Oscar Egg, champion cycliste
suisse, devenu villennois et industriel pour améliorer les vélos
en les faisant "dérailler"
Oscar Egg (1890-1961), célèbre coureur cycliste suisse,
professionnel de 1912 à 1926, vécut à Paris dès 1906.
Devenu entrepreneur en équipements de cyclisme, il fut
le propriétaire de la villa "Les Frênes" du Bois des
Falaises, de 1938 à 1948.
Parmi les quatre coureurs cyclistes villennois, il est le seul
à avoir couru le Tour de France, dont il a gagné deux étapes
juste avant le début de la Première Guerre mondiale. Oscar Egg,
qui a pratiqué différentes disciplines, s?est illustré sur piste
en participant à de nombreuses courses de Six Jours, en Europe
et aux Etats-Unis, et en battant trois fois le record de l?heure
entre 1912 et 1914. Il s?est essayé, également, avec moins de
succès et de plaisir, au demi-fond ; c?est alors qu?il a côtoyé
Léon Didier qui lui a, peut-être, fait connaître Villennes.
Toutefois, Oscar Egg ne faisait pas partie de sa bande d?amis
et, tandis qu?il était déjà devenu un industriel du cyclisme, ce
n?est pas au bord de la Seine qu?il s?est installé mais dans une
grande propriété du Bois des Falaises.
Les mémoires d'Oscar Egg
La première partie de cet article est constituée d?un
témoignage de première main : ses mémoires publiés dans le
magazine Le Miroir des sports en février et mars 1927.
Il y a décrit sa formation de dessinateur technique, ses débuts
dans le cyclisme, sa carrière, notamment sa découverte de
l'Amérique, et ses opinions sur l'univers cycliste qu'il a
connu. L'intérêt de ce long document justifie sa transcription,
presque intégrale.
Quinze
ans de courses dans les deux mondes par Oscar Egg
PREMIER REGARD EN ARRIÈRE
Quand je suivais les cours de l'École Technique de
Zurich, deux sports m'intéressaient particulièrement :
le football et la natation. Je m'y adonnais dès que je
disposais de quelque liberté. C'était en 1906 - j'avais
seize ans - j'étais assez solide, et les sports, en
Suisse, sont pratiqués par tous les jeunes gens. Le
cyclisme aussi me tentait. Mais pour de saines
promenades, qui satisfaisaient mon besoin de mouvement
et de grand air. J'avais cependant vu, étant tout petit,
mon père tourner sur le vélodrome de Hardau, et j'avais
même eu l'occasion d'y rouler une fois moi-même. Mais je
ne pouvais songer, à ce moment, que je serais amené, un
jour, à faire l'écureuil et à défendre ma chance sur les
vélodromes les plus lointains. Il y a plus de vingt ans
de cela, et quand je me reporte à cette époque, où le
sport ne m'apparaissait que comme une distraction utile,
je suis bien obligé de convenir que la vie réserve
d'extraordinaires surprises.
Je voulais être dessinateur, et je le voulais bien. A ma
sortie de l'Ecole Technique, je vins à Paris pour me
perfectionner dans cette profession, et j'ai travaillé
dans plusieurs maisons d'autos avant d'entrer, en 1908,
chez Panhard, où je devais rester trois années. Quand je
quittai cette maison, où j'avais eu l'occasion de me
confirmer dans la profession que j'avais adoptée, je ne
devais plus manier l'équerre, le T et le compas. J'étais
un homme de mécanique ; j'allais devenir un « homme
mécanique ». C'est sous ce titre que je devais être
connu quelques années plus tard, quand l'on annonçait,
dans certaine ville du Midi, ma participation à des
courses cyclistes.
Mes débuts cyclistes
J'avais, en mars 1909, fait l'acquisition d'un vélo. Il
n'avait rien de commun avec ceux que j'ai utilisés
depuis, ou avec ceux que je construis actuellement.
C'était un bon vélocipède, avec des démontables
rassurants. Le dimanche matin, je l'enfourchais pour des
promenades assez longues. La route me séduisait. Mon
admiration pour les coureurs cyclistes allait,
d'ailleurs, aux routiers. Les pistards, que j'allais
voir de temps à autre, m'émerveillaient moins. Un
Trousselier, un Georget, un Vanhouwaert, un Faber, un
Petit-Breton, c'étaient, pour moi, des gaillards
extraordinaires. Un ouvrier belge me raconta un jour que
Vanhouwaert avait gagné 50.000 francs avec sa victoire
dans Bordeaux-Paris 1907. Je les suivis un jour dans le
Paris-Bordeaux de 1909. En les voyant passer dans la
forêt de Saint-Germain, je ne résistai pas au désir de
tenter de « coller », si possible, au peloton. J'avoue
bien humblement que je fus lâché assez vite même par les
traînards et que j'abandonnai définitivement à Beauvais.
J'avais pu mesurer l'effort que fournissaient les
routiers dans une course toujours très disputée, et
j'étais émerveillé. Il était sérieux. Il me tenta tout
de même. Je ne pensais pas pouvoir un jour produire un
effort semblable ; néanmoins, je me dis qu'en
m'entraînant quelque peu, je diminuerai sans doute
l'écart qui me séparait de ces grands routiers que
j'admirais.
Je m'entraînai donc, et sévèrement, et résolus à la
première occasion de m'engager dans une épreuve. Je
tombai sur une course réservée aux débutants : le
Premier Pas Labor. Je partis, confiant, baissai la tête
pour « foncer » et... me retrouvai sur la route, mais
sous mon vélo, quelque peu mis à mal. J'ai appris,
depuis, à pousser en regardant devant moi. On répara ma
bicyclette, et, le dimanche suivant, je me retrouvai en
course sur un parcours Sèvres-Neauphle-le-Château.
Malheureusement, j'avais eu la fâcheuse idée, avant de
me rendre au départ, de prendre un bain et de ne manger
que très légèrement. Je n'avais pas la moindre idée de
ce qu'était l'entraînement. Je ne compris mon erreur que
lorsque je pus me rendre compte que j'avais les jambes
en flanelle. Je poussais dans l'ouate et dus abandonner.
J'ai appris, depuis, à ne désirer un bain que lorsque
mes courses étaient terminées. J'ai appris aussi à
manger normalement, comme le demandait mon estomac. Les
jeunes coureurs qui liront ces lignes pourront faire
leur profit de cette constatation que je dus faire à mes
dépens. Je puis leur assurer qu'ils se trouveront bien
d'un repas bien compris avant d'aller courir leur chance
dans une épreuve qui demande un certain effort.
Ayant pris goût à la course, j'étais décidé à courir
d'autres épreuves pour essayer de me classer à
l'arrivée. Oh ! je n'envisageais pas la possibilité de
terminer en vainqueur. Je considérais cette chose comme
tenant un peu du fantastique. Me classer à l'arrivée, me
suffisait, même si ce classement ne m'apportait pas la
gloire. Les débuts des sportifs doivent être modestes.
Ils le sont généralement.
Le dimanche suivant, un Asnières-Viarmes était annoncé.
Je m'engageai. J'ai poussé comme un sourd ; je me suis
vu près de l'arrivée, avec trois coureurs qui n'en
mettaient pas moins que moi. Je les eus. J'avais gagné.
Je me souviendrai longtemps de la joie que j'éprouvai à
me dire que j'étais premier. De l'étonnement aussi, car
jamais je n'aurais osé penser que je pouvais être
premier d'une course dont je m'exagérais, sans doute, à
cette époque, l'exacte importance. On me félicitait. Le
président du Vélo-Club de Levallois me demanda de faire
partie de son club et m'assura qu'un vélo de course me
serait prêté. C'était la gloire. Je vous assure que je
ne pensais pas à l'argent. Ma quatrième course me valut,
pour une place de second, à un pneu, sur
Champigny-Nangis et retour, le vélo rêvé. J'étais équipé
; je commençais à savoir courir ; j'adorais la course
pour les émotions qu'elle donne ; je sentais que je
pourrais faire mieux que ce que j'avais fait. Je
devins indépendant.
Je courus un championnat omni-sports pour m'assurer que
je nageais bien, me tirais pas mal et qu'un 100 mètres,
en course à pied, ne me faisait pas peur. Je fus classé
second. Je m'étais « étoffé ». Je me sentais fort.
J'avais confiance en moi.
Je courus de nombreuses courses comme indépendant. Je
connus la guigne, toutes les guignes. Je fus, cependant,
assez souvent vainqueur, et parce que, pendant
l'épreuve, je « fonçais » de mon mieux et que je
n'hésitais pas à prendre la tête du peloton, je fus
appelé à cette époque le « Faber des Indépendants ». Et
j'étais fier, je vous le jure, de ce titre, le plus beau
qui puisse m'être donné, car je vous dirai, par la
suite, quelle profonde admiration j'ai toujours eue pour
le grand François, qui fut, à mon avis, l'un des
meilleurs routiers que j'ai côtoyés et - de cela je suis
sûr - le meilleur camarade qu'on puisse rencontrer.
Après avoir battu le record mondial des 50 kilomètres en
1 h. 14' 47'' 2/5, je fus incorporé dans le service des
courses de la maison Peugeot. J'étais devenu, pour ma
plus grande joie, un « lionceau ».
C'était en novembre 1911. J'étais professionnel.
MON RECORD DE L'HEURE
Je ne vous ferai pas l'historique du record de l'heure
sans entraîneur. Lorsque je décidai d'essayer de le
battre, j'étais persuadé que ceux qui, jusqu'ici,
l'avaient détenu étaient des hommes qui avaient dû
s'entraîner sérieusement pour réussir. La liste n'en
était pas très longue, mais on se souvenait des noms
qu'elle portait : Henri Desgranges, le directeur de l'Auto,
qui, en 1893, « sur son vélocipède » - j'ai
retrouvé ce mot dans un vieux journal qui annonçait la
performance - avait fait 35 km. 325 ; Jules Dubois, 38
km. 220 ; le « brillant Belge » Maurice, 39 km. 240 ;
l'Américain Hamilton, qui, le premier, dépassa les 40
kilomètres, avec 40 km. 781 : Petit-Breton, 41 km. 110 ;
Marcel Berthet, 41 km. 520, le 20 juin 1907.
J'avais été émerveillé par cet exploit de Marcel
Berthet. Et j'étais loin de penser, moi qui, à cette
époque, n'avais pas encore une bicyclette, que
l'intention me viendrait, un jour, de tenter de faire
mieux. Le record resta bien tranquille, personne n'osant
s'y attaquer, tant il paraissait impossible de
l'augmenter. On avait, en 1898, discuté longuement sur
le record d'Hamilton. On avait émis quelques doutes. Le
bruit avait couru qu'il avait été employé, au cours de
la tentative, des projecteurs qui éclairaient la piste
en avant du coureur en lui indiquant la vitesse exacte
qu'il fournissait. Hypothèse plausible, d'ailleurs, sur
une piste établie en circonférence parfaite, comme il en
existe quelques-unes aux Etats-Unis. Toujours est-il que
le nom d'Hamilton figure au palmarès du record de
l'heure. Il est donc bien le premier recordman de
l'heure ayant dépassé les 40 kilomètres. Le Français
René Pottier fut, lui, le premier Français dépassant
également cette distance. Il fit, au cours d'une
première tentative, 40 km. 080, puis 40 km. 340.
L'Américain n'était pas battu et le record restait au
Nouveau Monde. Petit-Breton, à son tour, se mit en piste
pour atteindre 40 km. 342 - 2 mètres de mieux. Mais
l'énergique coureur renouvela sa tentative : il dépassa,
lui, les 41 kilomètres, par 110 mètres, le 24 août 1905.
En 1907, Marcel Berthet, qui avait montré, sur piste,
des qualités remarquables, pensa qu'il pouvait
s'attaquer à ce record, que différentes tentatives
avaient laissé debout. Le 20 juin 1907, il le battait
superbement, couvrant dans l'heure 41 km. 520. Personne
n'essaya de le lui disputer.
En 1912, j'avais dû abandonner le Tour de France à
Grenoble. J'étais souffrant. A cette époque, je
possédais, comme indépendant, un assez joli palmarès.
Comme professionnel, j'avais été troisième de
Paris-Bruxelles, septième de Paris-Tours ; j'avais gagné
le Circuit de Cosnes. Mais je ne pouvais obtenir aucun
engagement sur piste. Or, mes courses sur route ne
m'avaient pas rapporté grand'chose ; je pourrai presque
dire qu'elles ne m'avaient rien rapporté. Et je
commençais à regretter d'avoir quitté la maison Panhard
pour devenir cycliste professionnel. Il me fallait
tenter quelque chose pour affirmer que j'étais capable
de tenir ma place dans une compétition sur piste. Je
pensais au record de l'heure. Une des rares personnes
qui m'encouragèrent dans ce projet fut Petit-Breton, qui
me prédit un succès certain. Alibert, mon directeur
sportif, était moins rassurant. Il me disait :
- Vous êtes, sans doute, un des plus qualifiés pour
réussir cette tentative ; mais vous vous attaquez à une
chose bien difficile. Ce record est arrivé à son
maximum. Celui qui le battra n'y pourra ajouter que
quelques mètres : 20, 30, 40 peut-être. Tenez-vous à ces
chiffres si vous voulez réussir.
Je savais quel effort la tentative demandait, quelle
volonté elle exigeait. Et je n'avais que vingt-deux ans.
Mais Marcel avait établi son record à vingt ans. Je
résolus d'essayer. Et je m'entraînai. Sur route, sur
piste, je travaillai longuement, pour m'assurer que je
pouvais pousser sans arrêt pendant un temps qui,
insensiblement, se rapprochait de cette heure pendant
laquelle j'avais décidé de tourner.
EGG
AU DEPART DU RECORD DE L'HEURE
Le 22 juillet 1912, bien au point, sur cette
piste de Buffalo qui avait vu tomber
successivement le fameux record, je poussai de
toutes mes forces, et quand l'heure se termina,
alors que, depuis les premiers tours, on me
signalait que j'étais en dedans des temps de
Berthet, j'avais parcouru 42 km. 122. Je m'étais
borné, pendant la première demi-heure, à rouler
à l'allure de 41 km. 500, comme me l'avait
conseillé Alibert. Mais, plein de ressources
après ce temps, j'accélérai, pour atteindre
l'allure de 43 km. 500 pendant la seconde
demi-heure.
