.

MON RECORD DE L'HEURE


Je ne vous ferai pas l'historique du record de l'heure sans entraîneur. Lorsque je décidai d'essayer de le battre, j'étais persuadé que ceux qui, jusqu'ici, l'avaient détenu étaient des hommes qui avaient dû s'entraîner sérieusement pour réussir. La liste n'en était pas très longue, mais on se souvenait des noms qu'elle portait : Henri Desgranges, le directeur de l'Auto, qui, en 1893, « sur son vélocipède » - j'ai retrouvé ce mot dans un vieux journal qui annonçait la performance - avait fait 35 km. 325 ; Jules Dubois, 38 km. 220 ; le « brillant Belge » Maurice, 39 km. 240 ; l'Américain Hamilton, qui, le premier, dépassa les 40 kilomètres, avec 40 km. 781 : Petit-Breton, 41 km. 110 ; Marcel Berthet, 41 km. 520, le 20 juin 1907.

J'avais été émerveillé par cet exploit de Marcel Berthet. Et j'étais loin de penser, moi qui, à cette époque, n'avais pas encore une bicyclette, que l'intention me viendrait, un jour, de tenter de faire mieux. Le record resta bien tranquille, personne n'osant s'y attaquer, tant il paraissait impossible de l'augmenter. On avait, en 1898, discuté longuement sur le record d'Hamilton. On avait émis quelques doutes. Le bruit avait couru qu'il avait été employé, au cours de la tentative, des projecteurs qui éclairaient la piste en avant du coureur en lui indiquant la vitesse exacte qu'il fournissait. Hypothèse plausible, d'ailleurs, sur une piste établie en circonférence parfaite, comme il en existe quelques-unes aux Etats-Unis. Toujours est-il que le nom d'Hamilton figure au palmarès du record de l'heure. Il est donc bien le premier recordman de l'heure ayant dépassé les 40 kilomètres. Le Français René Pottier fut, lui, le premier Français dépassant également cette distance. Il fit, au cours d'une première tentative, 40 km. 080, puis 40 km. 340. L'Américain n'était pas battu et le record restait au Nouveau Monde. Petit-Breton, à son tour, se mit en piste pour atteindre 40 km. 342 - 2 mètres de mieux. Mais l'énergique coureur renouvela sa tentative : il dépassa, lui, les 41 kilomètres, par 110 mètres, le 24 août 1905.

En 1907, Marcel Berthet, qui avait montré, sur piste, des qualités remarquables, pensa qu'il pouvait s'attaquer à ce record, que différentes tentatives avaient laissé debout. Le 20 juin 1907, il le battait superbement, couvrant dans l'heure 41 km. 520. Personne n'essaya de le lui disputer.

En 1912, j'avais dû abandonner le Tour de France à Grenoble. J'étais souffrant. A cette époque, je possédais, comme indépendant, un assez joli palmarès. Comme professionnel, j'avais été troisième de Paris-Bruxelles, septième de Paris-Tours ; j'avais gagné le Circuit de Cosnes. Mais je ne pouvais obtenir aucun engagement sur piste. Or, mes courses sur route ne m'avaient pas rapporté grand'chose ; je pourrai presque dire qu'elles ne m'avaient rien rapporté. Et je commençais à regretter d'avoir quitté la maison Panhard pour devenir cycliste professionnel. Il me fallait tenter quelque chose pour affirmer que j'étais capable de tenir ma place dans une compétition sur piste. Je pensais au record de l'heure. Une des rares personnes qui m'encouragèrent dans ce projet fut Petit-Breton, qui me prédit un succès certain. Alibert, mon directeur sportif, était moins rassurant. Il me disait :
- Vous êtes, sans doute, un des plus qualifiés pour réussir cette tentative ; mais vous vous attaquez à une chose bien difficile. Ce record est arrivé à son maximum. Celui qui le battra n'y pourra ajouter que quelques mètres : 20, 30, 40 peut-être. Tenez-vous à ces chiffres si vous voulez réussir.

Je savais quel effort la tentative demandait, quelle volonté elle exigeait. Et je n'avais que vingt-deux ans. Mais Marcel avait établi son record à vingt ans. Je résolus d'essayer. Et je m'entraînai. Sur route, sur piste, je travaillai longuement, pour m'assurer que je pouvais pousser sans arrêt pendant un temps qui, insensiblement, se rapprochait de cette heure pendant laquelle j'avais décidé de tourner.


EGG AU DEPART DU RECORD DE L'HEURE

Le 22 juillet 1912, bien au point, sur cette piste de Buffalo qui avait vu tomber successivement le fameux record, je poussai de toutes mes forces, et quand l'heure se termina, alors que, depuis les premiers tours, on me signalait que j'étais en dedans des temps de Berthet, j'avais parcouru 42 km. 122. Je m'étais borné, pendant la première demi-heure, à rouler à l'allure de 41 km. 500, comme me l'avait conseillé Alibert. Mais, plein de ressources après ce temps, j'accélérai, pour atteindre l'allure de 43 km. 500 pendant la seconde demi-heure.

Je pus ainsi battre le record de 600 mètres. J'ai connu, avec ce chiffre, une des plus grandes joies de ma vie sportive. Je devais en connaître d'autres, pour la même cause : je ne crois pas qu'elles aient été aussi complètes. Le beau lutteur qu'était Berthet ne s'avoua pas vaincu. Un an plus tard, le 7 juillet 1913, il porta le record à 42 km. 741. Mais je tenais au record. Quatorze jours après, le 21 juillet, je le repris, en dépassant largement les 43 kilomètres. J'avais parcouru 884 mètres de plus que Berthet et je me dis, à ce moment, après le réel effort que j'avais dû faire, que je pourrais me reposer sur mes lauriers.

Mais Berthet était un coriace. Il était aussi passionné que moi pour le record. Il s'était juré de le reprendre, et avant la fin de la saison. Et il y réussit - et très bien même. Le 18 septembre 1913, il éleva le record à 48 km. 775. Nous nous rapprochions de cette distance, que l'on estimait fabuleuse, de 44 kilomètres. Mais nous allions connaître l'hiver. Je ne pouvais espérer, dans des conditions de température difficiles, me remettre en piste. Il fallait attendre une occasion favorable, c'est-à-dire une température assez douce, une journée sans vent. C'était ajourner la tentative aux beaux jours de l'année suivante. Dès que la chaleur fut venue, je me remis en piste. C'était le 18 juin 1914. Au cours de la première demi-heure, j'avais pédalé en souplesse. Dès le commencement de la seconde, je commençais à « m'agricher » sérieusement. Vers le dernier quart d'heure je fis des efforts désespérés pour conserver mon avance. Mais, quand vinrent les dernières minutes, la certitude d'avoir battu le record - sauf crevaison - me donna des ailes ; et c'est à plus de 45 kilomètres à l'heure que je fournis les derniers tours. J'avais couvert 44 km. 247.

Et le joyeux Bazin, qui chronométra toutes mes tentatives, annonça ce chiffre avec une satisfaction dont je lui sus gré. La guerre vint, qui mit fin au duel engagé avec Berthet pour ce record. Il est vieux de plus de douze ans. Marcel a abandonné la piste.  Et « Oscar », comme tout le monde m'appelle, en a fait autant. Le record est là, à la disposition de celui qui voudra le prendre. Mais je veux, après avoir lutté contre cet excellent camarade que fut toujours Marcel Berthet, dire toute l'admiration que j'ai toujours eue pour son magnifique courage, sa ténacité extraordinaire et sa parfaite courtoisie. Nos noms ont été rapprochés si souvent au cours de cette lutte qui dura sept ans pour un record dont nous ne voulions ni l'un ni l'autre être dépossédés, que nous avons gardé l'un pour l'autre une sympathie que le temps a fortifiée. Un autre nom viendra s'ajouter, un jour, à cette histoire du record de l'heure, que commença un sportif, qui l'est demeuré en dépit du temps. Nous serons les premiers à applaudir son record. Un regret nous restera : celui de ne pas avoir auprès de nous l'un de ceux qui illustrèrent cette histoire et qui fut l'un des plus grands coureurs et le plus loyal des adversaires : Petit-Breton.

MES SIX JOURS

Ma première course de Six Jours date de 1912. Je la courus à New-York. Le record de l'heure, que j'avais battu en juillet, devait, comme je le supposais avant de travailler à sa conquête, m'aider à trouver les engagements que je voyais m'échapper avant d'avoir prouvé que la piste ne m'effravait pas et que je pouvais y faire bonne figure. L'appui de M. Victor Breyer ne me servit pas moins auprès de ce manager hardi qu'est Chapman. J'ai couru, depuis, vingt-sept autres courses de Six Jours, à New-York, à Paris, à Gand et à Berlin. De toutes ces courses je garde un excellent souvenir et je reste douloureusement impressionné lorsque je lis des commentaires qui tendent, en ne les discutant pas toujours de façon très exacte, à les discréditer ou à les nier. Il ne me vient qu'un seul reproche à l'esprit et il concerne les derniers Six Jours disputés, où l'on put voir des coureurs prendre trop facilement des tours à leurs adversaires. La façon de courir des concurrents, que je n'approuve nullement, est la cause de cette facilité qu'ont eue certains d'entre eux à se dédoubler ou à prendre un tour au peloton. Mais, ce reproche exprimé, qu'il me soit permis de dire qu'une course de Six Jours, quoi qu'on en ait dit, est parfaitement sportive ! J'estime même qu'à certains points de vue, elle présente plus d'exactitude sportive qu'une épreuve sur route, qui laisse un coureur à la merci d'une crevaison ou de tout autre accident de machine qui le contraint à s'arrêter. Les exemples sont nombreux de routiers qui virent la victoire leur échapper à cause d'un de ces accidents qui vient annihiler leur chance. Le coureur de Six Jours doit, par ailleurs, posséder des qualités réelles, dont l'ensemble le place au-dessus de certains de ses adversaires quand il les possède au plus haut point. Il lui faut être vite, endurant et persévérant. Il lui faut aussi être puissant pour démarrer opportunément. Ceux qui rassemblaient ces qualités ont été les grands triomphateurs de ces sortes d'épreuves. Le roi des Six Jours fut incontestablement Alfred Goullet, qui gagna douze courses - presque la moitié de celles qu'il disputa. Walter Rutt ne devait pas lui être de beaucoup inférieur, et le regretté Hourlier, qui n'en courut qu'une en 1914, à Paris, et la gagna, eut vraisemblablement été un excellent six dayman. Ces trois noms ne suffisent-ils pas à prouver que la classe est nécessaire dans une épreuve de Six Jours ? Et le caractère sportif de l'épreuve peut-il être nié lorsque les meilleurs sprinters y affirmèrent leur réelle supériorité ? Certes, j'ai passé de bien mauvais moments au cours des vingt-huit courses de Six Jours que j'ai disputées ; j'ai connu des défaillances pénibles, des heures douloureuses, que des chutes trop nombreuses auraient pu rendre décourageantes. Mais que tout cela était vite oublié, quand, l'épreuve terminée, on faisait le tour d'honneur du vainqueur ! Et quelle belle satisfaction morale reste à tous ceux qui ont pu surmonter défaillances et découragements, qui ont lutté jusqu'au bout pour terminer ... et en bonne place ! Les Six Jours les plus pénibles sont, de l'avis de tous ceux qui eurent l'occasion d'en courir plusieurs, les Six Jours de New-York. Ils sont aussi - et c'est une compensation appréciée - les plus rémunérateurs. Dès que le départ est donné, la bagarre commence. Et quelle bagarre ! Les quinze équipes, sur une piste de 150 mètres, foncent à toute allure. Dès qu'une chasse commence, il faut pousser, avoir l'½il à tout, ne pas songer au danger et aux chasses qui vont suivre. Les sprints, sur cette piste de 150 mètres, imposent un effort prodigieux et exigent une adresse dont les spectateurs ne se rendent qu'imparfaitement compte. Celui qui emmène le peloton doit partir de loin s'il ne veut pas être débordé. Le concurrent en huitième ou dixième position doit produire un effort considérable pour se classer. Les sprints terminés, il faut être prêt à répondre aux chasses, provoquées généralement par ceux qui n'ont guère de chances dans les sprints et qui tentent de prendre le tour qui les amènera en tête du classement. S'ils ne sont pas vite, ils sont résistants et peuvent prolonger leur effort. Il faut les suivre. Travail incessant, vigilance constante. Et lorsque, les Six Jours se terminant, la dernière heure arrive, le travail demandé devient fantastique. Un sprint tous les dix tours, c'est-à-dire, dans l'heure, vingt-cinq ou vingt-six sprints, toutes les deux minutes environ. L'acharnement de tous : des premiers pour défendre leur classement ; de ceux qui les suivent immédiatement pour tenter de gagner les quelques points qui leur assureraient la victoire ; de ceux, enfin, qui, relégués aux derniers rangs, ne voient la victoire possible que par la prise d'un tour ou n'espèrent avancer dans le classement qu'en se dédoublant. Lorsqu'en 1921 je faisais équipe avec Van Kempen dans les Six Jours de New-York, nous avons fourni, au cours de cette dernière heure, un effort qui nous valut, sur les vingt-trois sprints imposés, quinze places de premier : onze à Egg, quatre à Van Kempen. Brocco-Coburn gagnaient six sprints, et Rutt-Lorentz deux. Les places de premiers comptaient 72 points ; celles de seconds, 5 points. On comprend l'intérêt, quand le classement de l'épreuve se fait aux points, aucune équipe n'ayant pris l'avantage, de cette place de premier. Et on s'explique qu'elle soit disputée sévèrement. Cette dernière heure est bien une heure de fièvre, d'efforts, sous les excitations d'un public littéralement enthousiasmé et qui manifeste bruyamment son enthousiasme. Il paie cher, d'ailleurs, pour manifester à son aise : la moindre place, pour cette dernière heure des Six Jours, coûte 5 dollars, ce qui, même en Amérique, est déjà une somme.