Je
pus ainsi battre le record de 600 mètres. J'ai
connu, avec ce chiffre, une des plus grandes
joies de ma vie sportive. Je devais en connaître
d'autres, pour la même cause : je ne crois pas
qu'elles aient été aussi complètes. Le beau
lutteur qu'était Berthet ne s'avoua pas vaincu.
Un an plus tard, le 7 juillet 1913, il porta le
record à 42 km. 741. Mais je tenais au record.
Quatorze jours après, le 21 juillet, je le
repris, en dépassant largement les 43
kilomètres. J'avais parcouru 884 mètres de plus
que Berthet et je me dis, à ce moment, après le
réel effort que j'avais dû faire, que je
pourrais me reposer sur mes lauriers.
Mais
Berthet était un coriace. Il était aussi
passionné que moi pour le record. Il s'était
juré de le reprendre, et avant la fin de la
saison. Et il y réussit - et très bien même. Le
18 septembre 1913, il éleva le record à 48 km.
775. Nous nous rapprochions de cette distance,
que l'on estimait fabuleuse, de 44 kilomètres.
Mais nous allions connaître l'hiver. Je ne
pouvais espérer, dans des conditions de
température difficiles, me remettre en piste. Il
fallait attendre une occasion favorable,
c'est-à-dire une température assez douce, une
journée sans vent. C'était ajourner la tentative
aux beaux jours de l'année suivante. Dès que la
chaleur fut venue, je me remis en piste. C'était
le 18 juin 1914. Au cours de la première
demi-heure, j'avais pédalé en souplesse. Dès le
commencement de la seconde, je commençais à «
m'agricher » sérieusement. Vers le dernier quart
d'heure je fis des efforts désespérés pour
conserver mon avance. Mais, quand vinrent les
dernières minutes, la certitude d'avoir battu le
record - sauf crevaison - me donna des ailes ;
et c'est à plus de 45 kilomètres à l'heure que
je fournis les derniers tours. J'avais couvert
44 km. 247.
Et le joyeux Bazin, qui
chronométra toutes mes tentatives, annonça ce chiffre
avec une satisfaction dont je lui sus gré. La guerre
vint, qui mit fin au duel engagé avec Berthet pour ce
record. Il est vieux de plus de douze ans. Marcel a
abandonné la piste. Et « Oscar », comme tout le
monde m'appelle, en a fait autant. Le record est là, à
la disposition de celui qui voudra le prendre. Mais je
veux, après avoir lutté contre cet excellent camarade
que fut toujours Marcel Berthet, dire toute l'admiration
que j'ai toujours eue pour son magnifique courage, sa
ténacité extraordinaire et sa parfaite courtoisie. Nos
noms ont été rapprochés si souvent au cours de cette
lutte qui dura sept ans pour un record dont nous ne
voulions ni l'un ni l'autre être dépossédés, que nous
avons gardé l'un pour l'autre une sympathie que le temps
a fortifiée. Un autre nom viendra s'ajouter, un jour, à
cette histoire du record de l'heure, que commença un
sportif, qui l'est demeuré en dépit du temps. Nous
serons les premiers à applaudir son record. Un regret
nous restera : celui de ne pas avoir auprès de nous l'un
de ceux qui illustrèrent cette histoire et qui fut l'un
des plus grands coureurs et le plus loyal des
adversaires : Petit-Breton.
MES SIX JOURS
Ma première course de Six Jours date de 1912. Je la
courus à New-York. Le record de l'heure, que j'avais
battu en juillet, devait, comme je le supposais avant de
travailler à sa conquête, m'aider à trouver les
engagements que je voyais m'échapper avant d'avoir
prouvé que la piste ne m'effravait pas et que je pouvais
y faire bonne figure. L'appui de M. Victor Breyer ne me
servit pas moins auprès de ce manager hardi qu'est
Chapman. J'ai couru, depuis, vingt-sept autres courses
de Six Jours, à New-York, à Paris, à Gand et à Berlin.
De toutes ces courses je garde un excellent souvenir et
je reste douloureusement impressionné lorsque je lis des
commentaires qui tendent, en ne les discutant pas
toujours de façon très exacte, à les discréditer ou à
les nier. Il ne me vient qu'un seul reproche à l'esprit
et il concerne les derniers Six Jours disputés, où l'on
put voir des coureurs prendre trop facilement des tours
à leurs adversaires. La façon de courir des concurrents,
que je n'approuve nullement, est la cause de cette
facilité qu'ont eue certains d'entre eux à se dédoubler
ou à prendre un tour au peloton. Mais, ce reproche
exprimé, qu'il me soit permis de dire qu'une course de
Six Jours, quoi qu'on en ait dit, est parfaitement
sportive ! J'estime même qu'à certains points de vue,
elle présente plus d'exactitude sportive qu'une épreuve
sur route, qui laisse un coureur à la merci d'une
crevaison ou de tout autre accident de machine qui le
contraint à s'arrêter. Les exemples sont nombreux de
routiers qui virent la victoire leur échapper à cause
d'un de ces accidents qui vient annihiler leur chance.
Le coureur de Six Jours doit, par ailleurs, posséder des
qualités réelles, dont l'ensemble le place au-dessus de
certains de ses adversaires quand il les possède au plus
haut point. Il lui faut être vite, endurant et
persévérant. Il lui faut aussi être puissant pour
démarrer opportunément. Ceux qui rassemblaient ces
qualités ont été les grands triomphateurs de ces sortes
d'épreuves. Le roi des Six Jours fut incontestablement
Alfred Goullet, qui gagna douze courses - presque la
moitié de celles qu'il disputa. Walter Rutt ne devait
pas lui être de beaucoup inférieur, et le regretté
Hourlier, qui n'en courut qu'une en 1914, à Paris, et la
gagna, eut vraisemblablement été un excellent six
dayman. Ces trois noms ne suffisent-ils pas à
prouver que la classe est nécessaire dans une épreuve de
Six Jours ? Et le caractère sportif de l'épreuve peut-il
être nié lorsque les meilleurs sprinters y affirmèrent
leur réelle supériorité ? Certes, j'ai passé de bien
mauvais moments au cours des vingt-huit courses de Six
Jours que j'ai disputées ; j'ai connu des
défaillances pénibles, des heures douloureuses, que des
chutes trop nombreuses auraient pu rendre
décourageantes. Mais que tout cela était vite oublié,
quand, l'épreuve terminée, on faisait le tour d'honneur
du vainqueur ! Et quelle belle satisfaction morale reste
à tous ceux qui ont pu surmonter défaillances et
découragements, qui ont lutté jusqu'au bout pour
terminer ... et en bonne place ! Les Six Jours les plus
pénibles sont, de l'avis de tous ceux qui eurent
l'occasion d'en courir plusieurs, les Six Jours de
New-York. Ils sont aussi - et c'est une compensation
appréciée - les plus rémunérateurs. Dès que le départ
est donné, la bagarre commence. Et quelle bagarre ! Les
quinze équipes, sur une piste de 150 mètres, foncent à
toute allure. Dès qu'une chasse commence, il faut
pousser, avoir l'½il à tout, ne pas songer au danger et
aux chasses qui vont suivre. Les sprints, sur cette
piste de 150 mètres, imposent un effort prodigieux et
exigent une adresse dont les spectateurs ne se rendent
qu'imparfaitement compte. Celui qui emmène le peloton
doit partir de loin s'il ne veut pas être débordé. Le
concurrent en huitième ou dixième position doit produire
un effort considérable pour se classer. Les sprints
terminés, il faut être prêt à répondre aux chasses,
provoquées généralement par ceux qui n'ont guère de
chances dans les sprints et qui tentent de prendre le
tour qui les amènera en tête du classement. S'ils ne
sont pas vite, ils sont résistants et peuvent prolonger
leur effort. Il faut les suivre. Travail incessant,
vigilance constante. Et lorsque, les Six Jours se
terminant, la dernière heure arrive, le travail demandé
devient fantastique. Un sprint tous les dix tours,
c'est-à-dire, dans l'heure, vingt-cinq ou vingt-six
sprints, toutes les deux minutes environ. L'acharnement
de tous : des premiers pour défendre leur classement ;
de ceux qui les suivent immédiatement pour tenter de
gagner les quelques points qui leur assureraient la
victoire ; de ceux, enfin, qui, relégués aux derniers
rangs, ne voient la victoire possible que par la prise
d'un tour ou n'espèrent avancer dans le classement qu'en
se dédoublant. Lorsqu'en 1921 je faisais équipe avec Van
Kempen dans les Six Jours de New-York, nous avons
fourni, au cours de cette dernière heure, un effort qui
nous valut, sur les vingt-trois sprints imposés, quinze
places de premier : onze à Egg, quatre à Van Kempen.
Brocco-Coburn gagnaient six sprints, et Rutt-Lorentz
deux. Les places de premiers comptaient 72 points ;
celles de seconds, 5 points. On comprend l'intérêt,
quand le classement de l'épreuve se fait aux points,
aucune équipe n'ayant pris l'avantage, de cette place de
premier. Et on s'explique qu'elle soit disputée
sévèrement. Cette dernière heure est bien une heure de
fièvre, d'efforts, sous les excitations d'un public
littéralement enthousiasmé et qui manifeste bruyamment
son enthousiasme. Il paie cher, d'ailleurs, pour
manifester à son aise : la moindre place, pour cette
dernière heure des Six Jours, coûte 5 dollars, ce qui,
même en Amérique, est déjà une somme.
Mais particulièrement compréhensif, ce public. S'il
demande beaucoup aux coureurs aux heures d'affluence, il
s'explique fort bien que ces derniers se reposent. De 3
heures du matin à 3 heures de l'après-midi, c'est, pour
les coureurs, la promenade. Les spectateurs les amusent,
les interpellent, leur racontent des histoires, ou
écoutent, au passage des concurrents, le récit qui leur
est fait des « blagues » réalisées au quartier des
coureurs. Le siphon joue un rôle important aux heures
monotones. Man½uvré par les coureurs, il réveille
subitement les spectateurs endormis et qui ont, ma foi,
un réveil joyeux. Le soigneur qui dort voit également
son rêve interrompu : deux allumettes, fixées
délicatement sur son nez, sont allumées avec discrétion.
L'effet est certain et la scène toujours amusante pour
ceux qui en sont les témoins. On fait mieux : un
spectateur de la pelouse endormi est réveillé par des
seaux d'eau, et il s'aperçoit qu'il est entouré de feu.
Pendant deux minutes, il court sur la pelouse avant de
comprendre que c'est une « swanze », comme dirait
Stockelynck.
Il faut rire pour échapper à l'ennui. Les soigneurs
s'habillent en musiciens et s'installent sur la pelouse,
tirant de leurs instruments les sons les plus étranges.
On chante, on danse, avec grand bruit ; des clowns
improvisés font mille grimaces. Il faut rire. Ajoutons
qu'aux heures d'affluence on a pu entendre, répandu par
plus de trente haut-parleurs, un morceau chanté par
Caruso. Et, alors que tout le monde s'imaginait que
c'était la T. S. F. qui dispensait à tous cette audition
du grand ténor, on découvrait que c'était un simple
disque de gramophone qui était utilisé judicieusement.
Car les Américains sont ingénieux et pratiques. Leur
ingéniosité et l'enthousiasme de la foule leur valent
des recettes fantastiques et qui ont atteint 200.000
dollars. Les prix affectés aux coureurs sont,
d'ailleurs, appréciables. Le moins que puisse toucher un
coureur américain, c'est 50 dollars par jour. Les
coureurs européens débutent à 75 dollars. Quand ils ont
acquis quelque notoriété, le taux s'élève rapidement, et
tous les frais de transport et de séjour sont
remboursés. Et ceci me remet en mémoire deux anecdotes
assez amusantes : Giorgetti-Belloni, qui ont encore
couru, en décembre dernier, les Six Jours de New-York,
avaient été engagés, il y a quelques années, pour courir
à Chicago. Ils arrivent à New-York si tardivement qu'ils
ne peuvent, ni par chemin de fer ni par avion, atteindre
Chicago pour se présenter au départ. Ils en furent pour
leurs frais, et Chapman, depuis cette aventure, exige
que les coureurs européens engagés dans des épreuves de
six jours soient arrivés en Amérique huit jours avant le
départ des épreuves. Dewolff-Stockelynck, qui avaient
été engagés pour courir à New-York et qui s'en
référaient, pour leur départ, aux heures qu'ils
connaissaient, arrivèrent à Paris pour s'entendre dire
que le train de Cherbourg, qui correspondait jadis avec
le départ du paquebot, était parti depuis une
demi-heure. Atterrés, ils demandèrent un avion au
Bourget pour les transporter. Brouillard, mauvais temps,
les oiseaux ne sortaient pas. Les deux coureurs prirent
le train suivant, à tout hasard. Et ils avouèrent avoir
connu dans ce train une des plus grandes joies de leur
vie, à la découverte qu'ils firent, en cours de route,
que le paquebot ne partait que le lendemain. Ils avaient
eu chaud ! Goullet, dont j'ai dit l'exceptionnelle
qualité, fut le coureur le mieux payé à New-York : il
touchait 1.000 dollars par jour.