Mais particulièrement compréhensif, ce public. S'il demande beaucoup aux coureurs aux heures d'affluence, il s'explique fort bien que ces derniers se reposent. De 3 heures du matin à 3 heures de l'après-midi, c'est, pour les coureurs, la promenade. Les spectateurs les amusent, les interpellent, leur racontent des histoires, ou écoutent, au passage des concurrents, le récit qui leur est fait des « blagues » réalisées au quartier des coureurs. Le siphon joue un rôle important aux heures monotones. Man½uvré par les coureurs, il réveille subitement les spectateurs endormis et qui ont, ma foi, un réveil joyeux. Le soigneur qui dort voit également son rêve interrompu : deux allumettes, fixées délicatement sur son nez, sont allumées avec discrétion. L'effet est certain et la scène toujours amusante pour ceux qui en sont les témoins. On fait mieux : un spectateur de la pelouse endormi est réveillé par des seaux d'eau, et il s'aperçoit qu'il est entouré de feu. Pendant deux minutes, il court sur la pelouse avant de comprendre que c'est une « swanze », comme dirait Stockelynck.

Il faut rire pour échapper à l'ennui. Les soigneurs s'habillent en musiciens et s'installent sur la pelouse, tirant de leurs instruments les sons les plus étranges. On chante, on danse, avec grand bruit ; des clowns improvisés font mille grimaces. Il faut rire. Ajoutons qu'aux heures d'affluence on a pu entendre, répandu par plus de trente haut-parleurs, un morceau chanté par Caruso. Et, alors que tout le monde s'imaginait que c'était la T. S. F. qui dispensait à tous cette audition du grand ténor, on découvrait que c'était un simple disque de gramophone qui était utilisé judicieusement. Car les Américains sont ingénieux et pratiques. Leur ingéniosité et l'enthousiasme de la foule leur valent des recettes fantastiques et qui ont atteint 200.000 dollars. Les prix affectés aux coureurs sont, d'ailleurs, appréciables. Le moins que puisse toucher un coureur américain, c'est 50 dollars par jour. Les coureurs européens débutent à 75 dollars. Quand ils ont acquis quelque notoriété, le taux s'élève rapidement, et tous les frais de transport et de séjour sont remboursés. Et ceci me remet en mémoire deux anecdotes assez amusantes : Giorgetti-Belloni, qui ont encore couru, en décembre dernier, les Six Jours de New-York, avaient été engagés, il y a quelques années, pour courir à Chicago. Ils arrivent à New-York si tardivement qu'ils ne peuvent, ni par chemin de fer ni par avion, atteindre Chicago pour se présenter au départ. Ils en furent pour leurs frais, et Chapman, depuis cette aventure, exige que les coureurs européens engagés dans des épreuves de six jours soient arrivés en Amérique huit jours avant le départ des épreuves. Dewolff-Stockelynck, qui avaient été engagés pour courir à New-York et qui s'en référaient, pour leur départ, aux heures qu'ils connaissaient, arrivèrent à Paris pour s'entendre dire que le train de Cherbourg, qui correspondait jadis avec le départ du paquebot, était parti depuis une demi-heure. Atterrés, ils demandèrent un avion au Bourget pour les transporter. Brouillard, mauvais temps, les oiseaux ne sortaient pas. Les deux coureurs prirent le train suivant, à tout hasard. Et ils avouèrent avoir connu dans ce train une des plus grandes joies de leur vie, à la découverte qu'ils firent, en cours de route, que le paquebot ne partait que le lendemain. Ils avaient eu chaud ! Goullet, dont j'ai dit l'exceptionnelle qualité, fut le coureur le mieux payé à New-York : il touchait 1.000 dollars par jour.

Mac Namara est, à l'heure actuelle, l'as de la spécialité. Il a couru une cinquantaine de courses de Six Jours et en a gagné onze. Il est aussi l'un des plus vieux coureurs du monde. Il doit avoir quarante-deux ans. Il fut un sprinter remarquable et courut, toutefois, dans les différentes spécialités. Son nom parut, en vedette, à côté de ceux de Kramer, the old master ; de Goullet, the australian marvel ; de Bob Spears, the human torpedo ; d'Arthur Spencer et de son frère, Willie Spencer, qui gagna une course de Six Jours à San Francisco, en faisant équipe avec Magin, et qui, revenu au sprint, vient de montrer une excellente forme au Vélodrome d'Hiver. Mac Namara, the iron man, courra encore quelques Six Jours et les Parisiens le verront dans son travail d'écureuil, qu'il connaît si bien que tous les coureurs qui furent ses adversaires reconnaissent qu'il n'en est pas de plus habiles sur les planchers et ciments, les grandes et petites pistes, les courtes et longues épreuves. On réalise des prodiges, à New-York, pour l'installation de la piste. Le jeudi soir qui précède le départ de la course de Six Jours, un combat de boxe est organisé qui rassemble sur le ring deux vedettes connues. On en profite pour présenter, sur ce même ring, les coureurs qui vont prendre part à la grande épreuve cycliste. Le combat terminé, les menuisiers arrivent - ils sont une centaine - et, en douze heures, ils suppriment ring et banquettes et installent la piste, sur laquelle les coureurs peuvent immédiatement s'entraîner.

La course des Six Jours à New-York se termine le samedi soir, à 11 heures. Le lundi matin, quand les coureurs arrivent au vélodrome pour passer à la caisse, il n'y a plus de piste, bien et l'on se surprend à se demander si c'est bien là que l'on a pu rouler pendant cent quarante-quatre longues heures.

J'ai gagné mes premiers Six Jours, à New-York, en 1916, avec Dupuy. Deux heures avant la fin de l'épreuve, à la suite d'une chasse déclenchée par une prime de 50 dollars, nous réussîmes à doubler le lot. J'avais déjà gagné, en 1915, à Chicago, avec Verri, et c'était ma première victoire dans la spécialité ; nous avions établi le record de l'épreuve : 4.510 kilomètres. Il est toujours debout.


EGG (à g.) ET SERES VAINQUEURS DES SIX JOURS DE PARIS EN MARS 1921

A Paris, en 1921, avec Sérès, et, en 1923, avec Van Kempen, j'eus deux équipiers magnifiques, qui me permirent de connaître le succès dans un genre d'épreuves que j'avais découvert neuf années plus tôt, en Amérique, et que j'ai surtout disputées dans ce pays. Sur vingt-huit courses de Six Jours courues et terminées, dix-sept eurent pour théâtre New-York, cinq Chicago, quatre Paris, une Gand et une Berlin. J'en ai gagné huit. Goullet et Mac Namara ont fait mieux.


LES COURSES EN AMÉRIQUE

Autres pays, autres m½urs ! Quand je débarquai pour la première fois en Amérique, où j'allais faire mes débuts dans une course de Six Jours, j'avais vingt-deux ans. On imagine facilement l'étonnement d'un jeune homme qui arrive dans un « monde nouveau » que son imagination, autant que les récits de ceux qui le visitèrent déjà, dote, à l'avance, d'un aspect extraordinaire.

Tout m'y surprenait, les choses et les gens. Les locomotives des trains, trois fois plus grandes que les nôtres : les buildings de trente et quarante étages, qui apparaissent si grands par comparaison qu'on se demande comment ils tiennent ; l'allure des Américains, de grands gaillards, à la figure impénétrable, qui paraissent toujours songer à une affaire en cours de réalisation.

Nous étions attendus au débarquement par Cobum, qui nous emmena - Brocco, Berthet, Paul Suter, Frank Suter, l'aîné d'une glorieuse famille tragiquement disparu, et moi - à Newark. Un petit hôtel avait été retenu pour nous : nous devions y passer huit jours. Nous arrivions, en effet, le dimanche de la semaine qui précédait le départ de la course. Il était 2 heures de l'après-midi et nous mourions de faim. Le premier contact avec la cuisine américaine nous parut moins dur, du fait que nous avions grande envie de manger. Mais nous ne pouvions nous empêcher de constater que la cuisine européenne était préférable. Nous reconnûmes, d'ailleurs, assez vite que, si la cuisine américaine était moins savoureuse, elle était aussi plus digestive ; tous, nous arrivâmes facilement à nous habituer à cette alimentation très saine. Nous ne perdîmes pas de temps. Aussitôt restaurés, nous montâmes nos vélos de piste pour la route.

LA CARICATURE AMÉRICAINE ET LES COURSES D'OSCAR EGG SUR LES CYCLISTES D'OUTRE-ATLANTIQUE


L'imprésario Chapman offre un ½uf (en anglais : egg) au public américain,
qui met en doute la fraîcheur de cet ½uf, en prétendant l'avoir déjà vu.



Egg lancé à la poursuite du père Temps.
Il a battu les records de 1 et 2 milles et continue.

Le lendemain matin, en effet, après un petit déjeuner abondant - fruits, ½ufs, jambon, café au lait : un menu dont il faut garder la formule - nous étions à l'entraînement sur la route. Entraînement assez sévère et suffisant pour un lendemain de voyage : 50 kilomètres à bonne allure. Retour à l'hôtel ; massage par deux masseurs, l'un massant le corps, l'autre les jambes. Ensuite, repos. Repos en musique, le piano mécanique, très en vogue aux États-Unis, étant à notre disposition et ne demandant pas de connaissances musicales spéciales. L'après-midi, nouvelle séance sur la route ; puis un quart d'heure de « home-trainer ». Nouveau massage. Nous savions que nous n'étions pas là pour nous amuser, mais nous ne pouvions nous empêcher de penser que le proverbe « Le temps, c'est de l'argent » était bien anglo-saxon. Dîner, causerie générale et, à 9 heures, au lit. Car il nous était formellement interdit de sortir. Et, pour être bien sûrs que nous ne serions pas amenés à enfreindre cette consigne, les soigneurs ne nous quittaient qu'après s'être assurés que nous dormions - pour de bon.

Il faut reconnaître que toutes les précautions prises, que tout le travail imposé, dénotent, chez les Américains, une conception parfaite de ce que doit être l'entraînement d'un sportif. Et il est logique de penser que les coureurs et athlètes américains trouvent dans ces méthodes, qui permettent de mettre en exacte valeur leurs réelles qualités physiques, les raisons d'une supériorité qui s'est affirmée bien souvent dans les grandes compétitions.

Au mois d'août 1914, Mac Farland, alors manager des pistes américaines, m'engagea pour six réunions et une course de Six Jours à New-York. Aucun souci en dehors de celui de bien courir. Tous frais payés, en effet, vovage et pension, et soigneur à ma disposition. Car tous les coureurs de classe, en Amérique, ont un soigneur, qui ne les quitte pas d'une semelle et qui pendant les courses se démène comme un beau diable et ne quitte pas de l'½il son coureur. Il masse, préside à l'entraînement sur piste, assez rude. Car on ne sprinte que bien rarement pendant les périodes d'entraînement. C'est un procédé qui a donné d'assez bons résultats pour que certains coureurs aient été amenés en France à l'adopter. Le soigneur s'occupe du matériel, le surveille, le répare ; il a le souci du vêtement de son coureur ; il conseille, il encourage. Il est de toutes les minutes de la vie de son poulain. Il devient indispensable. Et l'on peut dire que le soigneur a vu son rôle si exactement compris et apprécié, que les amateurs eux-mêmes ont leur « trainer » chez eux. C'est un débutant, un apprenti, mais c'est toujours un homme extrêmement dévoué. Le dévouement des soigneurs pour leur patron est légendaire.

C'est que le coureur américain fait très sérieusement son métier. Les professionnels ne sont pas en grand nombre. Mais on peut dire que, parmi eux, il n'est pas de non-valeurs. Quand je courais en Amérique, il y avait, au maximum, dans tous les États-Unis, une cinquantaine de coureurs professionnels. Et tous s'entraînaient, comme je viens de le dire, sévèrement, se privant de tous plaisirs. Ils suivent l'exemple de façon moins rigoureuse, tout de même, de celui qui fut le champion incontesté : Kramer. Ils ne songent qu'à leur travail.

Leur camaraderie est parfaite ; les relations entre coureurs sont courtoises et charmantes. Mais, en course, il n'est plus d'amis. Chacun court pour gagner. Chacun donne le maximum d'efforts. Les coureurs connaissent tous admirablement leur métier, sont des tacticiens consommés, d'une adresse inégalable. Les Français ont pu, d'ailleurs, apprécier leurs qualités chaque fois qu'ils sont venus courir sur nos pistes. Et, parce qu'ils sont admirablement doués sous tous les rapports, on peut dire que tous ceux qui ont eu l'occasion de courir avec eux pendant une saison en ont beaucoup plus appris qu'en dix années de courses en Europe. L'école américaine est, en sport, une excellente école.