Mac Namara est, à l'heure actuelle, l'as de la
spécialité. Il a couru une cinquantaine de courses de
Six Jours et en a gagné onze. Il est aussi l'un des plus
vieux coureurs du monde. Il doit avoir quarante-deux
ans. Il fut un sprinter remarquable et courut,
toutefois, dans les différentes spécialités. Son nom
parut, en vedette, à côté de ceux de Kramer, the old
master ; de Goullet, the australian marvel ;
de Bob Spears, the human torpedo ; d'Arthur
Spencer et de son frère, Willie Spencer, qui gagna une
course de Six Jours à San Francisco, en faisant équipe
avec Magin, et qui, revenu au sprint, vient de montrer
une excellente forme au Vélodrome d'Hiver. Mac Namara, the
iron man, courra encore quelques Six Jours et les
Parisiens le verront dans son travail d'écureuil, qu'il
connaît si bien que tous les coureurs qui furent ses
adversaires reconnaissent qu'il n'en est pas de plus
habiles sur les planchers et ciments, les grandes et
petites pistes, les courtes et longues épreuves. On
réalise des prodiges, à New-York, pour l'installation de
la piste. Le jeudi soir qui précède le départ de la
course de Six Jours, un combat de boxe est organisé qui
rassemble sur le ring deux vedettes connues. On en
profite pour présenter, sur ce même ring, les coureurs
qui vont prendre part à la grande épreuve cycliste. Le
combat terminé, les menuisiers arrivent - ils sont une
centaine - et, en douze heures, ils suppriment ring et
banquettes et installent la piste, sur laquelle les
coureurs peuvent immédiatement s'entraîner.
La course des Six Jours à New-York se termine le samedi
soir, à 11 heures. Le lundi matin, quand les coureurs
arrivent au vélodrome pour passer à la caisse, il n'y a
plus de piste, bien et l'on se surprend à se demander si
c'est bien là que l'on a pu rouler pendant cent
quarante-quatre longues heures.
J'ai gagné mes premiers Six Jours, à New-York, en 1916,
avec Dupuy. Deux heures avant la fin de l'épreuve, à la
suite d'une chasse déclenchée par une prime de 50
dollars, nous réussîmes à doubler le lot. J'avais déjà
gagné, en 1915, à Chicago, avec Verri, et c'était ma
première victoire dans la spécialité ; nous avions
établi le record de l'épreuve : 4.510 kilomètres. Il est
toujours debout.
EGG (à g.) ET SERES VAINQUEURS
DES SIX JOURS DE PARIS EN MARS 1921
A Paris, en 1921, avec Sérès,
et, en 1923, avec Van Kempen, j'eus deux
équipiers magnifiques, qui me permirent de
connaître le succès dans un genre d'épreuves que
j'avais découvert neuf années plus tôt, en
Amérique, et que j'ai surtout disputées dans ce
pays. Sur vingt-huit courses de Six Jours
courues et terminées, dix-sept eurent pour
théâtre New-York, cinq Chicago, quatre Paris,
une Gand et une Berlin. J'en ai gagné huit.
Goullet et Mac Namara ont fait mieux.
LES COURSES EN AMÉRIQUE
Autres pays, autres m½urs ! Quand je
débarquai pour la première fois en Amérique, où j'allais
faire mes débuts dans une course de Six Jours, j'avais
vingt-deux ans. On imagine facilement l'étonnement d'un
jeune homme qui arrive dans un « monde nouveau » que son
imagination, autant que les récits de ceux qui le
visitèrent déjà, dote, à l'avance, d'un aspect
extraordinaire.
Tout m'y surprenait, les choses et
les gens. Les locomotives des trains, trois fois plus
grandes que les nôtres : les buildings de trente et
quarante étages, qui apparaissent si grands par
comparaison qu'on se demande comment ils tiennent ;
l'allure des Américains, de grands gaillards, à la
figure impénétrable, qui paraissent toujours songer à
une affaire en cours de réalisation.
Nous étions attendus au débarquement
par Cobum, qui nous emmena - Brocco, Berthet, Paul
Suter, Frank Suter, l'aîné d'une glorieuse famille
tragiquement disparu, et moi - à Newark. Un petit hôtel
avait été retenu pour nous : nous devions y passer huit
jours. Nous arrivions, en effet, le dimanche de la
semaine qui précédait le départ de la course. Il était 2
heures de l'après-midi et nous mourions de faim. Le
premier contact avec la cuisine américaine nous parut
moins dur, du fait que nous avions grande envie de
manger. Mais nous ne pouvions nous empêcher de constater
que la cuisine européenne était préférable. Nous
reconnûmes, d'ailleurs, assez vite que, si la cuisine
américaine était moins savoureuse, elle était aussi plus
digestive ; tous, nous arrivâmes facilement à nous
habituer à cette alimentation très saine. Nous ne
perdîmes pas de temps. Aussitôt restaurés, nous montâmes
nos vélos de piste pour la route.
LA CARICATURE AMÉRICAINE
ET LES COURSES D'OSCAR EGG SUR LES CYCLISTES
D'OUTRE-ATLANTIQUE
L'imprésario Chapman offre un ½uf (en anglais :
egg) au public américain,
qui met en doute la fraîcheur de cet ½uf, en
prétendant l'avoir déjà vu.
Egg lancé à la poursuite du père Temps.
Il a battu les records de 1 et 2 milles et
continue.
Le lendemain matin, en effet, après
un petit déjeuner abondant - fruits, ½ufs, jambon, café
au lait : un menu dont il faut garder la formule -
nous étions à l'entraînement sur la route. Entraînement
assez sévère et suffisant pour un lendemain de voyage :
50 kilomètres à bonne allure. Retour à l'hôtel ; massage
par deux masseurs, l'un massant le corps, l'autre les
jambes. Ensuite, repos. Repos en musique, le piano
mécanique, très en vogue aux États-Unis, étant à notre
disposition et ne demandant pas de connaissances
musicales spéciales. L'après-midi, nouvelle séance sur
la route ; puis un quart d'heure de « home-trainer ».
Nouveau massage. Nous savions que nous n'étions pas là
pour nous amuser, mais nous ne pouvions nous empêcher de
penser que le proverbe « Le temps, c'est de l'argent »
était bien anglo-saxon. Dîner, causerie générale et, à 9
heures, au lit. Car il nous était formellement interdit
de sortir. Et, pour être bien sûrs que nous ne serions
pas amenés à enfreindre cette consigne, les soigneurs ne
nous quittaient qu'après s'être assurés que nous
dormions - pour de bon.
Il faut reconnaître que toutes les précautions prises,
que tout le travail imposé, dénotent, chez les
Américains, une conception parfaite de ce que doit être
l'entraînement d'un sportif. Et il est logique de penser
que les coureurs et athlètes américains trouvent dans
ces méthodes, qui permettent de mettre en exacte valeur
leurs réelles qualités physiques, les raisons d'une
supériorité qui s'est affirmée bien souvent dans les
grandes compétitions.
Au mois d'août 1914, Mac Farland, alors manager des
pistes américaines, m'engagea pour six réunions et une
course de Six Jours à New-York. Aucun souci en dehors de
celui de bien courir. Tous frais payés, en effet, vovage
et pension, et soigneur à ma disposition. Car tous les
coureurs de classe, en Amérique, ont un soigneur, qui ne
les quitte pas d'une semelle et qui pendant les courses
se démène comme un beau diable et ne quitte pas de l'½il
son coureur. Il masse, préside à l'entraînement sur
piste, assez rude. Car on ne sprinte que bien rarement
pendant les périodes d'entraînement. C'est un procédé
qui a donné d'assez bons résultats pour que certains
coureurs aient été amenés en France à l'adopter. Le
soigneur s'occupe du matériel, le surveille, le répare ;
il a le souci du vêtement de son coureur ; il conseille,
il encourage. Il est de toutes les minutes de la vie de
son poulain. Il devient indispensable. Et l'on peut dire
que le soigneur a vu son rôle si exactement compris et
apprécié, que les amateurs eux-mêmes ont leur « trainer
» chez eux. C'est un débutant, un apprenti, mais c'est
toujours un homme extrêmement dévoué. Le dévouement des
soigneurs pour leur patron est légendaire.
C'est que le coureur américain fait très sérieusement
son métier. Les professionnels ne sont pas en grand
nombre. Mais on peut dire que, parmi eux, il n'est pas
de non-valeurs. Quand je courais en Amérique, il y
avait, au maximum, dans tous les États-Unis, une
cinquantaine de coureurs professionnels. Et tous
s'entraînaient, comme je viens de le dire, sévèrement,
se privant de tous plaisirs. Ils suivent l'exemple de
façon moins rigoureuse, tout de même, de celui qui fut
le champion incontesté : Kramer. Ils ne songent qu'à
leur travail.
Leur camaraderie est parfaite ; les relations entre
coureurs sont courtoises et charmantes. Mais, en course,
il n'est plus d'amis. Chacun court pour gagner. Chacun
donne le maximum d'efforts. Les coureurs connaissent
tous admirablement leur métier, sont des tacticiens
consommés, d'une adresse inégalable. Les Français ont
pu, d'ailleurs, apprécier leurs qualités chaque fois
qu'ils sont venus courir sur nos pistes. Et, parce
qu'ils sont admirablement doués sous tous les rapports,
on peut dire que tous ceux qui ont eu l'occasion de
courir avec eux pendant une saison en ont beaucoup plus
appris qu'en dix années de courses en Europe. L'école
américaine est, en sport, une excellente école.
Il faut, au surplus, que l'acteur qu'est le coureur
satisfasse le spectateur. Or, le spectateur, j'ai déjà
eu l'occasion de le dire en parlant des courses de Six
Jours, est très exigeant. Il s'enthousiasme vite, le
manifeste hautement parce qu'il sait apprécier. Mais il
apprécie d'autant mieux un coureur que ce coureur se
multiplie, court dans toutes les spécialités et court
bien. Le public ne pardonne pas les faiblesses et
n'admet pas les défaillances. Il est, en somme, assez
logique : il paie, il en veut pour son argent. Le
coureur est honnête en faisant de son mieux pour qu'il
se retire content. En étant honnête, en faisant ce qu'il
doit faire pour gagner, en luttant comme son métier et
aussi sa satisfaction personnelle l'exigent, il contente
le public, qui, par l'intermédiaire des organisateurs,
le paie. C'est une vérité qu'on ne saurait trop répéter
et dont les coureurs doivent se pénétrer.
J'ai vu de grands coureurs, comme Kramer, se faire huer
par la foule pour avoir abandonné une course de 5 milles
qui était menée à plus de 50 kilomètres à l'heure.
Engagé dans l'épreuve, il devait la terminer et tout
faire pour la gagner. Un coureur qui, se voyant battu
irrémédiablement, se retire avant la ligne d'arrivée, en
prend, comme l'on dit, pour son grade. Il n'est pas
tenté de recommencer.
J'ai connu, pour ma part, la grande popularité et
l'indifférence. En 1914 et 1915, tenant une forme
parfaite, je puis prétendre n'avoir fait que de bonnes
courses. Ma popularité était considérable et j'étais
l'objet d'ovations indescriptibles. Mais. en 1916, pour
je ne sais quelle raison, je fus long à retrouver ma
forme et je ne brillais guère dans les épreuves que je
disputais. Ma popularité, si grande et si rapidement
acquise, partit aussi vite, et l'indifférence de la
foule fut complète. Reconnaissons-le : le spectateur
américain des vélodromes est juste.
Je ne vous dirai pas que tout cela ne s'accompagne pas,
chez les coureurs, de quelques « trucs », dont le public
ne peut se rendre compte. Toutes les ficelles du métier
sont connues des coureurs américains. Il en est une qui
est amusante - et qui ne fait de mal à personne. Brocco
me la fit expérimenter dans les Six Jours. La piste de
l'ancien Madison Square Garden était une cuvette assez
dangereuse. Les chutes y étaient nombreuses. Tous les
coureurs qui y parurent, en furent victimes. J'avais,
toutefois, constaté que les chutes ne produisaient pas
les mêmes effets suivant qu'elles survenaient à un
coureur américain ou à un coureur européen. Le premier
restait, après une chute, étendu sans connaissance ; le
second se relevait, s'assurait qu'il n'avait rien de
cassé et remontait immédiatement sur sa bicyclette. Cela
avait été mon cas. Plusieurs chutes m'avaient laissé
sans une égratignure, et j'étais reparti aussitôt. Je
m'étonnai que les coureurs américains fussent si longs à
m'imiter quand le même accident leur survenait. Brocco
vint faire cesser ma perplexité.
- Si tu tombes encore, ne te relève pas tout de suite,
me dit-il. Attends qu'on vienne te ramasser, et ne bouge
pas en attendant. On t'emportera dans ta cabine sur un
brancard. Un quart d'heure après, tu remonteras en vélo.
Tu jugeras de l'effet produit.
Quelques heures après, je faisais un nouveau plongeon.
Je me rendis compte que, cette fois encore, je m'en
tirerai sans mal, mais j'attendis. Et cela se passa
comme Brocco l'avait prédit. On me fit une ovation.
J'avais compris. Le coureur cycliste devait faire comme
le boxeur qui, knock-down, attend la neuvième seconde
pour... souffler et se relever.
En dehors des Six Jours, j'ai disputé sur les pistes des
États-Unis des épreuves de tous genres : en ligne, en
américaine, en tandems, derrière motos, et des handicaps
et des matches. Équipier de Kramer en tandem, nous fûmes
souvent vainqueurs. Nous avons battu notamment en match
les frères Spencer, qui formaient une redoutable équipe.
On ne chômait pas. J'ai eu l'occasion de battre Goullet,
Mac Namara, d'autres encore.
Mais je vous fixerai l'intérêt et l'imprévu des épreuves
que nous disputions : on vit un jour, parmi les coureurs
battus dans les séries d'une course scratch : Kramer,
Grenda, Kaiser, Madden, Piani, Hutt et Bailey. Comme
hécatombe de favoris, cela peut, on le voit, passer pour
un record.
Je fus adjoint un jour à Kramer pour disputer une
américaine sur 100 kilomètres, avec vingt sprints.
J'avais, jusque-là, fait équipe avec Dupuy ou Verri. En
apprenant que je courais avec Kramer, Dupuy me dit :
- Tu ne veux plus de moi. Je suis trop tocquard ?
- Pas du tout, lui répondis-je. C'est Chapman qui a
décidé.
Alors, Verri, se tournant vers Dupuy :
- Toi, tu t'occuperas de Kramer, moi de Egg.
Et nous les aurons dans les sprints. Et la course
commença. Au premier sprint, 50 mètres avant le poteau,
une chute des trois coureurs qui me précédaient me fit
faire un panache complet, et j'entrais, en fâcheuse
posture, dans une loge, heureusement inoccupée. Quelques
secondes de knock-out, puis je reprends mes esprits,
m'assure qu'il n'y a pas grand mal. Je me relève, fais
un pas, mais trébuche. Un obstacle sérieux se
présentait. Au fond de la loge, Verri demeurait étalé,
et je dus m'employer à le remettre sur pied. Il s'était
juré de ne pas lâcher ma roue. Il avait tenu parole. Je
n'eus pas le courage, dans la loge, de le mettre en
boîte.
OSCAR
EN PISTE. L'ATTITUDE DES SPECTATEURS NOUS
PROUVE
QUE LA COURSE A LIEU EN AMERIQUE
J'ai appris à connaître
l'Amérique. J'y suis allé souvent et y fais
quelques déplacements. J'ai couru trente-cinq
fois à New-York, cent cinquante fois à Newark,
cinq fois à Boston, quinze fois à Chicago, huit
fois à Philadelphie, six fois à Providence,
quatre fois à Worcester. Je suis allé en
Amérique une fois en 1912, une fois en 1914,
deux fois en 1915, une fois en 1916, une fois en
1917, deux fois en 1919, deux fois en 1920,
trois fois en 1921, deux fois en 1922, deux fois
en 1923, deux foin en 1924, une fois en 1925,
une fois en 1926.
Soit vingt et une fois le
voyage Paris-New-York-Paris, qui comporte 12.000
kilomètres. Cela doit faire 252.000 kilomètres -
une petite année consacrée uniquement aux
voyages en Amérique, sur quatorze années de
courses. Mais, puisque j'en suis à parler
voyages, il convient, après les chiffres que je
viens d'énoncer, d'ajouter ceux que
nécessitèrent mes déplacements en France et en
Europe et qui doivent être assez importants.
J'ai, en effet, couru une fois à Amiens, deux
fois à Arras, deux fois à Roubaix, une fois à
Dijon, quatre fois à Sens, une fois à Marseille,
trois fois à Avignon, trois fois à Nice, trois
fois à Rouen, une fois au Havre, deux fois à
Nantes, deux fois au Creusot, une fois à Tours,
trois fois à Bordeaux, une fois à Lyon, une fois
à Orléans, une fois à Troyes, trois fois à
Nancy, une fois à Toulouse, deux fois à
Montceau-les-Mines, deux fois au Mans, une fois
à Strasbourg, une fois à Alais, deux fois à
Salon, deux fois à Bourges, deux fois à
Saint-Rémy.
MES COURSES SUR ROUTE
J'aime par-dessus tout la course sur
route. Je l'ai déjà dit au cours de ces souvenirs, comme
j'ai dit la forte impression que m'avait laissée le
passage des coureurs d'un Paris-Roubaix. Et j'ai,
d'ailleurs, débuté sur la route. Si j'ai abandonné la
route pour la piste, c'est pour deux raisons, fort
raisonnables, je crois : j'avais les qualités d'un
bon pistard, bien plus que les qualités d'un parfait
routier, et je gagnais plus largement ma vie sur la
piste que sur la route.
Mais je garde, des quelques épreuves
que j'ai disputées sur route, un excellent souvenir.
J'ai eu des défaillances ; comme tous, j'ai eu quelques
séries de malchances. Je me suis vu battu dans certaines
épreuves, qu'avec un peu moins de déveine j'aurais
certainement gagnées. Il n'y a pas à lutter contre cela
; il faut accepter le sort. Il est parfois cruel. Il est
aussi des incidents que l'on peut estimer regrettables.
Dans le Paris-Roubaix de 1914, alors que nous attaquions
le sprint final sur le vélodrome, un de mes concurrents
me retint par le maillot. Il faut avouer que c'est un
procédé assez difficile à accepter. Cette même année,
qui fut cependant une année de grande forme, celle qui
me vit remporter de beaux succès et consacrer une
réputation dont je garde quelque fierté, je fus empêché
par mon directeur sportif de courir Bordeaux-Paris, que
j'aurais bien voulu disputer, parce que je me sentais de
taille à figurer au premier rang. Et puis
Bordeaux-Paris, c'est Bordeaux-Paris, une vieille
épreuve classique qui fut toujours l'apanage
d'excellents coureurs. Mon directeur sportif estima que
j'étais trop jeune pour tenter la randonnée de 585
kilomètres.
Ma déveine sur route s'affirma par de
multiples crevaisons, des crevaisons qui handicapent
terriblement un coureur quand le lot de ses adversaires
est de grande classe. J'avais beau regarder avec
attention la route, bien rares étaient les courses où je
ne crevais pas plusieurs fois, alors que l'allure de
l'épreuve était telle qu'il fallait, pour rattraper les
concurrents, un effort prodigieux. Dans le Tour de
France de 1914, j'ai crevé trente-deux fois, alors que
Thys et Pélissier ensemble n'avaient crevé qu'une fois.
On comprend combien une pareille malchance peut être
démoralisante. J'ai peut-être battu, au cours de cette
épreuve, un record peu enviable.
Lorsque j'avais débuté, comme
indépendant dans les courses dont j'ai signalé quelques
unes, je me dépensais sans réfléchir. Je poussais et ma
fougue me valait des fortunes diverses. Quand je courus
comme professionnel, je tenais mal la distance, pour
cette raison, précisément, que je produisais de trop
longs et trop complets efforts au début de l'épreuve.
Mais, en 1914, l'année, comme je l'ai dit, de ma belle
forme, j'étais, je crois, à hauteur de toutes les
tâches.
Je ne dois, cependant, pas accuser
trop la malchance. Je fus parfois assez chançard.
C'était une compensation qui m'était bien due. Dans la
première étape du Circuit des Champs de bataille,
Strasbourg-Luxembourg, je fus, comme on va le voir,
assez heureux. A 100 kilomètres du départ, nous nous
étions échappés à cinq et, au contrôle de Metz, nous
avions plus de dix minutes d'avance sur le peloton qui
nous poursuivait. A la sortie du contrôle, je crevais.
Réparation en vitesse et, à 35 à l'heure, je me lance à
la poursuite du groupe de tête. Après 25 kilomètres à
cette allure, et alors que je voyais devant moi mes
adversaires, je fonçais pour les rattraper. Je crevai de
nouveau. Rien à faire ! Quelque peu démoralisé, fatigué
aussi par le sérieux effort que j'avais dû fournir,
j'abandonnai toute espérance de rattraper le groupe de
tête, en me disant que la déveine, une fois de plus...
Je réparai et continuai à un train régulier. La région
m'était totalement inconnue. Je me renseignai auprès des
rares spectateurs installés au bord de la route et dans
les villages sur la distance qui me séparait des
premiers.
- Les premiers, fut-il répondu à une de mes questions,
mais c'est vous le premier !
Je ne pouvais en croire mes oreilles.
C'était vrai cependant. Le groupe de tête s'était trompé
de route ! Je fus félicité à l'arrivée, photographié,
questionné... et j'attendis mes camarades. Le lendemain
devait me rappeler que la « poisse » ne m'avait pas
quitté. Elle ne s'était reposée qu'un jour. Je fus le
premier à connaître la crevaison ; en poussant pour
rattraper mon retard, un chien me fit tomber. Couvert de
contusions, je repartais cependant. Sur une partie de
route mal pavée, je cassai ma fourche. Mon sort était
réglé.
J'aurais bien voulu gagner le Tour de
France. C'est un désir légitime chez un coureur qui aime
la course sur route et qui considère que le titre de
vainqueur d'une épreuve aussi rude fait très bien sur un
palmarès. En 1911, j'avais, comme indépendant, disputé
le Circuit français Peugeot, un petit Tour de France, et
j'avais gagné trois étapes, dont deux au sprint. Dans la
troisième, j'avais réussi à lâcher, un par un, tous mes
adversaires. Je crois bien que, dans cette étape
Valence-Clermont-Ferrand, j'avais accompli la plus belle
performance de mes débuts comme coureur. Mais voilà ! On
est jeune et on ne sait pas. Le lendemain, nous étions
invités à la mairie. Réception selon le rite ordinaire :
discours, Champagne, gâteaux. Au titre de vainqueur, je
me croyais obligé de faire honneur à tout ce qui nous
était offert. J'écoutais religieusement les discours,
vidais les coupes de champagne frappé et m'ingurgitais
force gâteaux. Au cours de la nuit suivante, je payais
fort cher mes imprudences. Je fus tellement malade que
je n'eus pas même, le lendemain matin, la force de
m'habiller.
Dans le Tour de France de 1912 -
j'avais vingt-deux ans - je dus abandonner, malade, à
Grenoble. Je me rendis parfaitement compte qu'à cette
époque je n'étais vraiment pas assez résistant pour
disputer une épreuve de cette envergure, comportant des
efforts répétés à de courts intervalles.
OSCAR DANS LE TOUR DE FRANCE 1914
Mais vint le Tour de France
de 1914. J'avais gagné Paris-Tours, réglant au
sprint une dizaine de coureurs, dont les
meilleurs furent Engel et Thys. La course avait
été très dure. Ma moyenne avait été de 32 km.
135 à l'heure. C'était la grande forme, et
c'était aussi, pour moi, un succès appréciable.
J'avais également gagné le Championnat de Suisse
sur route, puis le championnat de vitesse, et
j'avais, au cours de cette réunion, battu le
champion suisse amateur Kaufmann et, dans une
individuelle d'une heure, Lapize et Rheinwald.
C'était bien la grande forme.
J'avais encore figuré dans toutes les épreuves
auxquelles j'avais pris part et, huit jours
avant le départ du Tour de France, j'avais
battu, à Buffalo, le record mondial de l'heure
sans entraîneurs. Ma confiance était donc grande
et, je crois, assez justifiée. Et j'étais aussi
fort heureux de tenter ma chance dans la grande
épreuve. Je ne me croyais pas capable de gagner
le Tour, mais j'espérais bien gagner une étape.
La première ne fut pas des
plus heureuses. Quelques crevaisons, pour n'en
pas perdre l'habitude ; je ne pus terminer que
dixième, à deux minutes du gagnant. Pas plus de
chance dans les deux étapes suivantes. La
victoire se faisait attendre. Elle vint
cependant. Le départ de Brest-La Rochelle - 460
kilomètres - avait lieu à minuit.
Connaissant ma déveine, je me
tins prudemment en queue du peloton, dans le
sillage des phares des voitures qui suivaient la
course. Mais cela allait vite, très vite. Le
peloton s'étira, le serpent s'allongea tant et
tant que je me dis qu'il fallait tout de même
aller voir ce qui se passait en tête. Mais j'eus
beau appuyer sur les pédales, accélérer
constamment, le premier était si loin que je ne
rencontrai sur la route que des coureurs lâchés.
Au petit jour et au premier
contrôle, j'appris qu'Emile Georget et Ménager
étaient passés, avec trois minutes d'avance sur
un peloton qui me précédait de cinq minutes. Il
n'y avait pas loin de 400 kilomètres à faire ;
j'eus la chance de rejoindre, 10 kilomètres plus
loin, Martel Buysse, qui, après crevaison,
repartait. Il avait avec lui quelques doublures.
Je pris sa roue. 20 kilomètres plus loin, nous
avions rejoint le peloton.
Je faisais partie de l'équipe
Peugeot, une excellente équipe de très bons
camarades.
Nous pensions que, lorsqu'Émile
Georget le jugerait bon, il lâcherait Ménager et que sa
victoire serait une victoire de plus pour notre maison.
Tout allait donc bien. Il n'était que de surveiller les
coureurs des autres marques qui emmèneraient le peloton.
A mi-parcours, Émile Georget et Ménager avaient vingt
minutes d'avance. Nous pensions que tout allait se
passer comme nous l'avions prévu. Les événements nous
réservaient quelques surprises. A l'avant-dernier
contrôle, nous apprenions que Ménager était passé avec
dix minutes d'avance sur Georget, qui nous précédait de
cinq minutes. Ça allait mal. Il ne restait que 80
kilomètres à faire et ce diable de Ménager pouvait
gagner et notre équipe être battue. Ce fut une belle
envolée. Au bout de 20 kilomètres, nous pouvions
rejoindre Émile Georget, épuisé - à 30 kilomètres de
l'arrivée, nous rattrapions Ménager. L'infortuné coureur
se mit à pleurer abondamment : « C'est malheureux tout
de même, disait-il, d'avoir poussé à fond pendant 400
kilomètres pour se faire rejoindre si près de l'arrivée.
»
Et, fou de rage, il tenta de démarrer
pour s'apercevoir bientôt que ses efforts étaient
inutiles. Alors, las, découragé, fini, il se laissa
tomber de son vélo dans le fossé de la route.
J'eus, à ce moment, l'excellente idée
de profiter d'un moment où le peloton ralentissait
l'allure pour changer de braquet et, avec 6 m. 40,
démarrer sec. Seul, Henri Pélissier put me suivre. Je le
battis au sprint. J'avais gagné mon étape. Mon bon et
toujours regretté camarade Émile Engel était troisième.
Trois jeunes étaient premiers du classement de la plus
longue étape du Tour de France. Je devais gagner encore
l'étape suivante, La Rochelle-Bayonne, en battant au
sprint trente concurrents. Mais l'étape suivante me fut
fatale : crevaisons, incidents divers et une négligence
coupable : au contrôle d'Eaux-Bonnes, je ne me
ravitaillai point. Je restais un moment sur la roue
d'Henri Pélissier, j'arrivais avec lui, avec deux
minutes d'avance, au sommet du col de l'Aubisque, sur
Lambot, que Thys suivait à huit minutes, Thys étant
encore en tête du classement général. Mais la
défaillance vint, que mon imprévoyance ne me permit pas
de combattre. J'arrivai péniblement au pied du
Tourmalet, que je montai en grande partie à pied. Je
terminai loin, avec deux heures de retard sur Lambot, le
gagnant. Henri Desgrange avait pu dire, dans son compte
rendu de l'Auto : « Egg était premier en haut du
col de l'Aubisque ; quatrième en haut du Tourmalet ;
douzième en haut du col suivant, et, à l'heure où je
vous télégraphie, il n'est pas encore arrivé. »
Je terminai le Tour par
toutes sortes de mésaventures. A Marseille, où
l'arrivée avait lieu au vélodrome, je tombai au
dernier tour, en compagnie d'Engel ; à Genève,
où j'aurais été heureux de terminer en
vainqueur, je n'arrivais que treizième : j'avais
bu dans un bidon qu'on avait laissé séjourner
dans la glace ; je payais encore cette erreur
par une grave indisposition ; dans l'étape
Belfort-Longwy, je cassai une roue et me blessai
grièvement à un genou et aux deux mains.