Il faut, au surplus, que l'acteur qu'est le coureur satisfasse le spectateur. Or, le spectateur, j'ai déjà eu l'occasion de le dire en parlant des courses de Six Jours, est très exigeant. Il s'enthousiasme vite, le manifeste hautement parce qu'il sait apprécier. Mais il apprécie d'autant mieux un coureur que ce coureur se multiplie, court dans toutes les spécialités et court bien. Le public ne pardonne pas les faiblesses et n'admet pas les défaillances. Il est, en somme, assez logique : il paie, il en veut pour son argent. Le coureur est honnête en faisant de son mieux pour qu'il se retire content. En étant honnête, en faisant ce qu'il doit faire pour gagner, en luttant comme son métier et aussi sa satisfaction personnelle l'exigent, il contente le public, qui, par l'intermédiaire des organisateurs, le paie. C'est une vérité qu'on ne saurait trop répéter et dont les coureurs doivent se pénétrer.

J'ai vu de grands coureurs, comme Kramer, se faire huer par la foule pour avoir abandonné une course de 5 milles qui était menée à plus de 50 kilomètres à l'heure. Engagé dans l'épreuve, il devait la terminer et tout faire pour la gagner. Un coureur qui, se voyant battu irrémédiablement, se retire avant la ligne d'arrivée, en prend, comme l'on dit, pour son grade. Il n'est pas tenté de recommencer.

J'ai connu, pour ma part, la grande popularité et l'indifférence. En 1914 et 1915, tenant une forme parfaite, je puis prétendre n'avoir fait que de bonnes courses. Ma popularité était considérable et j'étais l'objet d'ovations indescriptibles. Mais. en 1916, pour je ne sais quelle raison, je fus long à retrouver ma forme et je ne brillais guère dans les épreuves que je disputais. Ma popularité, si grande et si rapidement acquise, partit aussi vite, et l'indifférence de la foule fut complète. Reconnaissons-le : le spectateur américain des vélodromes est juste.

Je ne vous dirai pas que tout cela ne s'accompagne pas, chez les coureurs, de quelques « trucs », dont le public ne peut se rendre compte. Toutes les ficelles du métier sont connues des coureurs américains. Il en est une qui est amusante - et qui ne fait de mal à personne. Brocco me la fit expérimenter dans les Six Jours. La piste de l'ancien Madison Square Garden était une cuvette assez dangereuse. Les chutes y étaient nombreuses. Tous les coureurs qui y parurent, en furent victimes. J'avais, toutefois, constaté que les chutes ne produisaient pas les mêmes effets suivant qu'elles survenaient à un coureur américain ou à un coureur européen. Le premier restait, après une chute, étendu sans connaissance ; le second se relevait, s'assurait qu'il n'avait rien de cassé et remontait immédiatement sur sa bicyclette. Cela avait été mon cas. Plusieurs chutes m'avaient laissé sans une égratignure, et j'étais reparti aussitôt. Je m'étonnai que les coureurs américains fussent si longs à m'imiter quand le même accident leur survenait. Brocco vint faire cesser ma perplexité.
- Si tu tombes encore, ne te relève pas tout de suite, me dit-il. Attends qu'on vienne te ramasser, et ne bouge pas en attendant. On t'emportera dans ta cabine sur un brancard. Un quart d'heure après, tu remonteras en vélo. Tu jugeras de l'effet produit.

Quelques heures après, je faisais un nouveau plongeon. Je me rendis compte que, cette fois encore, je m'en tirerai sans mal, mais j'attendis. Et cela se passa comme Brocco l'avait prédit. On me fit une ovation. J'avais compris. Le coureur cycliste devait faire comme le boxeur qui, knock-down, attend la neuvième seconde pour... souffler et se relever.

En dehors des Six Jours, j'ai disputé sur les pistes des États-Unis des épreuves de tous genres : en ligne, en américaine, en tandems, derrière motos, et des handicaps et des matches. Équipier de Kramer en tandem, nous fûmes souvent vainqueurs. Nous avons battu notamment en match les frères Spencer, qui formaient une redoutable équipe. On ne chômait pas. J'ai eu l'occasion de battre Goullet, Mac Namara, d'autres encore.

Mais je vous fixerai l'intérêt et l'imprévu des épreuves que nous disputions : on vit un jour, parmi les coureurs battus dans les séries d'une course scratch : Kramer, Grenda, Kaiser, Madden, Piani, Hutt et Bailey. Comme hécatombe de favoris, cela peut, on le voit, passer pour un record.

Je fus adjoint un jour à Kramer pour disputer une américaine sur 100 kilomètres, avec vingt sprints. J'avais, jusque-là, fait équipe avec Dupuy ou Verri. En apprenant que je courais avec Kramer, Dupuy me dit :
- Tu ne veux plus de moi. Je suis trop tocquard ?
- Pas du tout, lui répondis-je. C'est Chapman qui a décidé.
Alors, Verri, se tournant vers Dupuy :
- Toi, tu t'occuperas de Kramer, moi de Egg.
Et nous les aurons dans les sprints. Et la course commença. Au premier sprint, 50 mètres avant le poteau, une chute des trois coureurs qui me précédaient me fit faire un panache complet, et j'entrais, en fâcheuse posture, dans une loge, heureusement inoccupée. Quelques secondes de knock-out, puis je reprends mes esprits, m'assure qu'il n'y a pas grand mal. Je me relève, fais un pas, mais trébuche. Un obstacle sérieux se présentait. Au fond de la loge, Verri demeurait étalé, et je dus m'employer à le remettre sur pied. Il s'était juré de ne pas lâcher ma roue. Il avait tenu parole. Je n'eus pas le courage, dans la loge, de le mettre en boîte.


OSCAR EN PISTE.  L'ATTITUDE DES SPECTATEURS NOUS PROUVE
QUE LA COURSE A LIEU  EN AMERIQUE


J'ai appris à connaître l'Amérique. J'y suis allé souvent et y fais quelques déplacements. J'ai couru trente-cinq fois à New-York, cent cinquante fois à Newark, cinq fois à Boston, quinze fois à Chicago, huit fois à Philadelphie, six fois à Providence, quatre fois à Worcester. Je suis allé en Amérique une fois en 1912, une fois en 1914, deux fois en 1915, une fois en 1916, une fois en 1917, deux fois en 1919, deux fois en 1920, trois fois en 1921, deux fois en 1922, deux fois en 1923, deux foin en 1924, une fois en 1925, une fois en 1926.

Soit vingt et une fois le voyage Paris-New-York-Paris, qui comporte 12.000 kilomètres. Cela doit faire 252.000 kilomètres - une petite année consacrée uniquement aux voyages en Amérique, sur quatorze années de courses. Mais, puisque j'en suis à parler voyages, il convient, après les chiffres que je viens d'énoncer, d'ajouter ceux que nécessitèrent mes déplacements en France et en Europe et qui doivent être assez importants. J'ai, en effet, couru une fois à Amiens, deux fois à Arras, deux fois à Roubaix, une fois à Dijon, quatre fois à Sens, une fois à Marseille, trois fois à Avignon, trois fois à Nice, trois fois à Rouen, une fois au Havre, deux fois à Nantes, deux fois au Creusot, une fois à Tours, trois fois à Bordeaux, une fois à Lyon, une fois à Orléans, une fois à Troyes, trois fois à Nancy, une fois à Toulouse, deux fois à Montceau-les-Mines, deux fois au Mans, une fois à Strasbourg, une fois à Alais, deux fois à Salon, deux fois à Bourges, deux fois à Saint-Rémy.

MES COURSES SUR ROUTE

J'aime par-dessus tout la course sur route. Je l'ai déjà dit au cours de ces souvenirs, comme j'ai dit la forte impression que m'avait laissée le passage des coureurs d'un Paris-Roubaix. Et j'ai, d'ailleurs, débuté sur la route. Si j'ai abandonné la route pour la piste, c'est pour deux raisons, fort raisonnables, je crois : j'avais les qualités d'un bon pistard, bien plus que les qualités d'un parfait routier, et je gagnais plus largement ma vie sur la piste que sur la route.

Mais je garde, des quelques épreuves que j'ai disputées sur route, un excellent souvenir. J'ai eu des défaillances ; comme tous, j'ai eu quelques séries de malchances. Je me suis vu battu dans certaines épreuves, qu'avec un peu moins de déveine j'aurais certainement gagnées. Il n'y a pas à lutter contre cela ; il faut accepter le sort. Il est parfois cruel. Il est aussi des incidents que l'on peut estimer regrettables. Dans le Paris-Roubaix de 1914, alors que nous attaquions le sprint final sur le vélodrome, un de mes concurrents me retint par le maillot. Il faut avouer que c'est un procédé assez difficile à accepter. Cette même année, qui fut cependant une année de grande forme, celle qui me vit remporter de beaux succès et consacrer une réputation dont je garde quelque fierté, je fus empêché par mon directeur sportif de courir Bordeaux-Paris, que j'aurais bien voulu disputer, parce que je me sentais de taille à figurer au premier rang. Et puis Bordeaux-Paris, c'est Bordeaux-Paris, une vieille épreuve classique qui fut toujours l'apanage d'excellents coureurs. Mon directeur sportif estima que j'étais trop jeune pour tenter la randonnée de 585 kilomètres.

Ma déveine sur route s'affirma par de multiples crevaisons, des crevaisons qui handicapent terriblement un coureur quand le lot de ses adversaires est de grande classe. J'avais beau regarder avec attention la route, bien rares étaient les courses où je ne crevais pas plusieurs fois, alors que l'allure de l'épreuve était telle qu'il fallait, pour rattraper les concurrents, un effort prodigieux. Dans le Tour de France de 1914, j'ai crevé trente-deux fois, alors que Thys et Pélissier ensemble n'avaient crevé qu'une fois. On comprend combien une pareille malchance peut être démoralisante. J'ai peut-être battu, au cours de cette épreuve, un record peu enviable.

Lorsque j'avais débuté, comme indépendant dans les courses dont j'ai signalé quelques unes, je me dépensais sans réfléchir. Je poussais et ma fougue me valait des fortunes diverses. Quand je courus comme professionnel, je tenais mal la distance, pour cette raison, précisément, que je produisais de trop longs et trop complets efforts au début de l'épreuve. Mais, en 1914, l'année, comme je l'ai dit, de ma belle forme, j'étais, je crois, à hauteur de toutes les tâches.

Je ne dois, cependant, pas accuser trop la malchance. Je fus parfois assez chançard. C'était une compensation qui m'était bien due. Dans la première étape du Circuit des Champs de bataille, Strasbourg-Luxembourg, je fus, comme on va le voir, assez heureux. A 100 kilomètres du départ, nous nous étions échappés à cinq et, au contrôle de Metz, nous avions plus de dix minutes d'avance sur le peloton qui nous poursuivait. A la sortie du contrôle, je crevais. Réparation en vitesse et, à 35 à l'heure, je me lance à la poursuite du groupe de tête. Après 25 kilomètres à cette allure, et alors que je voyais devant moi mes adversaires, je fonçais pour les rattraper. Je crevai de nouveau. Rien à faire ! Quelque peu démoralisé, fatigué aussi par le sérieux effort que j'avais dû fournir, j'abandonnai toute espérance de rattraper le groupe de tête, en me disant que la déveine, une fois de plus... Je réparai et continuai à un train régulier. La région m'était totalement inconnue. Je me renseignai auprès des rares spectateurs installés au bord de la route et dans les villages sur la distance qui me séparait des premiers.
- Les premiers, fut-il répondu à une de mes questions, mais c'est vous le premier !

Je ne pouvais en croire mes oreilles. C'était vrai cependant. Le groupe de tête s'était trompé de route ! Je fus félicité à l'arrivée, photographié, questionné... et j'attendis mes camarades. Le lendemain devait me rappeler que la « poisse » ne m'avait pas quitté. Elle ne s'était reposée qu'un jour. Je fus le premier à connaître la crevaison ; en poussant pour rattraper mon retard, un chien me fit tomber. Couvert de contusions, je repartais cependant. Sur une partie de route mal pavée, je cassai ma fourche. Mon sort était réglé.

J'aurais bien voulu gagner le Tour de France. C'est un désir légitime chez un coureur qui aime la course sur route et qui considère que le titre de vainqueur d'une épreuve aussi rude fait très bien sur un palmarès. En 1911, j'avais, comme indépendant, disputé le Circuit français Peugeot, un petit Tour de France, et j'avais gagné trois étapes, dont deux au sprint. Dans la troisième, j'avais réussi à lâcher, un par un, tous mes adversaires. Je crois bien que, dans cette étape Valence-Clermont-Ferrand, j'avais accompli la plus belle performance de mes débuts comme coureur. Mais voilà ! On est jeune et on ne sait pas. Le lendemain, nous étions invités à la mairie. Réception selon le rite ordinaire : discours, Champagne, gâteaux. Au titre de vainqueur, je me croyais obligé de faire honneur à tout ce qui nous était offert. J'écoutais religieusement les discours, vidais les coupes de champagne frappé et m'ingurgitais force gâteaux. Au cours de la nuit suivante, je payais fort cher mes imprudences. Je fus tellement malade que je n'eus pas même, le lendemain matin, la force de m'habiller.