C'est dans cette étape que
François Faber [...] démarra soudain. L'équipe
Peugeot le laissa partir, et, Faber partant,
cela voulait dire qu'il y aurait bientôt un
certain écart entre lui et ses adversaires. Car
le géant de Colombes, le bon géant, allait vite.
Tout de même, après quelques kilomètres, les
coureurs des autres maisons organisèrent la
chasse. Mais on ne rattrapait pas Faber, et cela
poussait dur, quand un homme, pédalant de son
mieux sur un vélo bien vieux, nous croisa et
nous fit signe qu'il voulait nous dire quelque
chose. Il fit, en effet, demi-tour, nous
rejoignit, quelque peu essoufflé, et nous
déclara :
- Faber m'a dit de vous dire qu'il avait dix
minutes d'avance et que cela allait tout ce
qu'il y a de bien.
Nous éclatâmes de rire. Ce speaker inattendu
nous avait rappelé, d'amusante façon, que Faber
était mieux qu'un as, c'était un joyeux as.
Oscar Egg et son concurrent
Emile Engel au Tour de France 1914
(extraits d'une émission de
France TV Sports)
Enfin, j'arrivais à la dernière étape.
J'étais au C½ur-Volant et en assez mauvaise posture ; je
voulus terminer en bonne position et j'allais rejoindre
le peloton à Boulogne quand un des spectateurs suivant à
bicyclette me fit tomber. Car il faut reconnaître que
les arrivées de courses sur route sur le vélodrome
rassemblent aux environs une telle foule que la fin des
parcours devient extrêmement dangereuse parfois et
toujours aléatoire.
J'avais été treizième à Genève ;
j'étais treizième du classement général de ce Tour de
France 1914. Je m'interdis d'avoir une opinion
définitive sur ce numéro ; je suis bien obligé de
reconnaître que mes diverses malchances m'y amenèrent.
J'avais eu, cependant, une année particulièrement
fertile en résultats, puisque, en dehors de mon record
de l'heure, j'avais gagné un Paris-Tours, les
championnats suisses, deux étapes du Tour de France.
J'ai disputé, avec des infortunes
diverses, les courses sur route suivantes : 1911 : Tour
de Lombardie ; 1912 : Milan-San Remo, Paris-Tours,
Paris-Roubaix, Paris-Menin, Paris-Bruxelles, cinq étapes
du Tour de France, quatre étapes du Tour de Belgique ;
1913 : Paris-Roubaix, Paris-Tours, Paris-Bruxelles ;
1914 : Paris-Roubaix, Paris-Tours, Paris-Menin,
Paris-Bruxelles, Championnat suisse des 100 kilomètres,
Tour de France ; 1917 : Milan-San Remo, Milan-Turin,
Milan-Modène, Milan-Varèse, Circuit de Milan ; 1918 :
Trouville-Paris, Bourges-Paris ; 1919 : Milan-San Remo,
Paris-Roubaix, Paris-Tours, Milan-Turin, Tour d'Italie
(sept étapes), Circuit des Champs de bataille ; 1922 :
Paris-Rouhaix.
MA COURSE LA PLUS DURE : LE BOL
D'OR
L'année 1924 a vu courir un Bol d'Or
au vélodrome Buffalo. C'était un essai de restauration
d'une épreuve qui avait eu, jadis, un grand succès. On a
beaucoup parlé de ce Bol d'Or 1924 avant qu'il fût couru
; on en a beaucoup parlé après. Mais on a surtout écrit
sur cette épreuve beaucoup de choses injustes. Et il
m'est agréable de dire aux lecteurs du Miroir des
Sports ce que je pense de ce Bol d'Or et ce qui de
s'est passé pendant les vingt-quatre heures de course
consécutives de cette année 1924.
Il ne m'était jamais venu à l'idée
que je disputerais un jour un Bol d'Or. Je ne me croyais
pas doué pour cela et estimais que mon endurance n'était
pas suffisante, et que je n'étais, en somme, pas fait
pour mener à bien une course aussi dure. En 1912,
j'avais entraîné mon ami - mon maître aussi -
Petit-Breton, et j'avais pu ainsi mesurer les efforts
qu'une épreuve de ce genre exigeait. Petit-Breton avait
établi un tableau de marche très serré ; il n'avait, au
début de l'épreuve, fourni aucun effort sérieux ;
c'était, on le sait, un grand champion, dont le courage
était légendaire. Cependant, vers les premières heures
du matin, il connut la défaillance ; se rendant compte
que lutter contre Léon Georget devenait impossible, il
abandonnait. Lapize, dont il n'est pas besoin de
rappeler les qualités d'énergie et les remarquables
dons, avait estimé, après six heures de course, que la
besogne était trop rude, et Émile Georget, le héros de
Bordeaux-Paris et Paris-Brest-Paris, avait, lui aussi,
dû baisser pavillon.
J'avais vu encore disputer, en 1920,
au Vel' d'Hiv', une course de vingt-quatre heures.
Charles Deruyter avait pris le commandement et, au bout
de dix heures de course, il menait avec une avance d'une
douzaine de kilomètres sur le remarquable spécialiste
qu'était Léon Georget. Georget, toutefois, avait été
victime de quelques accidents qui l'avaient sévèrement
handicapé. On a raconté qu'à ce moment de la course,
Deruyter, s'approchant de Léon Georget, lui exposa que,
l'épreuve paraissant à l'avance acquise aux deux leaders
qu'ils étaient, il ne semblait pas nécessaire de « se
tirer la bourre » ; prix et primes seraient partagés.
Mais le Brutal - Léon Georget se soignait très bien avec
quelques absorptions de vin rouge, de « brutal » -
n'était pas de cet avis. Il répondit à Deruyter :
- Mon petit gars, il y a encore quatorze heures à faire
; nous avons bien le temps de nous revoir.
Peu de temps après, Deruyter
abandonnait.
Ce que j'avais vu et entendu me
faisait donc comprendre les difficultés de la tâche et
me laissait assez peu désireux de me lancer dans une
pareille aventure. Je n'écoutais donc que d'une oreille
assez distraite les offres de Coquelle et Delrive, les
directeurs de Buffalo, lorsqu'ils pensèrent à me faire
disputer ce Bol d'Or de 1924. Et, vraiment, je puis dire
qu'à aucun moment je ne songeais à m'aligner dans
l'épreuve. On ne peut jamais dire : « Fontaine, je ne
boirai pas de ton eau. » Delrive, avec sa rondeur
coutumière, me déclara un jour :
- Le Bol d'Or, ça ferait bien dans ton palmarès !
C'est une phrase de rien du tout,
énoncée comme cela. Et il est facile d'en faire de
beaucoup plus éloquentes sur des sujets du même genre ou
dans des conditions semblables. Mais la réflexion de
Delrive piqua mon amour-propre. On est professionnel,
certes, mais on n'en demeure pas moins accessible à ce
sentiment qui fait faire de belles choses pour la simple
joie de les faire. La phrase de Delrive me fit
réfléchir. Je pensais qu'après tout, j'avais terminé des
courses de Six Jours dans un tel état de fraîcheur, ne
me ressentant pas de l'effort fourni, que vingt-quatre
heures seraient peut-être possibles, si différente que
soit la manière dont se disputent les deux courses. Mon
indifférence de la veille se transforma assez rapidement
en un intérêt suffisant pour que j'écoute les
propositions de Coquelle et que je fixe les conditions
de ma participation. En quelques minutes, l'entente
était faite. Le contrat était immédiatement signé. Je
n'avais plus qu'une appréhension : la date de l'épreuve
était si rapprochée que je craignais de ne pas avoir
suffisamment de temps pour m'entraîner. Mais c'était
signé. Je me préparais, et le grand jour - car c'était
un grand jour pour celui qui avait toujours pensé qu'il
ne jouerait jamais un rôle dans un Bol d'Or - me trouva
assez prêt.
Nous étions dix partants : Léon
Georget, Duboc, Christophe, Marcel Buysse, Gossens,
Torrani, Deloffre, puis un Allemand et un Anglais et
votre serviteur. J'avais à mon service sept bonnes
équipes d'entraîneurs, presque tous d'excellents
camarades, dévoués, et que dirigeait cet ami fidèle et
sûr, mon associé Hector Tiberghien. J'arrivais au départ
en même temps que Léon Georget, qui me dit, devant tout
le monde :
- Mon petit gars, qu'est-ce que tu fais là ? Tu veux
courir le Bol d'Or ?
Et comme je ne lui répondais que par
un sourire, il ajouta :
- Je connais le fourbi. Je vais te dire ce que tu vas
faire. Tu vas foncer au départ, tu auras peut-être un ou
deux tours d'avance à la première heure ; au bout de 100
kilomètres, tu commenceras à avoir la pompe ; à la
sixième heure, nous tournerons autour de toi, et, à la
douzième, tu seras dans ton lit en train de bien
roupiller !
Que vouliez-vous que je réponde ? Je
pensais qu'il pouvait se tromper. Je montai sur mon
vélo. Le départ fut donné.
Je n'étais pas tellement sûr de moi.
Je ne savais pas, en somme, ce que j'étais capable de
faire. J'allais vers l'inconnu. Mais il était une chose
dont j'étais certain, à cette heure comme
maintenant : c'est que j'étais un coureur correct
et consciencieux. Je n'hésitais donc pas longuement sur
la tactique à adopter. Je me dis que, pendant que je le
pouvais, je devais essayer de faire des choses
intéressantes. Aussitôt derrière mes tandems, je leur
demandai de pousser à fond. Ils donnèrent tous et si
bien que je vis un à un mes adversaires lâcher prise. Je
couvris, dans la première heure, une distance qui était
très près de la distance-record de Buffalo. J'avais
cependant un petit braquet : 24 x 7. Je devais, de plus,
faire constamment l'extérieur. Et cela compte. Mais cela
marchait tout de même. Au bout de 50 kilomètres, mes
équipes commençaient à la trouver mauvaise. Quelques uns
de mes entraîneurs me crièrent que j'étais fou, que
j'allais me « louper » et que je ne pourrais pas
finir. Je compris leur sentiment, qui était, chez
quelques uns d'entre eux, très désireux de me voir
gagner, de l'inquiétude, et je me rendis compte, comme
eux, qu'il fallait se ménager quelque peu. J'avais
quelques tours d'avance ; je pouvais me permettre de
vivre sur cet avantage et d'attendre les événements. Je
laissai mes adversaires mener le train et passer les
heures.
Quand minuit sonnait - il y avait,
par conséquent, six heures de faites - je dis à Léon
Georget :
- Dis donc, mon vieux Léon, voilà six heures de faites,
et vous ne tournez pas encore autour de moi !
Et, parce que je tenais à l'assurer
que je n'étais pas encore fini et pour que les
rédacteurs de journaux puissent corser leur dernier coup
de téléphone, je démarrai et pris un nouveau tour. Et la
ronde continua. Tous les concurrents, sauf Léon Georget,
avaient déjà éprouvé plusieurs fois le besoin de
s'arrêter. Léon Georget tint plus longtemps qu'eux tous.
Il ne descendit, pour la première fois qu'à la neuvième
heure de la course. Je restai encore en piste pendant
plus d'une heure et descendis à mon tour. Le jour
pointait.
J'avais à peine perdu un tour en
m'arrêtant. La douzième heure arrivait ; j'étais
toujours en tête. Je dis alors à Léon Georget :
- Eh ! Léon, je suis là, je ne suis pas encore couché.
Mais Léon ne me répondait pas. Eugène
Christophe nous menait, à ce moment, la vie dure. Il
était si bien et son allure était telle que je voyais en
lui un gagnant possible. A ce moment, Léon Georget dut
penser que le temps était venu de tenter de gagner la
course. Il fit donner à fond ses entraîneurs et le train
s'accentua encore. Christophe fut décollé. Quelques
minutes après, je le vis descendre et se diriger, courbé
et paraissant très fatigué, vers son campement.
Quelques heures après, Duboc, qui
avait dû suivre, pour l'épreuve, une préparation bien
réglée, démarrait à son tour. Le train était si rapide
que Léon Georget ne put le suivre, et je commençais
moi-même à me convaincre qu'une course de vingt-quatre
heures n'était pas une promenade, quand je vis Duboc
abandonner ses tandems. Il lui était impossible de
suivre le train qu'il avait demandé à ses entraîneurs de
mener. Je respirai. Pas pour longtemps, toutefois, car
Léon Georget, retapé, et qui savait mieux que tous
autres que l'heure était décisive et qu'il fallait, à ce
moment, y aller de toutes ses forces, reprenait la tête
et forçait l'allure.
Midi venait de sonner. Dix-huit
heures de course. Je commençais à avoir de sérieux
espoirs et me promettais de ne pas laisser s'échapper
mon concurrent le plus direct. Cela, c'était mon désir.
Il me fallait bien reconnaître, tout de même, que la
fatigue commençait à se faire sentir. Il avait fait très
froid la nuit. J'avais mal un peu partout, et je
supportais mal les trépidations causées par les bosses
dans les virages. Et cette sensation de choc m'était à
ce point désagréable que je demandais à mes entraîneurs
de rouler sur le plat et de ne pas monter dans les
virages. Mais la surface plate de la piste n'est pas
très large. J'arrivais plusieurs fois sur le bord de la
piste. Je touchais aussi à plusieurs reprises la roue de
mes tandems. Il en résulta pour moi plusieurs chutes
assez douloureuses. Et voilà que Duboc, dans un nouvel
effort, fit mener de nouveau un train terrible. Ce
réveil de Duboc contraignit Léon Georget, désemparé, à
descendre de machine et à s'arrêter assez longuement.
Duboc fut pris lui-même à son propre jeu. En voulant
faire plus qu'il ne pouvait faire, il arriva à ne plus
pouvoir tenir la roue de ses tandems. Il décollait,
mais, courageusement, revenait encore, se dépensant sans
compter. Trois heures avant la fin, il devait, à son
tour, descendre pour quelque temps. Quand il se remit en
piste, il avait de nombreux kilomètres de retard.
Je ne crois pas qu'à ce moment il se
soit trouvé au vélodrome beaucoup de spectateurs qui
n'aient pas vu en moi, sauf accident, le gagnant certain
de l'épreuve. J'avoue que j'étais de l'avis général. Je
me promettais de pousser à fond pendant la dernière
heure et d'ajouter quelques kilomètres à ceux que
j'avais pris à mes adversaires et aux records, puisque
déjà pas mal d'entre eux étaient battus. Deux heures
avant la fin, je descendis pour quelques instants. Quand
je voulus remonter sur ma bicyclette, il me fut
impossible de faire un mouvement. J'avais la sensation
que j'étais paralysé et qu'il allait m'être défendu de
terminer. Je dis au fidèle Tiberghien :
- Mais je ne peux plus monter sur mon vélo... On me
hissa sur ma selle, on me poussa. Je cherchais à
accompagner mes pédales. Mes muscles ne répondaient plus
à mon cerveau. Je voulais et ne pouvais pas. J'étais une
loque. J'avais la sensation que je ne vivais plus
normalement et que j'avais perdu la possibilité du
mouvement. Celui qui, quelques minutes plus tôt, pouvait
considérer qu'il allait vaincre était subitement
convaincu que la victoire devenait impossible. Je
souffrais physiquement. Mais je connus une souffrance
morale telle que je crus que tout était fini. J'ai vécu
là les minutes les plus douloureuses de ma carrière
sportive. Elles s'accompagnaient des ovations folles et
des encouragements bruyants prodigués par la foule à
Duboc, qui apparaissait, à son tour, comme le vainqueur.
J'ai trouvé, à ce moment, dans mon désir de faire ce que
je m'étais engagé à faire et dans celui de toujours
lutter pour vaincre, la possibilité de repartir, de
retrouver une partie de mon équilibre, de limiter mon
infériorité, que, peu à peu, je devinais passagère.
OSCAR
EGG EN TÊTE DANS LA GRANDE ÉPREUVE QU'IL GAGNA,
EN BATTANT LE RECORD
Je perdis de nombreux
tours, puis j'arrivais progressivement à ne plus
perdre qu'un tour sur deux, à diminuer ce handicap
considérable, à recoller à la roue de mes tandems.
Et, voyant la fin qui s'approchait alors que
j'étais encore en tète du classement, comprenant
que la victoire que j'avais vue s'enfuir avait
encore gardé un sourire, je fournis un effort
prodigieux pour suivre le train mené par Duboc.
Quand je vis arriver les dernières minutes, je
demandai à mes tandems de pousser à fond et
terminai au sprint, laissant sur place tous mes
adversaires. J'avais couvert 936 km. 225 et battu
de loin le record.
Le public, qui avait compris mes efforts, me fit
une telle ovation que j'oubliai les souffrances
que j'avais endurées. J'avais gagné cette épreuve,
pour laquelle je ne m'étais d'abord pas cru
qualifié, puisque j'avais accepté de courir en me
promettant de faire de mon mieux, et qu'enfin
j'avais failli perdre après avoir pu croire que je
ne devais pas être battu.
Mais je ne voudrais pas en terminer le récit sans
dire mon admiration pour l'énergique défense de
mes principaux concurrents : Duboc, Léon Georget
et Christophe. Elle m'a valu de pouvoir battre les
records de ce Bol d'Or, dont Delrive, pour me
décider à le disputer, m'avait dit « qu'il ferait
très bien dans mon palmarès ».
MA COURTE CARRIÈRE DE STAYER
Je me trouvais, en 1915, en Amérique, et Mac Farland,
avec lequel je signais un contrat, stipula que j'étais
susceptible de courir derrière motos. Il faut, en
Amérique, être prêt à tout et ne s'étonner de rien.
J'avais couru dans toutes les spécialités ; mais, enfin,
on ne s'improvise pas stayer du jour au lendemain.
C'était cependant très net : je devais disputer un
certain nombre de courses derrière motos. Comme je
venais de gagner les Six Jours de Chicago avec mon vieux
camarade Verri et que l'on construisait dans cette ville
un vélodrome d'été - car il n'y en avait pas eu, à
Chicago, depuis vingt ans - Mac Farland nous y envoyait
tous les deux. Verri devait disputer des courses de
vitesse, moi des courses derrière motos.
Tout de même, avant de partir pour Chicago, je
m'essayais, pendant quelques séances, sur la piste de
Newark. Je m'essayai timidement, comme tous les
débutants.
OSCAR SOUS LE CASQUE DE CUIR
Je
n'avais jamais roulé derrière moto. En
commençant, je n'osais pas m'approcher du
rouleau. Le premier jour, un mètre me séparait
de lui, que je ramenai, le deuxième jour, à
cinquante centimètres, pour arriver enfin à
coller à peu près convenablement. Après ces cinq
ou six séances d'entraînement, je partis pour
Chicago, où je devais disputer, le lendemain de
mon arrivée, une course de stayers contre Moran,
Root et Droback. Le matin de la course, je
voulus prendre un petit canter (galop
d'essai d'un cheval de course). Je
tombai sur un entraîneur qui n'avait pas
entraîné depuis dix ans, qui, de plus, n'avait
reçu sa moto que la veille. Par ailleurs, je
n'avais, de la langue anglaise, que des notions
trop vagues pour me faire comprendre de lui.
Toutes ces raisons faisaient que la séance
d'entraînement n'allait pas très bien. Après
avoir risqué vingt fois de rentrer dans mon
entraîneur ou de m'accrocher au rouleau, je
terminais la séance en me tenant à une distance
qui dénotait plus de prudence que d'aptitude.
Kopsky, qui avait assisté à mon travail si
délicat, alla trouver la direction pour lui
conseiller, étant donné mon allure à
l'entraînement, de ne pas me faire courir si
l'on ne voulait pas me voir terminer avec
quelque vingtaine de tours de retard. Et il se
proposait, d'ailleurs, pour me remplacer.
Le soir, comme les entraîneurs, qui étaient tous
des semi-débutants, n'avaient pas assez de
métier, on décida, pour éviter des accidents au
moment de la prise, que l'on donnerait un départ
volant. Le starter, que je connaissais bien, eut
même la bonté de m'annoncer qu'il donnerait le
départ quand je serais en tête. Il se trompa
d'ailleurs, car, ayant appuyé un peu trop tard
sur la gâchette de son revolver, je me trouvais
dernier dès le début de la course. Droback,
deuxième, tâchait de passer Moran. Mais mon
entraîneur, qui n'accélérait pas suffisamment,
me faisait vovager dans les virages, et je
frôlais à ce point la balustrade que j'allais
abandonner, quand je vis Droback décoller. Je
poussai dur, passai Moran et terminai premier.
J'avais gagné ma première course, et je devais
encore gagner la deuxième et la troisième, avant
d'être battu dans la quatrième.
Je fus alors renvoyé à Newark, où je disputais
surtout des courses derrière tandems - ce qui me
convenait infiniment mieux - et des courses à
l'américaine. Je recourus derrière moto à Paris,
en 1917.
Ma
première course, contre le regretté Parent, fut
une victoire. Mais je suis bien obligé d'avouer
que je ne goûtais guère ce genre de sport que
j'estimais trop dangereux. Et mes apparitions
derrière motos furent assez rares. Je figurai
certes, mais ne gagnai pas. Ma meilleure course
fut fournie dans un match à trois qu'on avait
appelé le Match des As et qui réunissait Sérès,
Didier et moi. Dix kilomètres avant la fin,
j'étais en tête, précédant Sérès d'un tour et
Didier de deux, quand mon pneu avant éclata. Je
fis une cabriole fantastique. Le demi-fond,
vraiment, ne me réussissait pas. Je devais
pourtant recourir derrière moto. En fin de
saison 1919, je fus demandé à Philadelphie pour
disputer une course de stayers. J'annonçai au
directeur que je n'avais pas de vélo, pas de
casque et que, d'ailleurs, je voulais, pour
courir derrière motos, être payé deux fois plus
que pour une course ordinaire. Il consentit le
prix demandé, s'engagea à me fournir le matériel
nécessaire, et je partis pour Philadelphie. En
arrivant dans la ville, je vis d'énormes
affiches qui annonçaient le match des Six
Nations. L'Amérique, la France, l'Italie,
l'Allemagne et la Belgique étaient représentées
; si l'organisateur avait tant insisté pour me
faire venir, c'est que je devais représenter la
Suisse, qui faisait la sixième nation. Mais on
offrit au représentant suisse un vélo
extraordinaire, un vieux clou menaçant ruine et
bien peu rassurant. Je l'essayai avant la
course, et j'étais en pleine action quand le
pneu avant éclata. J'évitai la chute par
miracle. Mais je dis cependant au directeur du
vélodrome que sa bicyclette ne me paraissait pas
faite pour le travail que j'allais lui imposer
et que je risquais fort, si je devais courir sur
un semblable vélo, de me rompre les os.
- Partez toujours, me dit-il. Au bout de 15 ou
20 milles - la course en comportait 66 - je vous
ferai signe, et vous pourrez vous arrêter.
Je n'étais pas au bout de mes mécomptes. En
Amérique, les entraîneurs sont tirés au sort.
Mais comme je n'étais, en somme, qu'un coureur
occasionnel, on me donna le plus mauvais
entraîneur, qui disposait de la plus mauvaise
moto. De plus, et pour que mon enthousiasme soit
complet, on me donna la dernière place au
départ.
MILAN 1917 : EGG VA PASSER PAUL SUTER
Ainsi handicapé, je ne devais pas
tarder à être doublé. Je le fus au bout de quelques
milles, et les concurrents tournèrent autour de moi.
Pourtant, je tentai, vers le quinzième mille, de faire
activer mon entraîneur. Mais il m'informa qu'il ne
pouvait pas aller plus vite. Il était trop mal armé, en
effet, aussi mal armé que je l'étais moi-même, et je
compris sa restriction. Ce que je comprenais moins,
toutefois, c'est que le directeur, qui devait me faire
signe de descendre, demeurait invisible. La possibilité
de m'arrêter me fut tout de même offerte : la moto
s'arrêta d'elle-même. Elle estimait en avoir assez fait.
Moi également !
Il était dit que cette course me vaudrait toutes les
surprises. Lorsqu'on me paya, Chapman lui-même, qui est
le grand directeur de toutes les pistes américaines, me
compta la moitié de la somme promise, s'indigna quand je
le lui fis constater, blâma le directeur qui m'avait
offert une somme trop élevée pour une exhibition
douteuse. Il me paya tout de même, mais il tint à me
déclarer :
- That is murder ! (Ça, c'est de l'assassinat !)
J'avais cependant eu bien peur d'être la victime !
JEUNES ET ANCIENS
Je ne veux pas, en parlant des jeunes et des anciens,
les comparer, pour opposer leurs qualités ou montrer ce
qui pourrait être, chez les uns ou chez les autres, des
défauts. Je ne prétends donc pas arriver à dire de
ceux-ci ou de ceux-là qu'ils étaient ou qu'ils sont
supérieurs. Et puis mon expérience porterait sur un
nombre d'années trop restreint, si longue qu'ait pu être
ma carrière. Je courais encore l'an dernier et je n'ai
donc pas connu nombre de coureurs cyclistes qui ont
laissé un grand nom dans l'Histoire, portant sur près de
quarante années, d'un sport dont il est difficile de
dire qu'il a considérablement évolué.
Et puis, je ne voudrais pas être considéré comme un de
ces pères Tant-Pis qui commencent une phrase en énonçant
: « De mon temps... » pour arriver à conclure que, de
leur temps, tout était mieux. La vie est un éternel
recommencement, m'a-t-on toujours dit, et je le crois
volontiers. Je vous conte quelques souvenirs, avec
plaisir. Je n'ai pas à tâche la discussion, persuadé que
je suis d'ailleurs que la discussion réussit rarement à
convaincre tout le monde.
Ce qu'il me faut dire tout d'abord, parce que c'est
l'évidence et que je ne découvre rien en le constatant,
c'est que le nombre des spectateurs de toutes les
manifestations cyclistes - et autres aussi - a
considérablement augmenté et que ce public, devenu si
nombreux, est devenu aussi plus sportif. Je dois
reconnaître que, sur route ou sur piste, je vois partout
la foule, une foule beaucoup plus considérable que celle
qui, lors de mes débuts, venait encourager les coureurs.
Mes adversaires, en 1914, lorsque j'ai participé aux Six
Jours de Paris, s'appelaient : Hourlier, Comès, les
vainqueurs : Goullet, Grenda, le premier étant,
peut-être, le meilleur coureur de Six Jours qui ait
existé, Goullet, d'ailleurs, comme j'ai eu l'occasion de
le dire, étant un des plus glorieux ; Fogler, Moran,
Hill, Root, Valthour, Lapize, Engel, Deruyter, Rutt,
Lorenz, Verri, Cruppelandt, Dupré, Perchicot, Berthet,
Trousselier, Brocco, Van Houwaert, etc.