Dans le Tour de France de 1912 - j'avais vingt-deux ans - je dus abandonner, malade, à Grenoble. Je me rendis parfaitement compte qu'à cette époque je n'étais vraiment pas assez résistant pour disputer une épreuve de cette envergure, comportant des efforts répétés à de courts intervalles.



OSCAR DANS LE TOUR DE FRANCE 1914


Mais vint le Tour de France de 1914. J'avais gagné Paris-Tours, réglant au sprint une dizaine de coureurs, dont les meilleurs furent Engel et Thys. La course avait été très dure. Ma moyenne avait été de 32 km. 135 à l'heure. C'était la grande forme, et c'était aussi, pour moi, un succès appréciable. J'avais également gagné le Championnat de Suisse sur route, puis le championnat de vitesse, et j'avais, au cours de cette réunion, battu le champion suisse amateur Kaufmann et, dans une individuelle d'une heure, Lapize et Rheinwald.

C'était bien la grande forme. J'avais encore figuré dans toutes les épreuves auxquelles j'avais pris part et, huit jours avant le départ du Tour de France, j'avais battu, à Buffalo, le record mondial de l'heure sans entraîneurs. Ma confiance était donc grande et, je crois, assez justifiée. Et j'étais aussi fort heureux de tenter ma chance dans la grande épreuve. Je ne me croyais pas capable de gagner le Tour, mais j'espérais bien gagner une étape.

La première ne fut pas des plus heureuses. Quelques crevaisons, pour n'en pas perdre l'habitude ; je ne pus terminer que dixième, à deux minutes du gagnant. Pas plus de chance dans les deux étapes suivantes. La victoire se faisait attendre. Elle vint cependant. Le départ de Brest-La Rochelle - 460 kilomètres - avait lieu à minuit.

Connaissant ma déveine, je me tins prudemment en queue du peloton, dans le sillage des phares des voitures qui suivaient la course. Mais cela allait vite, très vite. Le peloton s'étira, le serpent s'allongea tant et tant que je me dis qu'il fallait tout de même aller voir ce qui se passait en tête. Mais j'eus beau appuyer sur les pédales, accélérer constamment, le premier était si loin que je ne rencontrai sur la route que des coureurs lâchés.

Au petit jour et au premier contrôle, j'appris qu'Emile Georget et Ménager étaient passés, avec trois minutes d'avance sur un peloton qui me précédait de cinq minutes. Il n'y avait pas loin de 400 kilomètres à faire ; j'eus la chance de rejoindre, 10 kilomètres plus loin, Martel Buysse, qui, après crevaison, repartait. Il avait avec lui quelques doublures. Je pris sa roue. 20 kilomètres plus loin, nous avions rejoint le peloton.

Je faisais partie de l'équipe Peugeot, une excellente équipe de très bons camarades.

Nous pensions que, lorsqu'Émile Georget le jugerait bon, il lâcherait Ménager et que sa victoire serait une victoire de plus pour notre maison. Tout allait donc bien. Il n'était que de surveiller les coureurs des autres marques qui emmèneraient le peloton. A mi-parcours, Émile Georget et Ménager avaient vingt minutes d'avance. Nous pensions que tout allait se passer comme nous l'avions prévu. Les événements nous réservaient quelques surprises. A l'avant-dernier contrôle, nous apprenions que Ménager était passé avec dix minutes d'avance sur Georget, qui nous précédait de cinq minutes. Ça allait mal. Il ne restait que 80 kilomètres à faire et ce diable de Ménager pouvait gagner et notre équipe être battue. Ce fut une belle envolée. Au bout de 20 kilomètres, nous pouvions rejoindre Émile Georget, épuisé - à 30 kilomètres de l'arrivée, nous rattrapions Ménager. L'infortuné coureur se mit à pleurer abondamment : « C'est malheureux tout de même, disait-il, d'avoir poussé à fond pendant 400 kilomètres pour se faire rejoindre si près de l'arrivée. »

Et, fou de rage, il tenta de démarrer pour s'apercevoir bientôt que ses efforts étaient inutiles. Alors, las, découragé, fini, il se laissa tomber de son vélo dans le fossé de la route.

J'eus, à ce moment, l'excellente idée de profiter d'un moment où le peloton ralentissait l'allure pour changer de braquet et, avec 6 m. 40, démarrer sec. Seul, Henri Pélissier put me suivre. Je le battis au sprint. J'avais gagné mon étape. Mon bon et toujours regretté camarade Émile Engel était troisième. Trois jeunes étaient premiers du classement de la plus longue étape du Tour de France. Je devais gagner encore l'étape suivante, La Rochelle-Bayonne, en battant au sprint trente concurrents. Mais l'étape suivante me fut fatale : crevaisons, incidents divers et une négligence coupable : au contrôle d'Eaux-Bonnes, je ne me ravitaillai point. Je restais un moment sur la roue d'Henri Pélissier, j'arrivais avec lui, avec deux minutes d'avance, au sommet du col de l'Aubisque, sur Lambot, que Thys suivait à huit minutes, Thys étant encore en tête du classement général. Mais la défaillance vint, que mon imprévoyance ne me permit pas de combattre. J'arrivai péniblement au pied du Tourmalet, que je montai en grande partie à pied. Je terminai loin, avec deux heures de retard sur Lambot, le gagnant. Henri Desgrange avait pu dire, dans son compte rendu de l'Auto : « Egg était premier en haut du col de l'Aubisque ; quatrième en haut du Tourmalet ; douzième en haut du col suivant, et, à l'heure où je vous télégraphie, il n'est pas encore arrivé. »

Je terminai le Tour par toutes sortes de mésaventures. A Marseille, où l'arrivée avait lieu au vélodrome, je tombai au dernier tour, en compagnie d'Engel ; à Genève, où j'aurais été heureux de terminer en vainqueur, je n'arrivais que treizième : j'avais bu dans un bidon qu'on avait laissé séjourner dans la glace ; je payais encore cette erreur par une grave indisposition ; dans l'étape Belfort-Longwy, je cassai une roue et me blessai grièvement à un genou et aux deux mains.

C'est dans cette étape que François Faber [...] démarra soudain. L'équipe Peugeot le laissa partir, et, Faber partant, cela voulait dire qu'il y aurait bientôt un certain écart entre lui et ses adversaires. Car le géant de Colombes, le bon géant, allait vite. Tout de même, après quelques kilomètres, les coureurs des autres maisons organisèrent la chasse. Mais on ne rattrapait pas Faber, et cela poussait dur, quand un homme, pédalant de son mieux sur un vélo bien vieux, nous croisa et nous fit signe qu'il voulait nous dire quelque chose. Il fit, en effet, demi-tour, nous rejoignit, quelque peu essoufflé, et nous déclara :
- Faber m'a dit de vous dire qu'il avait dix minutes d'avance et que cela allait tout ce qu'il y a de bien.
Nous éclatâmes de rire. Ce speaker inattendu nous avait rappelé, d'amusante façon, que Faber était mieux qu'un as, c'était un joyeux as.


Oscar Egg et son concurrent Emile Engel au Tour de France 1914

(extraits d'une émission de France TV Sports)

Enfin, j'arrivais à la dernière étape. J'étais au C½ur-Volant et en assez mauvaise posture ; je voulus terminer en bonne position et j'allais rejoindre le peloton à Boulogne quand un des spectateurs suivant à bicyclette me fit tomber. Car il faut reconnaître que les arrivées de courses sur route sur le vélodrome rassemblent aux environs une telle foule que la fin des parcours devient extrêmement dangereuse parfois et toujours aléatoire.

J'avais été treizième à Genève ; j'étais treizième du classement général de ce Tour de France 1914. Je m'interdis d'avoir une opinion définitive sur ce numéro ; je suis bien obligé de reconnaître que mes diverses malchances m'y amenèrent. J'avais eu, cependant, une année particulièrement fertile en résultats, puisque, en dehors de mon record de l'heure, j'avais gagné un Paris-Tours, les championnats suisses, deux étapes du Tour de France.

J'ai disputé, avec des infortunes diverses, les courses sur route suivantes : 1911 : Tour de Lombardie ; 1912 : Milan-San Remo, Paris-Tours, Paris-Roubaix, Paris-Menin, Paris-Bruxelles, cinq étapes du Tour de France, quatre étapes du Tour de Belgique ; 1913 : Paris-Roubaix, Paris-Tours, Paris-Bruxelles ; 1914 : Paris-Roubaix, Paris-Tours, Paris-Menin, Paris-Bruxelles, Championnat suisse des 100 kilomètres, Tour de France ; 1917 : Milan-San Remo, Milan-Turin, Milan-Modène, Milan-Varèse, Circuit de Milan ; 1918 : Trouville-Paris, Bourges-Paris ; 1919 : Milan-San Remo, Paris-Roubaix, Paris-Tours, Milan-Turin, Tour d'Italie (sept étapes), Circuit des Champs de bataille ; 1922 : Paris-Rouhaix.

MA COURSE LA PLUS DURE : LE BOL D'OR

L'année 1924 a vu courir un Bol d'Or au vélodrome Buffalo. C'était un essai de restauration d'une épreuve qui avait eu, jadis, un grand succès. On a beaucoup parlé de ce Bol d'Or 1924 avant qu'il fût couru ; on en a beaucoup parlé après. Mais on a surtout écrit sur cette épreuve beaucoup de choses injustes. Et il m'est agréable de dire aux lecteurs du Miroir des Sports ce que je pense de ce Bol d'Or et ce qui de s'est passé pendant les vingt-quatre heures de course consécutives de cette année 1924.

Il ne m'était jamais venu à l'idée que je disputerais un jour un Bol d'Or. Je ne me croyais pas doué pour cela et estimais que mon endurance n'était pas suffisante, et que je n'étais, en somme, pas fait pour mener à bien une course aussi dure. En 1912, j'avais entraîné mon ami - mon maître aussi - Petit-Breton, et j'avais pu ainsi mesurer les efforts qu'une épreuve de ce genre exigeait. Petit-Breton avait établi un tableau de marche très serré ; il n'avait, au début de l'épreuve, fourni aucun effort sérieux ; c'était, on le sait, un grand champion, dont le courage était légendaire. Cependant, vers les premières heures du matin, il connut la défaillance ; se rendant compte que lutter contre Léon Georget devenait impossible, il abandonnait. Lapize, dont il n'est pas besoin de rappeler les qualités d'énergie et les remarquables dons, avait estimé, après six heures de course, que la besogne était trop rude, et Émile Georget, le héros de Bordeaux-Paris et Paris-Brest-Paris, avait, lui aussi, dû baisser pavillon.

J'avais vu encore disputer, en 1920, au Vel' d'Hiv', une course de vingt-quatre heures. Charles Deruyter avait pris le commandement et, au bout de dix heures de course, il menait avec une avance d'une douzaine de kilomètres sur le remarquable spécialiste qu'était Léon Georget. Georget, toutefois, avait été victime de quelques accidents qui l'avaient sévèrement handicapé. On a raconté qu'à ce moment de la course, Deruyter, s'approchant de Léon Georget, lui exposa que, l'épreuve paraissant à l'avance acquise aux deux leaders qu'ils étaient, il ne semblait pas nécessaire de « se tirer la bourre » ; prix et primes seraient partagés. Mais le Brutal - Léon Georget se soignait très bien avec quelques absorptions de vin rouge, de « brutal »  - n'était pas de cet avis. Il répondit à Deruyter :
- Mon petit gars, il y a encore quatorze heures à faire ; nous avons bien le temps de nous revoir.

Peu de temps après, Deruyter abandonnait.

Ce que j'avais vu et entendu me faisait donc comprendre les difficultés de la tâche et me laissait assez peu désireux de me lancer dans une pareille aventure. Je n'écoutais donc que d'une oreille assez distraite les offres de Coquelle et Delrive, les directeurs de Buffalo, lorsqu'ils pensèrent à me faire disputer ce Bol d'Or de 1924. Et, vraiment, je puis dire qu'à aucun moment je ne songeais à m'aligner dans l'épreuve. On ne peut jamais dire : « Fontaine, je ne boirai pas de ton eau. » Delrive, avec sa rondeur coutumière, me déclara un jour :
- Le Bol d'Or, ça ferait bien dans ton palmarès !