Sur la route, je me rencontrais avec Thys, Henri
Pélissier, François Faber, Garrigou, Emile Georget,
Marcel Buysse, Defraye, Masselis, Deman, Mottiat,
Heusghem, et aussi Lapize, Deruyter. Cruppelandt, que
j'ai déjà nommés et qui couraient indifféremment sur
route et sur piste. Le Grand Prix de Paris vit comme
participants : Hourlier, Poulain, Friol, Ellegaard,
Dupré, Pourchois, Perchicot, Schilles, Shilling,
Sergent, Verri, etc... Les meilleurs stayers d'alors
étaient : Darragou, Sérès, Linart, Didier, Parent,
Guignard, etc... En Amérique, à la même époque, je vis
sur la même piste : Kramer, Spears, Rutt, Goullet, Mac
Namara, Grenda, Fogler, Moretti, Eaton, Hawson,
Cavanagh, etc...
Tous ces noms vous disent quelque chose. Et si, dans les
grandes épreuves actuelles sur route et sur piste, des
coureurs s'alignent qui portent des noms que la renommée
a rendus populaires un peu partout, il n'en est pas
moins juste de reconnaître que les noms que je viens de
citer sont, depuis longtemps, dans la mémoire des
sportifs qui virent courir ceux qui les portaient et
aussi dans la mémoire de ceux auxquels il en fut parlé,
parce qu'ils méritaient vraiment qu'on parlât d'eux
lorsqu'on discutait sur certaines épreuves ou que l'on
examinait certains palmarès. Et vous serez de mon avis
si je prétends que beaucoup de ces noms d'anciens se
transmettront de générations en générations. Ils diront,
ce que fut une époque. On a assez répété que nous
manquions de champions pour que le rappel des noms de
ceux qui illustrèrent l'époque dont je parte ne paraisse
pas déplacé. Et ce me sera une grande joie de constater,
plus tard, qu'il est des champions qui valent d'être mis
en parallèle avec ceux que j'ai nommés et qu'ils sont
aussi nombreux que ceux dont la liste, sans doute
incomplète, est restée dans ma mémoire.
Mais il me semble bien que, si nous avons
d'indiscutables champions, leur nombre est certainement
plus réduit qu'à l'époque que j'ai évoquée. Et,
cependant, tous ces vieux champions étaient, à mon avis,
beaucoup moins encouragés, beaucoup moins aidés à leur
début que tous les jeunes qui, possédant quelque
qualité, s'ingénient, fort justement d'ailleurs, à
trouver les moyens de les mettre en valeur. Je crois
pouvoir résumer ceci assez simplement : ils étaient nés
coureurs et travaillaient à rendre glorieuse et
fructueuse leur carrière de coureur. Trop nombreux sont
maintenant ceux qui veulent devenir coureurs, à
condition qu'on supprime de la route qu'ils se sont
tracée tous les obstacles qui peuvent venir l'encombrer.
Faber acheta sa première bicyclette chez Dufayel et
participa au Tour de France pour son propre compte.
Georges Sérès, qui fut son fidèle compagnon, était dans
le même cas. Van Houwaert gagna son premier
Bordeaux-Paris alors qu'il était garçon de ferme.
Avec le temps, les procédés ont évolué. Des facilités
ont été offertes aux jeunes. La multiplicité des courses
en marge des grandes épreuves, que l'on peut dire
classiques, a amené un nombre considérable d'offres qui
répondaient aux nombreuses demandes qui étaient faites.
On s'est mis à la recherche de champions. Et je trouve
cela très bien, d'ailleurs. Le travail imposé aux
coureurs, auxquels on offre de courir un peu partout,
les calendriers de la route, comme de la piste, étant
encombrés, exige que, dans chaque spécialité, les
champions soient nombreux. S'il y avait pénurie,
l'intérêt des épreuves en souffrirait et l'engouement du
public diminuerait bien vite. Mais il faut bien
reconnaître qu'en cherchant des champions un peu
partout, il n'est pas certain, surtout si on consent à
de gros sacrifices pour les amener peu à peu à la
vedette, qu'on en rencontrera beaucoup. En cyclisme,
comme ailleurs, il y en a de nombreux qui se croient
appelés ; or, il y a très peu d'élus. Il n'est pas
toujours très bon, d'une part, d'avoir trop de facilités
pour se sortir de la mêlée, d'autre part, d'arriver trop
vite au succès. Les difficultés des débuts ont assuré
bien souvent une longue carrière à ceux qui rudement,
patiemment aussi, avaient préparé leur chemin. En
raisonnant et en comparant ce qu'ils étaient et ce
qu'ils sont et en se disant qu'ils ne devaient d'être
arrivés au succès qu'à leurs propres moyens, ils
demeuraient fiers de leur réussite et trouvaient dans
cette fierté le désir de ne jamais être inférieurs à
eux-mêmes.
Ces facilités accordées aux débutants devaient
fatalement amener ces derniers à des exigences que je ne
cite, en passant, que pour les erreurs qui en peuvent
résulter. Au début de Rivoli Sportif, je fus sollicité
par les deux présidents, Trialoux et Cazalis, pour
intervenir auprès de la maison Bianchi, pour laquelle je
courais, afin de l'amener à prêter quelques vélos aux
coureurs du club. La maison Bianchi, très généreusement,
offrit trois vélos ; la Sportive, six. Au départ, à la
porte Maillot, d'une courte séance d'entraînement du
club, - porte Maillot-bas de la côte de Saint-Cyr et
retour - je vis arriver, sur une superbe Bianchi, un des
coureurs du Rivoli Sportif. Il avait plutôt l'air d'un
jockey que d'un cycliste - Thuau fut les deux et Michaël
aussi, mais ce sont les seuls - et était surtout
mécontent. Ses performances, disait-il, eussent dû lui
assurer depuis longtemps un service de vélos et de
boyaux. Il m'accosta, me parla de ses courses en
quatrième catégorie, médiocres à ce point que je
regrettai bien d'avoir fait appel à ma maison pour doter
ce coureur en herbe d'une machine semblable. Il méritait
une leçon. En abordant la côte de Saint-Cloud, j'appuyai
sur les pédales sérieusement, mais en conservant les
mains en haut du guidon. Mon homme colla à ma roue
pendant quelques mètres ; au premier tournant, il avait
50 mètres de retard. Arrivé à Saint-Cyr, le peloton fit
demi-tour et nous pûmes reprendre au passage, devant la
grille de l'Orangerie, à Versailles, notre coureur... en
paroles. On lui fit comprendre par des mots combien ses
prétentions étaient exagérées, et par des faits, dans la
côte de Picardie, combien il était inférieur.
Si j'ai cité ce cas, c'est pour mettre en lumière
l'erreur que l'on commet en encourageant à tort certains
débutants. J'apprécie, je le répète, l'encouragement. Il
faudrait, cependant, qu'il ne s'adressât qu'à ceux qui,
physiquement et moralement, en sont dignes.
Lorsque, d'ailleurs, les encouragements aux jeunes ont
déjà été précédés d'une sélection sérieuse, ils sont
devenus précieux à ce point que nous leur avons dit et
que nous leur devons des champions. Le Miroir des
Sports a exposé, l'an dernier, les résultats
obtenus par le « marchand de champions » Paul Ruinart,
qui nous assura, par sa sélection, une splendide
victoire aux Jeux Olympiques, qui fit des champions du
monde, des champions de France et des champions
militaires : Blanchonnet, Leducq, Souchard,
Grassin, Hamel, Marcillac et les deux coureurs
extraordinaires et si courageux que sont Wambst et
Lacquelay. En disant le grand mérite de Pau! Ruinart, il
aura donné à ma thèse un argument de plus : il n'y a
qu'un Paul Ruinart, il en faudrait beaucoup.
J'apprécie également les règlements ; mais je conserve
cette opinion - et je n'interdis à personne de la
trouver mauvaise - qu'ils dépassent quelquefois le but
qu'on se propose. Le règlement, je le comprends, est
fait pour tout le monde. Mais, dans ce tout le monde, il
y a des exceptions. L'U.V.F. a décidé d'interdire à un
coureur âgé de moins de vingt et un ans de participer à
une course de plus de 150 kilomètres. Convenons que,
pour la majorité, c'est très bien. Mais Marcel Cadolle
gagna un Bordeaux-Paris à vingt ans et je n'ai jamais
entendu dire que cela lui ait nui par la suite. Goullet
gagna sa première course de Six Jours à dix-huit ans :
c'était, évidemment, un coureur particulièrement doué.
Mais Rutt, au même âge, était finaliste du Grand Prix de
Paris.
Aujourd'hui, à Beaufrand, qui vient d'avoir dix-huit ans
et qui, à mon avis, a un bel avenir devant lui, on
impose un braquet de 23x7, sous prétexte qu'il est trop
jeune pour pousser un braquet normal. Il y a peut-être
là une erreur.
Mon associé Tiberghien et moi avons voulu, cependant,
encourager les jeunes en créant le Grand Prix Egg et
Tiberghien, comportant 12.000 francs de prix et réservé
aux amateurs de troisième et quatrième catégories,
indépendants et débutants. Nous avons cherché une
formule nouvelle, mais avons adopté un parcours
classique : Versailles-Rambouillet et retour par la
Minière, 63 kilomètres.
Le lundi de Pâques, 18 avril prochain, la course se fera
en ligne ; le dimanche suivant 24 avril, et toujours sur
le même parcours, une épreuve contre la montre, réservée
aux soixante premiers de la première épreuve, avec
départs séparés chaque minute. Le dimanche 15 mai, la
troisième épreuve sera disputée en handicap (six
minutes), départ par peloton toutes les minutes pour les
coureurs ayant terminé la première épreuve, le handicap
étant établi d'après les résultats obtenus dans les
première et deuxième épreuves. Nous croyons au succès de
cette épreuve. L'avenir nous dira si nous nous sommes
trompés.
UN
GRAND ROUTIER : F. FABER [...] UN SPRINTER PRODIGIEUX : FRANK KRAMER [...]
COMMENT
JE M'ENTRAîNAIS
Il ne suffit pas de vouloir
courir. On ne saurait prétendre à la victoire si l'on
n'accepte pas le dur et monotone travail de
l'entraînement. S'il arrive aux meilleurs coureurs
d'être battus par des adversaires qui ne possèdent pas
autant de qualité qu'eux, c'est parce que leur
préparation est insuffisante ou mauvaise. La classe et
le courage ne peuvent suffire : l'entraînement, qui
permet de faire parler la classe et qui lui donne son
plein effet, s'impose.
C'est parce que, dès mes débuts, je reconnus
l'importance d'un entraînement sévère et régulier, que
je m'y suis toujours astreint. Je ne l'ai jamais négligé
et je mets sur le compte de cette persévérance la
réussite que je connus.
Il n'y a pas une formule exacte d'entraînement pour les
coureurs cyclistes. Les méthodes doivent différer
suivant les tempéraments. Et je suis encore de cet avis
que la méthode choisie ne doit pas être tellement
rigoureuse qu'elle devienne suppliciante. On cite, et
avec raison, la méthode adoptée par le grand coureur que
fut Frank Kramer, et dont j'ai eu l'occasion de parler.
Elle supprimait tous les plaisirs, toutes les petites
joies que la vie offre et qui ne peuvent paraître
abusives. On ne saurait, parce que l'on est coureur,
vivre en ascète. Mais il est nécessaire, cependant,
d'être sévère pour soi-même.
Il est trois points sur lesquels je n'ai jamais transigé
: ne pas fumer, boire très peu, se coucher tôt. Ce ne
sont pas là des sacrifices tels qu'ils puissent
apparaître comme des obligations désagréables. J'ai pris
l'habitude de me coucher à dix heures du soir, en ayant
soin de me couvrir d'un pyjama de flanelle. Me couchant
tôt, je pouvais me lever de bonne heure. En été, j'étais
souvent dans le Bois à six heures du matin, me promenant
à bicyclette, avec le seul souci de respirer à pleins
poumons. Lorsque je n'étais pas aussi matinal, je me
levais toujours avant sept heures et faisais, dès le
réveil, cinq à six minutes de culture physique. Mes
mouvements avaient pour but de faciliter la respiration
et de conserver la souplesse. Je faisais ensuite ma
toilette avec grand soin, car l'hygiène est un des
principaux facteurs de l'entraînement utile. Mon petit
déjeuner se composait de fruits, de café au lait et de
pain beurré.
Mais, quand je pratiquais un entraînement intensif,
j'ajoutais à ce repas deux ½ufs à la coque. Une heure de
repos et je partais à l'entraînement, couvert de laine
(bas, caleçon et gilet) et sans veston, ce vêtement
étant remplacé par un maillot épais ou un sweater.
En 1917, alors que j'étais en pleine forme, le travail
physique que je m'imposais m'avait amené aux
mensurations suivantes : Hauteur : 1 m. 77 [...] Poids :
72 kg. 850.
L'entraînement pour la piste
Lorsque je me préparais à courir sur piste, je couvrais,
le matin, 25 à 30 kilomètres au maximum sur une route
plate. A bonne allure, toutefois, quand le temps le
permettait. Si le froid était excessif ou s'il pleuvait,
je remplaçais l'entraînement à vélo par une séance de
home-trainer, dont j'ai construit un modèle intéressant
et que mes camarades me réclament souvent. Si je ne
faisais pas de home-trainer, je remplaçais la séance par
une marche assez rapide et me frictionnais sérieusement
ensuite avec une serviette-éponge. Au cours de
l'après-midi, vers 4 heures, je m'entraînais pendant
trente ou trente-cinq minutes sur la piste. L'allure
lente du début était accélérée progressivement et je
terminais à toute allure. Descendu de vélo, mon masseur
me prenait et, pendant une heure, remplissait ses
fonctions avec énergie.
L'entraînement pour la route
Lorsque je m'entraînais pour une épreuve sur route, je
roulais le matin, sur des routes plates, pendant une
cinquantaine de kilomètres. Au retour, je me confiais à
mon masseur, je me reposais l'après-midi. Toutefois,
chaque semaine, je faisais une randonnée de 120 à 150
kilomètres.
Mais je ne m'entraînais jamais à la veille ou au
lendemain d'une épreuve ; je sortais en vélo une heure
ou deux pour me promener.