C'est une phrase de rien du tout, énoncée comme cela. Et il est facile d'en faire de beaucoup plus éloquentes sur des sujets du même genre ou dans des conditions semblables. Mais la réflexion de Delrive piqua mon amour-propre. On est professionnel, certes, mais on n'en demeure pas moins accessible à ce sentiment qui fait faire de belles choses pour la simple joie de les faire. La phrase de Delrive me fit réfléchir. Je pensais qu'après tout, j'avais terminé des courses de Six Jours dans un tel état de fraîcheur, ne me ressentant pas de l'effort fourni, que vingt-quatre heures seraient peut-être possibles, si différente que soit la manière dont se disputent les deux courses. Mon indifférence de la veille se transforma assez rapidement en un intérêt suffisant pour que j'écoute les propositions de Coquelle et que je fixe les conditions de ma participation. En quelques minutes, l'entente était faite. Le contrat était immédiatement signé. Je n'avais plus qu'une appréhension : la date de l'épreuve était si rapprochée que je craignais de ne pas avoir suffisamment de temps pour m'entraîner. Mais c'était signé. Je me préparais, et le grand jour - car c'était un grand jour pour celui qui avait toujours pensé qu'il ne jouerait jamais un rôle dans un Bol d'Or - me trouva assez prêt.

Nous étions dix partants : Léon Georget, Duboc, Christophe, Marcel Buysse, Gossens, Torrani, Deloffre, puis un Allemand et un Anglais et votre serviteur. J'avais à mon service sept bonnes équipes d'entraîneurs, presque tous d'excellents camarades, dévoués, et que dirigeait cet ami fidèle et sûr, mon associé Hector Tiberghien. J'arrivais au départ en même temps que Léon Georget, qui me dit, devant tout le monde :
- Mon petit gars, qu'est-ce que tu fais là ? Tu veux courir le Bol d'Or ?

Et comme je ne lui répondais que par un sourire, il ajouta :
- Je connais le fourbi. Je vais te dire ce que tu vas faire. Tu vas foncer au départ, tu auras peut-être un ou deux tours d'avance à la première heure ; au bout de 100 kilomètres, tu commenceras à avoir la pompe ; à la sixième heure, nous tournerons autour de toi, et, à la douzième, tu seras dans ton lit en train de bien roupiller !

Que vouliez-vous que je réponde ? Je pensais qu'il pouvait se tromper. Je montai sur mon vélo. Le départ fut donné.

Je n'étais pas tellement sûr de moi. Je ne savais pas, en somme, ce que j'étais capable de faire. J'allais vers l'inconnu. Mais il était une chose dont j'étais certain, à cette heure comme maintenant : c'est que j'étais un coureur correct et consciencieux. Je n'hésitais donc pas longuement sur la tactique à adopter. Je me dis que, pendant que je le pouvais, je devais essayer de faire des choses intéressantes. Aussitôt derrière mes tandems, je leur demandai de pousser à fond. Ils donnèrent tous et si bien que je vis un à un mes adversaires lâcher prise. Je couvris, dans la première heure, une distance qui était très près de la distance-record de Buffalo. J'avais cependant un petit braquet : 24 x 7. Je devais, de plus, faire constamment l'extérieur. Et cela compte. Mais cela marchait tout de même. Au bout de 50 kilomètres, mes équipes commençaient à la trouver mauvaise. Quelques uns de mes entraîneurs me crièrent que j'étais fou, que j'allais me « louper » et que je ne pourrais pas finir. Je compris leur sentiment, qui était, chez quelques uns d'entre eux, très désireux de me voir gagner, de l'inquiétude, et je me rendis compte, comme eux, qu'il fallait se ménager quelque peu. J'avais quelques tours d'avance ; je pouvais me permettre de vivre sur cet avantage et d'attendre les événements. Je laissai mes adversaires mener le train et passer les heures.

Quand minuit sonnait - il y avait, par conséquent, six heures de faites - je dis à Léon Georget :
- Dis donc, mon vieux Léon, voilà six heures de faites, et vous ne tournez pas encore autour de moi !

Et, parce que je tenais à l'assurer que je n'étais pas encore fini et pour que les rédacteurs de journaux puissent corser leur dernier coup de téléphone, je démarrai et pris un nouveau tour. Et la ronde continua. Tous les concurrents, sauf Léon Georget, avaient déjà éprouvé plusieurs fois le besoin de s'arrêter. Léon Georget tint plus longtemps qu'eux tous. Il ne descendit, pour la première fois qu'à la neuvième heure de la course. Je restai encore en piste pendant plus d'une heure et descendis à mon tour. Le jour pointait.

J'avais à peine perdu un tour en m'arrêtant. La douzième heure arrivait ; j'étais toujours en tête. Je dis alors à Léon Georget :
- Eh ! Léon, je suis là, je ne suis pas encore couché.

Mais Léon ne me répondait pas. Eugène Christophe nous menait, à ce moment, la vie dure. Il était si bien et son allure était telle que je voyais en lui un gagnant possible. A ce moment, Léon Georget dut penser que le temps était venu de tenter de gagner la course. Il fit donner à fond ses entraîneurs et le train s'accentua encore. Christophe fut décollé. Quelques minutes après, je le vis descendre et se diriger, courbé et paraissant très fatigué, vers son campement.

Quelques heures après, Duboc, qui avait dû suivre, pour l'épreuve, une préparation bien réglée, démarrait à son tour. Le train était si rapide que Léon Georget ne put le suivre, et je commençais moi-même à me convaincre qu'une course de vingt-quatre heures n'était pas une promenade, quand je vis Duboc abandonner ses tandems. Il lui était impossible de suivre le train qu'il avait demandé à ses entraîneurs de mener. Je respirai. Pas pour longtemps, toutefois, car Léon Georget, retapé, et qui savait mieux que tous autres que l'heure était décisive et qu'il fallait, à ce moment, y aller de toutes ses forces, reprenait la tête et forçait l'allure.

Midi venait de sonner. Dix-huit heures de course. Je commençais à avoir de sérieux espoirs et me promettais de ne pas laisser s'échapper mon concurrent le plus direct. Cela, c'était mon désir. Il me fallait bien reconnaître, tout de même, que la fatigue commençait à se faire sentir. Il avait fait très froid la nuit. J'avais mal un peu partout, et je supportais mal les trépidations causées par les bosses dans les virages. Et cette sensation de choc m'était à ce point désagréable que je demandais à mes entraîneurs de rouler sur le plat et de ne pas monter dans les virages. Mais la surface plate de la piste n'est pas très large. J'arrivais plusieurs fois sur le bord de la piste. Je touchais aussi à plusieurs reprises la roue de mes tandems. Il en résulta pour moi plusieurs chutes assez douloureuses. Et voilà que Duboc, dans un nouvel effort, fit mener de nouveau un train terrible. Ce réveil de Duboc contraignit Léon Georget, désemparé, à descendre de machine et à s'arrêter assez longuement. Duboc fut pris lui-même à son propre jeu. En voulant faire plus qu'il ne pouvait faire, il arriva à ne plus pouvoir tenir la roue de ses tandems. Il décollait, mais, courageusement, revenait encore, se dépensant sans compter. Trois heures avant la fin, il devait, à son tour, descendre pour quelque temps. Quand il se remit en piste, il avait de nombreux kilomètres de retard.

Je ne crois pas qu'à ce moment il se soit trouvé au vélodrome beaucoup de spectateurs qui n'aient pas vu en moi, sauf accident, le gagnant certain de l'épreuve. J'avoue que j'étais de l'avis général. Je me promettais de pousser à fond pendant la dernière heure et d'ajouter quelques kilomètres à ceux que j'avais pris à mes adversaires et aux records, puisque déjà pas mal d'entre eux étaient battus. Deux heures avant la fin, je descendis pour quelques instants. Quand je voulus remonter sur ma bicyclette, il me fut impossible de faire un mouvement. J'avais la sensation que j'étais paralysé et qu'il allait m'être défendu de terminer. Je dis au fidèle Tiberghien :
- Mais je ne peux plus monter sur mon vélo... On me hissa sur ma selle, on me poussa. Je cherchais à accompagner mes pédales. Mes muscles ne répondaient plus à mon cerveau. Je voulais et ne pouvais pas. J'étais une loque. J'avais la sensation que je ne vivais plus normalement et que j'avais perdu la possibilité du mouvement. Celui qui, quelques minutes plus tôt, pouvait considérer qu'il allait vaincre était subitement convaincu que la victoire devenait impossible. Je souffrais physiquement. Mais je connus une souffrance morale telle que je crus que tout était fini. J'ai vécu là les minutes les plus douloureuses de ma carrière sportive. Elles s'accompagnaient des ovations folles et des encouragements bruyants prodigués par la foule à Duboc, qui apparaissait, à son tour, comme le vainqueur. J'ai trouvé, à ce moment, dans mon désir de faire ce que je m'étais engagé à faire et dans celui de toujours lutter pour vaincre, la possibilité de repartir, de retrouver une partie de mon équilibre, de limiter mon infériorité, que, peu à peu, je devinais passagère.


OSCAR EGG EN TÊTE DANS LA GRANDE ÉPREUVE QU'IL GAGNA, EN BATTANT LE RECORD


 Je perdis de nombreux tours, puis j'arrivais progressivement à ne plus perdre qu'un tour sur deux, à diminuer ce handicap considérable, à recoller à la roue de mes tandems. Et, voyant la fin qui s'approchait alors que j'étais encore en tète du classement, comprenant que la victoire que j'avais vue s'enfuir avait encore gardé un sourire, je fournis un effort prodigieux pour suivre le train mené par Duboc. Quand je vis arriver les dernières minutes, je demandai à mes tandems de pousser à fond et terminai au sprint, laissant sur place tous mes adversaires. J'avais couvert 936 km. 225 et battu de loin le record.

Le public, qui avait compris mes efforts, me fit une telle ovation que j'oubliai les souffrances que j'avais endurées. J'avais gagné cette épreuve, pour laquelle je ne m'étais d'abord pas cru qualifié, puisque j'avais accepté de courir en me promettant de faire de mon mieux, et qu'enfin j'avais failli perdre après avoir pu croire que je ne devais pas être battu.

Mais je ne voudrais pas en terminer le récit sans dire mon admiration pour l'énergique défense de mes principaux concurrents : Duboc, Léon Georget et Christophe. Elle m'a valu de pouvoir battre les records de ce Bol d'Or, dont Delrive, pour me décider à le disputer, m'avait dit « qu'il ferait très bien dans mon palmarès ».

MA COURTE CARRIÈRE DE STAYER

Je me trouvais, en 1915, en Amérique, et Mac Farland, avec lequel je signais un contrat, stipula que j'étais susceptible de courir derrière motos. Il faut, en Amérique, être prêt à tout et ne s'étonner de rien. J'avais couru dans toutes les spécialités ; mais, enfin, on ne s'improvise pas stayer du jour au lendemain. C'était cependant très net : je devais disputer un certain nombre de courses derrière motos. Comme je venais de gagner les Six Jours de Chicago avec mon vieux camarade Verri et que l'on construisait dans cette ville un vélodrome d'été - car il n'y en avait pas eu, à Chicago, depuis vingt ans - Mac Farland nous y envoyait tous les deux. Verri devait disputer des courses de vitesse, moi des courses derrière motos.

Tout de même, avant de partir pour Chicago, je m'essayais, pendant quelques séances, sur la piste de Newark. Je m'essayai timidement, comme tous les débutants.



OSCAR SOUS LE CASQUE DE CUIR


Je n'avais jamais roulé derrière moto. En commençant, je n'osais pas m'approcher du rouleau. Le premier jour, un mètre me séparait de lui, que je ramenai, le deuxième jour, à cinquante centimètres, pour arriver enfin à coller à peu près convenablement. Après ces cinq ou six séances d'entraînement, je partis pour Chicago, où je devais disputer, le lendemain de mon arrivée, une course de stayers contre Moran, Root et Droback. Le matin de la course, je voulus prendre un petit canter (galop d'essai d'un cheval de course). Je tombai sur un entraîneur qui n'avait pas entraîné depuis dix ans, qui, de plus, n'avait reçu sa moto que la veille. Par ailleurs, je n'avais, de la langue anglaise, que des notions trop vagues pour me faire comprendre de lui. Toutes ces raisons faisaient que la séance d'entraînement n'allait pas très bien. Après avoir risqué vingt fois de rentrer dans mon entraîneur ou de m'accrocher au rouleau, je terminais la séance en me tenant à une distance qui dénotait plus de prudence que d'aptitude. Kopsky, qui avait assisté à mon travail si délicat, alla trouver la direction pour lui conseiller, étant donné mon allure à l'entraînement, de ne pas me faire courir si l'on ne voulait pas me voir terminer avec quelque vingtaine de tours de retard. Et il se proposait, d'ailleurs, pour me remplacer.

Le soir, comme les entraîneurs, qui étaient tous des semi-débutants, n'avaient pas assez de métier, on décida, pour éviter des accidents au moment de la prise, que l'on donnerait un départ volant. Le starter, que je connaissais bien, eut même la bonté de m'annoncer qu'il donnerait le départ quand je serais en tête. Il se trompa d'ailleurs, car, ayant appuyé un peu trop tard sur la gâchette de son revolver, je me trouvais dernier dès le début de la course. Droback, deuxième, tâchait de passer Moran. Mais mon entraîneur, qui n'accélérait pas suffisamment, me faisait vovager dans les virages, et je frôlais à ce point la balustrade que j'allais abandonner, quand je vis Droback décoller. Je poussai dur, passai Moran et terminai premier. J'avais gagné ma première course, et je devais encore gagner la deuxième et la troisième, avant d'être battu dans la quatrième.

Je fus alors renvoyé à Newark, où je disputais surtout des courses derrière tandems - ce qui me convenait infiniment mieux - et des courses à l'américaine. Je recourus derrière moto à Paris, en 1917.

Ma première course, contre le regretté Parent, fut une victoire. Mais je suis bien obligé d'avouer que je ne goûtais guère ce genre de sport que j'estimais trop dangereux. Et mes apparitions derrière motos furent assez rares. Je figurai certes, mais ne gagnai pas. Ma meilleure course fut fournie dans un match à trois qu'on avait appelé le Match des As et qui réunissait Sérès, Didier et moi. Dix kilomètres avant la fin, j'étais en tête, précédant Sérès d'un tour et Didier de deux, quand mon pneu avant éclata. Je fis une cabriole fantastique. Le demi-fond, vraiment, ne me réussissait pas. Je devais pourtant recourir derrière moto. En fin de saison 1919, je fus demandé à Philadelphie pour disputer une course de stayers. J'annonçai au directeur que je n'avais pas de vélo, pas de casque et que, d'ailleurs, je voulais, pour courir derrière motos, être payé deux fois plus que pour une course ordinaire. Il consentit le prix demandé, s'engagea à me fournir le matériel nécessaire, et je partis pour Philadelphie. En arrivant dans la ville, je vis d'énormes affiches qui annonçaient le match des Six Nations. L'Amérique, la France, l'Italie, l'Allemagne et la Belgique étaient représentées ; si l'organisateur avait tant insisté pour me faire venir, c'est que je devais représenter la Suisse, qui faisait la sixième nation. Mais on offrit au représentant suisse un vélo extraordinaire, un vieux clou menaçant ruine et bien peu rassurant. Je l'essayai avant la course, et j'étais en pleine action quand le pneu avant éclata. J'évitai la chute par miracle. Mais je dis cependant au directeur du vélodrome que sa bicyclette ne me paraissait pas faite pour le travail que j'allais lui imposer et que je risquais fort, si je devais courir sur un semblable vélo, de me rompre les os.
- Partez toujours, me dit-il. Au bout de 15 ou 20 milles - la course en comportait 66 - je vous ferai signe, et vous pourrez vous arrêter.

Je n'étais pas au bout de mes mécomptes. En Amérique, les entraîneurs sont tirés au sort. Mais comme je n'étais, en somme, qu'un coureur occasionnel, on me donna le plus mauvais entraîneur, qui disposait de la plus mauvaise moto. De plus, et pour que mon enthousiasme soit complet, on me donna la dernière place au départ.




MILAN 1917 : EGG VA PASSER PAUL SUTER

Ainsi handicapé, je ne devais pas tarder à être doublé. Je le fus au bout de quelques milles, et les concurrents tournèrent autour de moi. Pourtant, je tentai, vers le quinzième mille, de faire activer mon entraîneur. Mais il m'informa qu'il ne pouvait pas aller plus vite. Il était trop mal armé, en effet, aussi mal armé que je l'étais moi-même, et je compris sa restriction. Ce que je comprenais moins, toutefois, c'est que le directeur, qui devait me faire signe de descendre, demeurait invisible. La possibilité de m'arrêter me fut tout de même offerte : la moto s'arrêta d'elle-même. Elle estimait en avoir assez fait. Moi également !

Il était dit que cette course me vaudrait toutes les surprises. Lorsqu'on me paya, Chapman lui-même, qui est le grand directeur de toutes les pistes américaines, me compta la moitié de la somme promise, s'indigna quand je le lui fis constater, blâma le directeur qui m'avait offert une somme trop élevée pour une exhibition douteuse. Il me paya tout de même, mais il tint à me déclarer :
- That is murder ! (Ça, c'est de l'assassinat !) J'avais cependant eu bien peur d'être la victime !

JEUNES ET ANCIENS

Je ne veux pas, en parlant des jeunes et des anciens, les comparer, pour opposer leurs qualités ou montrer ce qui pourrait être, chez les uns ou chez les autres, des défauts. Je ne prétends donc pas arriver à dire de ceux-ci ou de ceux-là qu'ils étaient ou qu'ils sont supérieurs. Et puis mon expérience porterait sur un nombre d'années trop restreint, si longue qu'ait pu être ma carrière. Je courais encore l'an dernier et je n'ai donc pas connu nombre de coureurs cyclistes qui ont laissé un grand nom dans l'Histoire, portant sur près de quarante années, d'un sport dont il est difficile de dire qu'il a considérablement évolué.

Et puis, je ne voudrais pas être considéré comme un de ces pères Tant-Pis qui commencent une phrase en énonçant : « De mon temps... » pour arriver à conclure que, de leur temps, tout était mieux. La vie est un éternel recommencement, m'a-t-on toujours dit, et je le crois volontiers. Je vous conte quelques souvenirs, avec plaisir. Je n'ai pas à tâche la discussion, persuadé que je suis d'ailleurs que la discussion réussit rarement à convaincre tout le monde.

Ce qu'il me faut dire tout d'abord, parce que c'est l'évidence et que je ne découvre rien en le constatant, c'est que le nombre des spectateurs de toutes les manifestations cyclistes - et autres aussi - a considérablement augmenté et que ce public, devenu si nombreux, est devenu aussi plus sportif. Je dois reconnaître que, sur route ou sur piste, je vois partout la foule, une foule beaucoup plus considérable que celle qui, lors de mes débuts, venait encourager les coureurs. Mes adversaires, en 1914, lorsque j'ai participé aux Six Jours de Paris, s'appelaient : Hourlier, Comès, les vainqueurs : Goullet, Grenda, le premier étant, peut-être, le meilleur coureur de Six Jours qui ait existé, Goullet, d'ailleurs, comme j'ai eu l'occasion de le dire, étant un des plus glorieux ; Fogler, Moran, Hill, Root, Valthour, Lapize, Engel, Deruyter, Rutt, Lorenz, Verri, Cruppelandt, Dupré, Perchicot, Berthet, Trousselier, Brocco, Van Houwaert, etc.

Sur la route, je me rencontrais avec Thys, Henri Pélissier, François Faber, Garrigou, Emile Georget, Marcel Buysse, Defraye, Masselis, Deman, Mottiat, Heusghem, et aussi Lapize, Deruyter. Cruppelandt, que j'ai déjà nommés et qui couraient indifféremment sur route et sur piste. Le Grand Prix de Paris vit comme participants : Hourlier, Poulain, Friol, Ellegaard, Dupré, Pourchois, Perchicot, Schilles, Shilling, Sergent, Verri, etc... Les meilleurs stayers d'alors étaient : Darragou, Sérès, Linart, Didier, Parent, Guignard, etc... En Amérique, à la même époque, je vis sur la même piste : Kramer, Spears, Rutt, Goullet, Mac Namara, Grenda, Fogler, Moretti, Eaton, Hawson, Cavanagh, etc...

Tous ces noms vous disent quelque chose. Et si, dans les grandes épreuves actuelles sur route et sur piste, des coureurs s'alignent qui portent des noms que la renommée a rendus populaires un peu partout, il n'en est pas moins juste de reconnaître que les noms que je viens de citer sont, depuis longtemps, dans la mémoire des sportifs qui virent courir ceux qui les portaient et aussi dans la mémoire de ceux auxquels il en fut parlé, parce qu'ils méritaient vraiment qu'on parlât d'eux lorsqu'on discutait sur certaines épreuves ou que l'on examinait certains palmarès. Et vous serez de mon avis si je prétends que beaucoup de ces noms d'anciens se transmettront de générations en générations. Ils diront, ce que fut une époque. On a assez répété que nous manquions de champions pour que le rappel des noms de ceux qui illustrèrent l'époque dont je parte ne paraisse pas déplacé. Et ce me sera une grande joie de constater, plus tard, qu'il est des champions qui valent d'être mis en parallèle avec ceux que j'ai nommés et qu'ils sont aussi nombreux que ceux dont la liste, sans doute incomplète, est restée dans ma mémoire.

Mais il me semble bien que, si nous avons d'indiscutables champions, leur nombre est certainement plus réduit qu'à l'époque que j'ai évoquée. Et, cependant, tous ces vieux champions étaient, à mon avis, beaucoup moins encouragés, beaucoup moins aidés à leur début que tous les jeunes qui, possédant quelque qualité, s'ingénient, fort justement d'ailleurs, à trouver les moyens de les mettre en valeur. Je crois pouvoir résumer ceci assez simplement : ils étaient nés coureurs et travaillaient à rendre glorieuse et fructueuse leur carrière de coureur. Trop nombreux sont maintenant ceux qui veulent devenir coureurs, à condition qu'on supprime de la route qu'ils se sont tracée tous les obstacles qui peuvent venir l'encombrer.

Faber acheta sa première bicyclette chez Dufayel et participa au Tour de France pour son propre compte. Georges Sérès, qui fut son fidèle compagnon, était dans le même cas. Van Houwaert gagna son premier Bordeaux-Paris alors qu'il était garçon de ferme.

Avec le temps, les procédés ont évolué. Des facilités ont été offertes aux jeunes. La multiplicité des courses en marge des grandes épreuves, que l'on peut dire classiques, a amené un nombre considérable d'offres qui répondaient aux nombreuses demandes qui étaient faites. On s'est mis à la recherche de champions. Et je trouve cela très bien, d'ailleurs. Le travail imposé aux coureurs, auxquels on offre de courir un peu partout, les calendriers de la route, comme de la piste, étant encombrés, exige que, dans chaque spécialité, les champions soient nombreux. S'il y avait pénurie, l'intérêt des épreuves en souffrirait et l'engouement du public diminuerait bien vite. Mais il faut bien reconnaître qu'en cherchant des champions un peu partout, il n'est pas certain, surtout si on consent à de gros sacrifices pour les amener peu à peu à la vedette, qu'on en rencontrera beaucoup. En cyclisme, comme ailleurs, il y en a de nombreux qui se croient appelés ; or, il y a très peu d'élus. Il n'est pas toujours très bon, d'une part, d'avoir trop de facilités pour se sortir de la mêlée, d'autre part, d'arriver trop vite au succès. Les difficultés des débuts ont assuré bien souvent une longue carrière à ceux qui rudement, patiemment aussi, avaient préparé leur chemin. En raisonnant et en comparant ce qu'ils étaient et ce qu'ils sont et en se disant qu'ils ne devaient d'être arrivés au succès qu'à leurs propres moyens, ils demeuraient fiers de leur réussite et trouvaient dans cette fierté le désir de ne jamais être inférieurs à eux-mêmes.

Ces facilités accordées aux débutants devaient fatalement amener ces derniers à des exigences que je ne cite, en passant, que pour les erreurs qui en peuvent résulter. Au début de Rivoli Sportif, je fus sollicité par les deux présidents, Trialoux et Cazalis, pour intervenir auprès de la maison Bianchi, pour laquelle je courais, afin de l'amener à prêter quelques vélos aux coureurs du club. La maison Bianchi, très généreusement, offrit trois vélos ; la Sportive, six. Au départ, à la porte Maillot, d'une courte séance d'entraînement du club, - porte Maillot-bas de la côte de Saint-Cyr et retour - je vis arriver, sur une superbe Bianchi, un des coureurs du Rivoli Sportif. Il avait plutôt l'air d'un jockey que d'un cycliste - Thuau fut les deux et Michaël aussi, mais ce sont les seuls - et était surtout mécontent. Ses performances, disait-il, eussent dû lui assurer depuis longtemps un service de vélos et de boyaux. Il m'accosta, me parla de ses courses en quatrième catégorie, médiocres à ce point que je regrettai bien d'avoir fait appel à ma maison pour doter ce coureur en herbe d'une machine semblable. Il méritait une leçon. En abordant la côte de Saint-Cloud, j'appuyai sur les pédales sérieusement, mais en conservant les mains en haut du guidon. Mon homme colla à ma roue pendant quelques mètres ; au premier tournant, il avait 50 mètres de retard. Arrivé à Saint-Cyr, le peloton fit demi-tour et nous pûmes reprendre au passage, devant la grille de l'Orangerie, à Versailles, notre coureur... en paroles. On lui fit comprendre par des mots combien ses prétentions étaient exagérées, et par des faits, dans la côte de Picardie, combien il était inférieur.

Si j'ai cité ce cas, c'est pour mettre en lumière l'erreur que l'on commet en encourageant à tort certains débutants. J'apprécie, je le répète, l'encouragement. Il faudrait, cependant, qu'il ne s'adressât qu'à ceux qui, physiquement et moralement, en sont dignes.

Lorsque, d'ailleurs, les encouragements aux jeunes ont déjà été précédés d'une sélection sérieuse, ils sont devenus précieux à ce point que nous leur avons dit et que nous leur devons des champions. Le Miroir des Sports a exposé, l'an dernier, les résultats obtenus par le « marchand de champions » Paul Ruinart, qui nous assura, par sa sélection, une splendide victoire aux Jeux Olympiques, qui fit des champions du monde, des champions de France et des champions militaires : Blanchonnet, Leducq, Souchard, Grassin, Hamel, Marcillac et les deux coureurs extraordinaires et si courageux que sont Wambst et Lacquelay. En disant le grand mérite de Pau! Ruinart, il aura donné à ma thèse un argument de plus : il n'y a qu'un Paul Ruinart, il en faudrait beaucoup.

J'apprécie également les règlements ; mais je conserve cette opinion - et je n'interdis à personne de la trouver mauvaise - qu'ils dépassent quelquefois le but qu'on se propose. Le règlement, je le comprends, est fait pour tout le monde. Mais, dans ce tout le monde, il y a des exceptions. L'U.V.F. a décidé d'interdire à un coureur âgé de moins de vingt et un ans de participer à une course de plus de 150 kilomètres. Convenons que, pour la majorité, c'est très bien. Mais Marcel Cadolle gagna un Bordeaux-Paris à vingt ans et je n'ai jamais entendu dire que cela lui ait nui par la suite. Goullet gagna sa première course de Six Jours à dix-huit ans : c'était, évidemment, un coureur particulièrement doué. Mais Rutt, au même âge, était finaliste du Grand Prix de Paris.

Aujourd'hui, à Beaufrand, qui vient d'avoir dix-huit ans et qui, à mon avis, a un bel avenir devant lui, on impose un braquet de 23x7, sous prétexte qu'il est trop jeune pour pousser un braquet normal. Il y a peut-être là une erreur.

Mon associé Tiberghien et moi avons voulu, cependant, encourager les jeunes en créant le Grand Prix Egg et Tiberghien, comportant 12.000 francs de prix et réservé aux amateurs de troisième et quatrième catégories, indépendants et débutants. Nous avons cherché une formule nouvelle, mais avons adopté un parcours classique : Versailles-Rambouillet et retour par la Minière, 63 kilomètres.

Le lundi de Pâques, 18 avril prochain, la course se fera en ligne ; le dimanche suivant 24 avril, et toujours sur le même parcours, une épreuve contre la montre, réservée aux soixante premiers de la première épreuve, avec départs séparés chaque minute. Le dimanche 15 mai, la troisième épreuve sera disputée en handicap (six minutes), départ par peloton toutes les minutes pour les coureurs ayant terminé la première épreuve, le handicap étant établi d'après les résultats obtenus dans les première et deuxième épreuves. Nous croyons au succès de cette épreuve. L'avenir nous dira si nous nous sommes trompés.

UN GRAND ROUTIER : F. FABER [...]
UN SPRINTER PRODIGIEUX : FRANK KRAMER [...]

COMMENT JE M'ENTRAîNAIS

Il ne suffit pas de vouloir courir. On ne saurait prétendre à la victoire si l'on n'accepte pas le dur et monotone travail de l'entraînement. S'il arrive aux meilleurs coureurs d'être battus par des adversaires qui ne possèdent pas autant de qualité qu'eux, c'est parce que leur préparation est insuffisante ou mauvaise. La classe et le courage ne peuvent suffire : l'entraînement, qui permet de faire parler la classe et qui lui donne son plein effet, s'impose.

C'est parce que, dès mes débuts, je reconnus l'importance d'un entraînement sévère et régulier, que je m'y suis toujours astreint. Je ne l'ai jamais négligé et je mets sur le compte de cette persévérance la réussite que je connus.

Il n'y a pas une formule exacte d'entraînement pour les coureurs cyclistes. Les méthodes doivent différer suivant les tempéraments. Et je suis encore de cet avis que la méthode choisie ne doit pas être tellement rigoureuse qu'elle devienne suppliciante. On cite, et avec raison, la méthode adoptée par le grand coureur que fut Frank Kramer, et dont j'ai eu l'occasion de parler. Elle supprimait tous les plaisirs, toutes les petites joies que la vie offre et qui ne peuvent paraître abusives. On ne saurait, parce que l'on est coureur, vivre en ascète. Mais il est nécessaire, cependant, d'être sévère pour soi-même.

Il est trois points sur lesquels je n'ai jamais transigé : ne pas fumer, boire très peu, se coucher tôt. Ce ne sont pas là des sacrifices tels qu'ils puissent apparaître comme des obligations désagréables. J'ai pris l'habitude de me coucher à dix heures du soir, en ayant soin de me couvrir d'un pyjama de flanelle. Me couchant tôt, je pouvais me lever de bonne heure. En été, j'étais souvent dans le Bois à six heures du matin, me promenant à bicyclette, avec le seul souci de respirer à pleins poumons. Lorsque je n'étais pas aussi matinal, je me levais toujours avant sept heures et faisais, dès le réveil, cinq à six minutes de culture physique. Mes mouvements avaient pour but de faciliter la respiration et de conserver la souplesse. Je faisais ensuite ma toilette avec grand soin, car l'hygiène est un des principaux facteurs de l'entraînement utile. Mon petit déjeuner se composait de fruits, de café au lait et de pain beurré.

Mais, quand je pratiquais un entraînement intensif, j'ajoutais à ce repas deux ½ufs à la coque. Une heure de repos et je partais à l'entraînement, couvert de laine (bas, caleçon et gilet) et sans veston, ce vêtement étant remplacé par un maillot épais ou un sweater.

En 1917, alors que j'étais en pleine forme, le travail physique que je m'imposais m'avait amené aux mensurations suivantes : Hauteur : 1 m. 77 [...] Poids : 72 kg. 850.

L'entraînement pour la piste

Lorsque je me préparais à courir sur piste, je couvrais, le matin, 25 à 30 kilomètres au maximum sur une route plate. A bonne allure, toutefois, quand le temps le permettait. Si le froid était excessif ou s'il pleuvait, je remplaçais l'entraînement à vélo par une séance de home-trainer, dont j'ai construit un modèle intéressant et que mes camarades me réclament souvent. Si je ne faisais pas de home-trainer, je remplaçais la séance par une marche assez rapide et me frictionnais sérieusement ensuite avec une serviette-éponge. Au cours de l'après-midi, vers 4 heures, je m'entraînais pendant trente ou trente-cinq minutes sur la piste. L'allure lente du début était accélérée progressivement et je terminais à toute allure. Descendu de vélo, mon masseur me prenait et, pendant une heure, remplissait ses fonctions avec énergie.

L'entraînement pour la route


Lorsque je m'entraînais pour une épreuve sur route, je roulais le matin, sur des routes plates, pendant une cinquantaine de kilomètres. Au retour, je me confiais à mon masseur, je me reposais l'après-midi. Toutefois, chaque semaine, je faisais une randonnée de 120 à 150 kilomètres.

Mais je ne m'entraînais jamais à la veille ou au lendemain d'une épreuve ; je sortais en vélo une heure ou deux pour me promener.

Comme nourriture, tous les aliments qui me plaisaient, en évitant toutefois les mets lourds et indigestes - les ragoûts ou les plats accompagnés de sauce. Jamais d'alcool. Un peu de vin rouge ou de bière pendant les repas. Si la fatigue avait été grande, de l'eau de Vichy. Après le déjeuner, une tasse de café léger ; après le dîner, une tasse de camomille. Cela peut faire sourire de lire qu'un coureur qui se prépare à de gros efforts ingurgite des infusions aussi calmantes. Mais puisque, à l'usage, on constate qu'elles sont excellentes...

Quelques conseils

Les jeunes, chaque jour plus nombreux, que la bicyclette attire, que les courses d'amateurs tentent quelque peu et qui nourrissent souvent l'intention, s'ils réussissent à leur début, de tenter de courir, en se disant qu'avec le travail ils arriveront à faire aussi bien qu'Untel et mieux que tel autre, désir bien légitime et dans lequel je vois une manifestation de tempérament sportif, me permettront de leur donner quelques conseils. Il m'en fut donné, que je suivis ponctuellement, en m'efforçant de les adapter à mes moyens personnels, et je m'en suis fort bien trouvé.

J'estime qu'il est imprudent de courir avant dix-huit ans. Encore doit-on, à cet âge et jusqu'au développement plus complet que l'on atteint vers la vingtième année, limiter son effort. L'U.V.F. a, d'ailleurs, pris, à ce sujet, des dispositions fort sages et qui sont exactement basées sur les possibilités physiques de la majorité des jeunes gens.

Je voudrais attirer l'attention des jeunes sur trois points que j'estime importants : la position en machine, la multiplication et l'hygiène en course.

La position en machine doit être aisée et telle que le maximum de rendement soit obtenu avec le minimum d'efforts. Il faut la chercher longuement et répéter les essais sans hésiter à changer la hauteur du guidon ou de la selle, si on ne se sent pas en parfait équilibre. La hauteur de la selle doit être basée sur l'entre-jambes, le talon devant pouvoir toucher la pédale, lorsque cette dernière est à la limite inférieure de sa course, la jambe étant tout à fait tendue.

La multiplication ne doit pas être exagérée, ni pour l'entraînement ni pour la course. Les coureurs ayant, voulu utiliser de trop grands développements n'ont pas duré bien longtemps. Et je citerai deux dispositions-type pour la route et pour la piste : 48 dents au grand pignon et 18 au petit pour la route ; 24 dents et 7 pour la piste.

Quant à l'hygiène en course, elle est fort simple : il est indispensable de manger souvent, sans attendre d'avoir faim ; la fringale peut être cause d'une défaillance difficile à surmonter. Elle impose à l'estomac un travail inutile. Et l'estomac, pour un coureur, est aussi nécessaire que les jambes.

J'ajoute, et ceci est quelque peu en dehors des conseils directs que l'on peut donner, que la bonne tenue de soi-même s'impose. Bonne tenue générale, dans le costume comme dans les propos. Etre correct est une chose facile. Etre cité pour sa correction est une chose agréable.


Le palmarès sportif d'Oscar Egg,
en résumé

- Record de l'heure battu trois fois, entre 1912 et 1914, en alternance avec Marcel Berthet ; le dernier (44,247 km) a tenu 19 ans.

- Deux étapes du Tour de France (1914), Paris-Tours (1914), Milan-Turin (1917), plusieurs records du monde, des Six jours et d'innombrables courses sur piste et derrière moto.

- Pendant la première guerre mondiale, exilé en 1915 et 1916 aux USA, il réussit une brillante carrière dans les Six Jours.

 


Agence Meurisse, 1914


 

et en images


Agence Rol
, 1912



Vel' d'hiv', 7/11/20, Oscar Egg, gagnant de la course des 50 km derrière entraîneurs à tandem
Agence Rol


Fin mars 1921, Six jours, Oscar Egg dans un lit aménagé dans l'enceinte du Vel' d'Hiv'
Agence Rol

Sa carrière






Voici son portrait qui fut publié par la revue La Pédale, le 6 mai 1924.

 

A tout seigneur, tout honneur. Nous entendons aujourd'hui inaugurer la série de nos « Fines Pédales » par l'homme qui détient le plus beau, parce que le plus athlétique, des records cyclistes, le citoyen - de la libre Helvétie - Oscar Egg, recordman du monde de l'heure sans entraîneurs avec 44 km. 247.

[En 2024, le dernier record a été établi, le 8 octobre 2022, par Filippo Ganna, en courant 56,792 km sur le vélodrome de Granges, en Suisse.]

Oscar Egg est un homme heureux. Cela se voit sur sa figure. Et pourtant, il a une histoire, comme tous les grands champions du cycle qui ont traîné leur maillot de fil ou de soie un peu partout. L'histoire d'Oscar Egg, Messieurs les lecteurs, est trop longue pour que nous entreprenions de vous la conter entièrement ici ; tout au plus nous contenterons-nous de vous présenter le phénomène - on l'a considéré comme tel au moment où il s'adjugea le record fameux.

 

Mais, au fait, vous connaissez bien, physiquement, Oscar Egg, ou vous n'êtes pas digne, alors, d'être un lecteur de La Pédale. Il ne se peut pas que vous n'ayiez jamais vu en action cette puissante machine à abattre des kilomètres, composée d'une paire de bielles solides et tournant rond, d'un corps fin et cependant bien musclé et enfin d'une tête qui indique bien que l'homme aime aller vite, puisqu'elle s'orne d'un appendice nasal délicieusement épointé et de cheveux blonds impeccablement plaqués sur le crâne afin de diminuer, sans doute, la résistance à l'avancement.

Tête sympathique incontestablement, puisque Egg est une des idoles de cette foule vibrante qui s'élance chaque dimanche à l'assaut des gradins vélodromesques et qu'il peut se vanter d'être un de ceux qui eurent le moins à souffrir de ses sautes d'humeur.

Voilà, physiquement, comment se présente notre héros. Examinons-le maintenant intérieurement, si on peut dire.
Tout d'abord, Egg est un garçon sérieux, sous tous les rapports. Cette qualité maîtresse lui a même valu d'être pris en enfilade par les mirettes de quelques uns de ses collègues. On n'admet pas beaucoup, dans le monde où l'on cycle, les gens réservés et l'on a un peu trop tendance à les soupçonner de dédain. Egg est un type froid : il ne s'emballe pas facilement, à moins que ce ne soit au sprint. Volontaire, il a fait son chemin, non seulement dans ce sport cycliste, mais également dans les affaires.

Ces deux branches de son activité lui ont déjà rapporté quelques sous, ce dont il est tout heureux, car il en est « très près ». D'aucuns l'accusent d'avarice ; ils exagèrent. Il se défend, et même très bien. Oh, ce n'est certes pas lui qui gâchera le métier de coureur cycliste ; il préfère s'abstenir que de courir pour une somme qu'il estime inférieure à ce que vaut sa réputation - à moins, naturellement, qu'il ne s'agisse, de rendre service.

Pour terminer cette présentation morale, ajoutons que Egg est un garçon d'une tenue irréprochable, d'une éducation soignée ; sa conversation est agréable. Plutôt timide, il semble réfractaire aux nouvelles connaissances, puis, une fois la glace rompue, il devient le plus charmant des interlocuteurs. Que de souvenirs il peut alors évoquer ! Oscar Egg est né le 2 mars 1890 à Schaffouse, en Suisse. Le papa Egg était un sportif et, de temps à autre, il se risquait sur la petite piste de Hardan. Le gosse Oscar, qui pouvait alors avoir dans les quatre ans, l'encourageait en trépignant.

Plus grand, Oscar entra à l'Ecole technique de Zurich pour y terminer ses études. Travailleur consciencieux, il fit de rapides progrès. Quelle était sa distraction favorite ? Le vélo, pensez-vous. Que non : le football, la natation et la gymnastique !

Plus grand, Oscar entra à l'Ecole technique de Zurich pour y terminer ses études. Travailleur consciencieux, il fit de rapides progrès. Quelle était sa distraction favorite ? Le vélo, pensez-vous. Que non : le football, la natation et la gymnastique ! A 17 ans, Egg vint à Paris pour se perfectionner dans le métier de dessinateur industriel qu'il avait adopté. Seul, il s'y ennuya et acheta un vélo touriste avec lequel il entendait se rendre à son travail et employer ses loisirs à quelques excursions dans la région parisienne. Amateur de sports, il rendit quelques visites à la Municipale ; les exploits de nos amateurs ne lui dirent absolument rien. Des amis l'entraînèrent au matin de Paris-Roubaix 1909, et quelques kilomètres dans le sillage du peloton lui valurent le coup de foudre.

Peu après, ayant tout juste changé le guidon de sa machine de touriste, il débutait, dans le Premier Pas. Une chute l'empêcha de terminer. Sa seconde course, Asnières-Viarmes, fut une victoire. D'autres succès lui valurent d'être remarqué par Léopold Alibert, alors directeur du Service des Courses de Peugeot. En même temps qu'il était devenu « indépendant », Oscar continuait à dessiner chez Panhard et Levassor. On lui accorda, dans cette dernière firme, toutes facilités pour courir, et les exploits qu'il put acomplir lui valurent, fin 1911, un engagement comme « pro » pour la cage aux lionceaux.

 


Départ de l'épreuve "100 kilomètres derrière tandems" au stade vélodrome Buffalo, 1912
Agence Rol

Ce fut le départ d'une carrière excessivement bien remplie. Sur route, sur piste ; avec entraîneurs, sans entraîneurs, en demi-fond, en vitesse, Egg brilla partout.

Ses premières escarmouches avec Marcel Berthet pour le record de l'heure et aussi le titre de recordman du monde des 50 kilomètres sans entraîneurs qu'il avait ravi à Hoffbourg lui firent, en peu de temps, une renommée mondiale.

Tentative de record du monde des 50 kilomètres, au stade vélodrome Buffalo,1927
Agence Meurisse
 
Tentative de record du monde des 50 kilomètres, au stade vélodrome Buffalo,1927
Agence Meurisse

Egg fut demandé en Amérique ; par l'entremise de Victor Breyer, représentant en France de la National Cycling Association d'Amérique, un contrat lui fut offert par John Chapman pour les Six Jours de Madison auxquels il participa en 1912 avec Perchicot.


Pesée à l'arrivée du Tour de France 1914
Agence Rol

 

En 1914, Egg devint à la fois champion de Suisse sur route et sur piste, définitif recordman du monde de l'heure, vainqueur de deux étapes du Tour de France, vainqueur de Paris-Tours.

Après la déclaration de guerre, il retourna en Amérique afin d'y remplir un engagement signé depuis quelques mois ; il y rencontra en vitesse, en poursuite, en américaine, derrière tandems et derrière motos les meilleurs spécialistes du Nouveau Monde.

Puis ce fut, en 1917-18, une glorieuse campagne d'Italie, courant un dimanche sur route, l'autre dimanche sur piste, tantôt en vitesse, tantôt en demi-fond et rencontrant à chaque fois les Girardengo et autres Belloni avec lesquels il s'entrebattit, souvent heureusement. Sur route, il décrocha Milan-Côme-Turin, Milan-Turin, et Milan-Modène.

Il revint en France, reprenant la série de ses victoires sur piste acquises sur les Lapize, Berthet, Sérès, Parent, Henri Pélissier, enlevant le Grand Prix de Pâques vitesse, tout cela avant l'armistice. La paix le trouva plus brillant que jamais, au train comme en vitesse. Sur route, il se distingua encore dans le Circuit des Champs de Bataille, dont il enleva une étape. Mais où l'homme s'était surtout amélioré, c'était en endurance et il le fit bien voir dans les multiples courses de Six Jours auxquelles il prit part. Actuellement, il en est à sa 21e Six Days et il a totalisé huit victoires.

Entre temps, il s'essaya à nouveau sur la route. Ce fut à l'occasion de Paris-Roubaix 1922. Il fit quelques 100 kilomètres, puis il comprit...

Actuellement associé avec son vieux camarade lionceau Hector Tiberghien, il fait - et très bien - dans les articles de sports. La boutique de la rue de Chartres, à Neuilly, est prospère et la dot de Mlle Lucette Egg sera rondelette.

Oscar envisage à présent la succession de Léon Georget. En courant après le Bol d'Or, gagnera-t-il le coquetier ?

Maurice DROIT.

La victoire du 21e Bol d'Or est, effectivement, revenue au champion suisse Oscar Egg, lequel prit la tête depuis la première minute et la conserva jusqu'à la dernière.

Ses innovations techniques

Le bidon léger en aluminium et la pédale de piste

Dans son édition du 22/11/1923, la même revue nous informe sur ses voyages et nous fait connaître les premières innovations mises au point et commercialisées par Oscar Egg :

Aujourd'hui, Oscar Egg s'embarque pour l'Amérique ; il effectuera le voyage en compagnie de la toute jeune et jolie Mistinguett et nous devons à la vérité de dire que ce n'est pas la première fois que les deux étoiles du music-hall et de la piste traversent ensemble la « mare aux harengs ».

Peu de chance cependant pour qu'Oscar accorde aux flûtes spirituelles de la divette une attention exagérée, car il a déjà pas mal de... pain sur la planche. En effet, dès son retour de New-York, il participera aux Six-Jours de Milan, puis retournera à Madison Square pour les Six-Jours de Printemps et reviendra enfin en vitesse pour les Six-Jours du Nélaton-Palace.

Pour la première de ces épreuves, Egg espère faire équipe avec Brocco ou avec Debaets. Qui avait-dit, l'an dernier, qu'il s'était entendu pour toujours avec Van Kempen ? Il s'agissait sans doute d'une Entente Cordiale en miniature.

Puisque nous parlons de Egg, disons qu'il va mettre en vente, dès janvier prochain, deux nouveaux articles qui, espère-t-il, auront un gros succès. D'abord, un bidon en aluminium pour les routiers, objet qui permettra de gagner 90 grammes sur le système actuel des bidons en fer, et qui ne coûtera pas plus cher ; ensuite, une pédale de piste, dont le premier modèle, que nous ayons eu sous les yeux, est un véritable bijou.

Le monsieur qui, ayant adopté la pédale Egg et les poignées Berthet, ne battra pas le record de l'heure, sera un fameux tocquard !


Le dérailleur


Un coureur français, utilisant le dérailleur d'Oscar Egg au Tour de France 1930

 

Le dérailleur était une invention des cyclotouristes, perfectionnée depuis 1895.



En 1937, l?usage du dérailleur a été autorisé pour le Tour de France, avec un seul modèle pour sauvegarder l?égalité des chances.

Le modèle approuvé était le « Super Champion » d'Oscar Egg. C'était un modéle amélioré du premier, "Champion", conçu en 1932 selon le même principe qu'un dérailleur italien "Vittoria", avec un système de tension de la chaîne.

Bientôt, il fut adopté par toutes les grandes marques.

Le vélo-fusée

Oscar Egg, pour maintenir son record vieux de 20 ans, a imaginé un carénage, constitué d'une feuille de métal de forme conique, fixée à l'arrière de la selle, pour favoriser l'écoulement de l'air.

Toujours plus vite

Poulain, champion cycliste de jadis, avait voulu réaliser la bicyclette volante. Il vola d'ailleurs une dizaine de mètres avec son invention, ses grands espoirs et son audace. Et puis on ne parla plus de l'aviette. C'était une démonstration.

Pour aller plus vite avec un vélo roulant à terre, Marcel Berthet avait essayé le vélo-torpille. L'appareil était quelque peu encombrant. L'ancien rival de Berthet, Oscar Egg, vient d'essayer le vélo-fusée. Un dispositif placé derrière le coureur supprime une partie de la résistance qu'offre - trop généreusement - le vent. On gagne ainsi en vitesse. Le vélo-fusée est une conception assez heureuse puisque le résultat cherché est obtenu. On perfectionnera peut-être. La volonté du recordman de l'heure sans entraîneur doit le laisser croire.


Match l'Intran, 25/10/1932

 

Le vélo à pédalage horizontal

 

Oscar Egg fut également un pionnier du vélo en position de pédalage horizontal. Son record de 1913 a tenu 20 ans.

Les vélos de ce type étant alors devenus plus performants que les bicyclettes traditionnelles, l'Union Cycliste Internationale, qui régit les courses et homologue les records, décida de les interdire.

Les motocyclettes d'Oscar Egg

Oscar Egg a commercialisé des motocyclettes, à partir de 1948.

Il a d'abord adapté le moteur Cucciolo de la société italienne Ducati  à l'un de ses vélos. Il utilisa, ensuite, le moteur fabriqué par la société française M. Rocher sous licence de Ducati.



Oscar Egg, qui fut un des premiers à bien gagner sa vie grâce aux courses sur piste, a investi une partie de cet argent dans le cyclisme, notamment en sponsorisant une équipe de coureurs.


La société des cycles Oscar Egg


Avant de prendre sa retraite sportive, en 1926, ainsi que son ami Hector Thibergien, coureur cycliste belge, avec lequel il s'était associé, Oscar Egg avait créé une société pour développer et commercialiser ses nouveaux équipements ainsi que des vélos de course et de ville.






Dans son atelier, il faisait travailler des cyclistes, jeunes et anciens.


L'ancien champion Oscar Egg n'oublie pas les coureurs

Oscar Egg qui, entre autres records, détint pendant vingt ans l'athlétique record de l'heure sans entraîneur, abandonna la piste il y a quelques années pour installer d'abord une bonneterie sportive, puis lancer une marque qui connaît grand succès, et enfin un dérailleur essentiellement pratique et qui, dès son apparition, fut adopté par les plus grandes marques et devint le changement de vitesse essentiellement populaire.

Sa vogue est telle qu'Oscar Egg dut aviser à l'aménagement d'un atelier important et rechercher, pour la main d'oeuvre, de nombreux ouvriers. L'ancien champion décida de s'adresser aux coureurs, aux anciens, pour lesquels l'heure de la retraite approche, aux jeunes auxquels leurs premiers pas dans la carrière ne sauraient permettre de vivre.

Oscar Egg forma sa troupe. De l'ex-stayer Vallée il fit un chef d'atelier averti qui, aux heures de loisir, reprend le vélo pour courir, le dimanche, les courses ouvertes du Vel' d'Hiv'. Il s'y comporte d'ailleurs excellemment. Arthur et Georges Sérès, fils du grand champion de demi-fond, trouvèrent là une occupation lucrative. Et le premier n'interrompra momentanément son travail que pour aller courir, prochainement, une ou deux courses de six jours en Amérique en Compagnie de Levet, un autre jeune de bonne classe.

 

Simonnet, gagnant du Premier Pas Dunlop 1932, est venu grossir la troupe, comme Eugène Dhers, qui fut quatrième de la catégorie des isolés dans le Tour de France de 1924, et Thallinger, joyeux coureur autrichien qui n'abandonne pas l'entraînement pour cela. Le neveu du grand champion routier que fut le regretté François Faber est là, lui aussi. Trois autres anciens professionnels collaborent également, à la diffusion du changement de vitesse qui aura ainsi permis à une dizaine de coureurs de trouver l'occupation qui permet de vivre - en roue libre - en gaîté aussi.

René Bierre.
Match l'Intran, 5/2/1935


Oscar Egg avait établi des magasins à Paris, avenue de la Grande Armée, haut lieu du commerce des cycles dès la fin du siècle précédent, aux numéros 43 et 57 ; on peut toujours y acheter des deux-roues, mais motorisés !


 

Il y vendait également des articles textiles pour le sport qu'il faisait fabriquer.



 

Oscar Egg aurait vendu un million de dérailleurs "Super Champion" de 1932 à 1939. Deux sociétés le construisirent ensuite, sous licence, jusqu'en 1950.

Michel Kohn