Comme nourriture, tous les aliments qui me plaisaient,
en évitant toutefois les mets lourds et indigestes - les
ragoûts ou les plats accompagnés de sauce. Jamais
d'alcool. Un peu de vin rouge ou de bière pendant les
repas. Si la fatigue avait été grande, de l'eau de
Vichy. Après le déjeuner, une tasse de café léger ;
après le dîner, une tasse de camomille. Cela peut faire
sourire de lire qu'un coureur qui se prépare à de gros
efforts ingurgite des infusions aussi calmantes. Mais
puisque, à l'usage, on constate qu'elles sont
excellentes...
Quelques conseils
Les jeunes, chaque jour plus nombreux, que la bicyclette
attire, que les courses d'amateurs tentent quelque peu
et qui nourrissent souvent l'intention, s'ils
réussissent à leur début, de tenter de courir, en se
disant qu'avec le travail ils arriveront à faire aussi
bien qu'Untel et mieux que tel autre, désir bien
légitime et dans lequel je vois une manifestation de
tempérament sportif, me permettront de leur donner
quelques conseils. Il m'en fut donné, que je suivis
ponctuellement, en m'efforçant de les adapter à mes
moyens personnels, et je m'en suis fort bien trouvé.
J'estime qu'il est imprudent de courir avant dix-huit
ans. Encore doit-on, à cet âge et jusqu'au développement
plus complet que l'on atteint vers la vingtième année,
limiter son effort. L'U.V.F. a, d'ailleurs, pris, à ce
sujet, des dispositions fort sages et qui sont
exactement basées sur les possibilités physiques de la
majorité des jeunes gens.
Je voudrais attirer l'attention des jeunes sur trois
points que j'estime importants : la position en machine,
la multiplication et l'hygiène en course.
La position en machine doit être aisée et telle que le
maximum de rendement soit obtenu avec le minimum
d'efforts. Il faut la chercher longuement et répéter les
essais sans hésiter à changer la hauteur du guidon ou de
la selle, si on ne se sent pas en parfait équilibre. La
hauteur de la selle doit être basée sur l'entre-jambes,
le talon devant pouvoir toucher la pédale, lorsque cette
dernière est à la limite inférieure de sa course, la
jambe étant tout à fait tendue.
La multiplication ne doit pas être exagérée, ni pour
l'entraînement ni pour la course. Les coureurs ayant,
voulu utiliser de trop grands développements n'ont pas
duré bien longtemps. Et je citerai deux
dispositions-type pour la route et pour la piste : 48
dents au grand pignon et 18 au petit pour la route ; 24
dents et 7 pour la piste.
Quant à l'hygiène en course, elle est fort simple : il
est indispensable de manger souvent, sans attendre
d'avoir faim ; la fringale peut être cause d'une
défaillance difficile à surmonter. Elle impose à
l'estomac un travail inutile. Et l'estomac, pour un
coureur, est aussi nécessaire que les jambes.
J'ajoute, et ceci est quelque peu en dehors des conseils
directs que l'on peut donner, que la bonne tenue de
soi-même s'impose. Bonne tenue générale, dans le costume
comme dans les propos. Etre correct est une chose
facile. Etre cité pour sa correction est une chose
agréable.
Le palmarès sportif d'Oscar Egg,
en résumé
- Record de l'heure battu trois fois, entre 1912 et
1914, en alternance avec Marcel Berthet ; le dernier
(44,247 km) a tenu 19 ans.
- Deux étapes du Tour de France (1914), Paris-Tours
(1914), Milan-Turin (1917), plusieurs records du monde,
des Six jours et d'innombrables courses sur piste et
derrière moto.
- Pendant la première guerre mondiale, exilé en 1915 et
1916 aux USA, il réussit une brillante carrière dans les
Six Jours.
Agence Meurisse, 1914
et en images
Agence Rol, 1912
Vel' d'hiv',
7/11/20, Oscar Egg, gagnant de la course des 50 km
derrière entraîneurs à tandem Agence Rol
Fin mars
1921, Six jours, Oscar Egg dans un lit aménagé dans
l'enceinte du Vel' d'Hiv' Agence Rol
Sa carrière
Voici son portrait qui fut publié par la revue La
Pédale, le 6 mai 1924.
A tout seigneur, tout honneur. Nous
entendons aujourd'hui inaugurer la série de nos « Fines
Pédales » par l'homme qui détient le plus beau,
parce que le plus athlétique, des records cyclistes, le
citoyen - de la libre Helvétie - Oscar Egg, recordman du
monde de l'heure sans entraîneurs avec 44 km. 247.
[En 2024, le dernier record a été
établi, le 8 octobre 2022, par Filippo Ganna, en
courant 56,792 km sur le vélodrome de Granges, en
Suisse.]
Oscar Egg est un homme heureux. Cela se voit sur sa
figure. Et pourtant, il a une histoire, comme tous les
grands champions du cycle qui ont traîné leur maillot de
fil ou de soie un peu partout. L'histoire d'Oscar Egg,
Messieurs les lecteurs, est trop longue pour que nous
entreprenions de vous la conter entièrement ici ; tout
au plus nous contenterons-nous de vous présenter le
phénomène - on l'a considéré comme tel au moment où il
s'adjugea le record fameux.
Mais, au fait, vous connaissez
bien, physiquement, Oscar Egg, ou vous n'êtes
pas digne, alors, d'être un lecteur de La
Pédale. Il ne se peut pas que vous n'ayiez
jamais vu en action cette puissante machine à
abattre des kilomètres, composée d'une paire de
bielles solides et tournant rond, d'un corps fin
et cependant bien musclé et enfin d'une tête qui
indique bien que l'homme aime aller vite,
puisqu'elle s'orne d'un appendice nasal
délicieusement épointé et de cheveux blonds
impeccablement plaqués sur le crâne afin de
diminuer, sans doute, la résistance à
l'avancement.
Tête sympathique
incontestablement, puisque Egg est une des
idoles de cette foule vibrante qui s'élance
chaque dimanche à l'assaut des gradins
vélodromesques et qu'il peut se vanter d'être un
de ceux qui eurent le moins à souffrir de ses
sautes d'humeur.
Voilà, physiquement, comment se présente notre
héros. Examinons-le maintenant intérieurement,
si on peut dire.
Tout d'abord, Egg est un garçon sérieux, sous
tous les rapports. Cette qualité maîtresse lui a
même valu d'être pris en enfilade par les
mirettes de quelques uns de ses collègues. On
n'admet pas beaucoup, dans le monde où l'on
cycle, les gens réservés et l'on a un peu trop
tendance à les soupçonner de dédain. Egg est un
type froid : il ne s'emballe pas facilement, à
moins que ce ne soit au sprint. Volontaire, il a
fait son chemin, non seulement dans ce sport
cycliste, mais également dans les affaires.
Ces deux branches de son activité lui
ont déjà rapporté quelques sous, ce dont il est tout
heureux, car il en est « très près ». D'aucuns
l'accusent d'avarice ; ils exagèrent. Il se défend, et
même très bien. Oh, ce n'est certes pas lui qui gâchera
le métier de coureur cycliste ; il préfère s'abstenir
que de courir pour une somme qu'il estime inférieure à
ce que vaut sa réputation - à moins, naturellement,
qu'il ne s'agisse, de rendre service.
Pour terminer cette présentation morale, ajoutons que
Egg est un garçon d'une tenue irréprochable, d'une
éducation soignée ; sa conversation est agréable. Plutôt
timide, il semble réfractaire aux nouvelles
connaissances, puis, une fois la glace rompue, il
devient le plus charmant des interlocuteurs. Que de
souvenirs il peut alors évoquer ! Oscar Egg est né le 2
mars 1890 à Schaffouse, en Suisse. Le papa Egg était un
sportif et, de temps à autre, il se risquait sur la
petite piste de Hardan. Le gosse Oscar, qui pouvait
alors avoir dans les quatre ans, l'encourageait en
trépignant.
Plus grand, Oscar entra à l'Ecole technique de Zurich
pour y terminer ses études. Travailleur consciencieux,
il fit de rapides progrès. Quelle était sa distraction
favorite ? Le vélo, pensez-vous. Que non : le football,
la natation et la gymnastique !
Plus grand, Oscar entra à
l'Ecole technique de Zurich pour y terminer ses
études. Travailleur consciencieux, il fit de
rapides progrès. Quelle était sa distraction
favorite ? Le vélo, pensez-vous. Que non : le
football, la natation et la gymnastique ! A 17
ans, Egg vint à Paris pour se perfectionner dans
le métier de dessinateur industriel qu'il avait
adopté. Seul, il s'y ennuya et acheta un vélo
touriste avec lequel il entendait se rendre à
son travail et employer ses loisirs à quelques
excursions dans la région parisienne. Amateur de
sports, il rendit quelques visites à la
Municipale ; les exploits de nos amateurs ne lui
dirent absolument rien. Des amis l'entraînèrent
au matin de Paris-Roubaix 1909, et quelques
kilomètres dans le sillage du peloton lui
valurent le coup de foudre.
Peu après, ayant tout juste
changé le guidon de sa machine de touriste, il
débutait, dans le Premier Pas. Une chute
l'empêcha de terminer. Sa seconde course,
Asnières-Viarmes, fut une victoire. D'autres
succès lui valurent d'être remarqué par Léopold
Alibert, alors directeur du Service des Courses
de Peugeot. En même temps qu'il était devenu «
indépendant », Oscar continuait à dessiner
chez Panhard et Levassor. On lui accorda, dans
cette dernière firme, toutes facilités pour
courir, et les exploits qu'il put acomplir lui
valurent, fin 1911, un engagement comme
« pro » pour la cage aux lionceaux.
Départ de l'épreuve "100 kilomètres derrière
tandems" au stade vélodrome Buffalo, 1912 Agence Rol
Ce fut le départ d'une carrière
excessivement bien remplie. Sur route, sur piste ;
avec entraîneurs, sans entraîneurs, en demi-fond, en
vitesse, Egg brilla partout.
Ses premières escarmouches
avec Marcel Berthet pour le record de l'heure et
aussi le titre de recordman du monde des 50
kilomètres sans entraîneurs qu'il avait ravi à
Hoffbourg lui firent, en peu de temps, une
renommée mondiale.
Tentative de record du
monde des 50 kilomètres, au stade vélodrome
Buffalo,1927
Agence Meurisse
Tentative de record du
monde des 50 kilomètres, au stade vélodrome
Buffalo,1927
Agence Meurisse
Egg fut demandé en Amérique ;
par l'entremise de Victor Breyer, représentant
en France de la National Cycling Association
d'Amérique, un contrat lui fut offert par John
Chapman pour les Six Jours de Madison auxquels
il participa en 1912 avec Perchicot.
Pesée
à l'arrivée du Tour de France 1914
Agence Rol
En 1914, Egg devint à la fois
champion de Suisse sur route et sur piste,
définitif recordman du monde de l'heure,
vainqueur de deux étapes du Tour de France,
vainqueur de Paris-Tours.
Après la déclaration de
guerre, il retourna en Amérique afin d'y remplir
un engagement signé depuis quelques mois ; il y
rencontra en vitesse, en poursuite, en
américaine, derrière tandems et derrière motos
les meilleurs spécialistes du Nouveau Monde.
Puis ce fut, en 1917-18, une glorieuse
campagne d'Italie, courant un dimanche sur route,
l'autre dimanche sur piste, tantôt en vitesse, tantôt en
demi-fond et rencontrant à chaque fois les Girardengo et
autres Belloni avec lesquels il s'entrebattit, souvent
heureusement. Sur route, il décrocha Milan-Côme-Turin,
Milan-Turin, et Milan-Modène.
Il revint en France, reprenant la série de ses victoires
sur piste acquises sur les Lapize, Berthet, Sérès,
Parent, Henri Pélissier, enlevant le Grand Prix de
Pâques vitesse, tout cela avant l'armistice. La paix le
trouva plus brillant que jamais, au train comme en
vitesse. Sur route, il se distingua encore dans le
Circuit des Champs de Bataille, dont il enleva une
étape. Mais où l'homme s'était surtout amélioré, c'était
en endurance et il le fit bien voir dans les multiples
courses de Six Jours auxquelles il prit part.
Actuellement, il en est à sa 21e Six Days et
il a totalisé huit victoires.
Entre temps, il s'essaya à nouveau
sur la route. Ce fut à l'occasion de Paris-Roubaix 1922.
Il fit quelques 100 kilomètres, puis il comprit...
Actuellement associé avec son vieux camarade lionceau
Hector Tiberghien, il fait - et très bien - dans les
articles de sports. La boutique de la rue de Chartres, à
Neuilly, est prospère et la dot de Mlle Lucette Egg sera
rondelette.
Oscar envisage à présent la succession
de Léon Georget. En courant après le Bol d'Or,
gagnera-t-il le coquetier ?
Maurice DROIT.
La victoire du 21e Bol d'Or est, effectivement,
revenue au champion suisse Oscar Egg, lequel prit la tête depuis
la première minute et la conserva jusqu'à la dernière.
Ses innovations techniques
Le bidon léger en aluminium et la
pédale de piste
Dans son édition du 22/11/1923, la même revue nous informe sur
ses voyages et nous fait connaître les premières innovations
mises au point et commercialisées par Oscar Egg :
Aujourd'hui, Oscar Egg s'embarque pour
l'Amérique ; il effectuera le voyage en compagnie de la
toute jeune et jolie Mistinguett et nous devons à la
vérité de dire que ce n'est pas la première fois que les
deux étoiles du music-hall et de la piste traversent
ensemble la « mare aux harengs ».
Peu de chance cependant pour qu'Oscar
accorde aux flûtes spirituelles de la divette une
attention exagérée, car il a déjà pas mal de... pain sur
la planche. En effet, dès son retour de New-York, il
participera aux Six-Jours de Milan, puis retournera à
Madison Square pour les Six-Jours de Printemps et
reviendra enfin en vitesse pour les Six-Jours du
Nélaton-Palace.
Pour la première de ces épreuves, Egg
espère faire équipe avec Brocco ou avec Debaets. Qui
avait-dit, l'an dernier, qu'il s'était entendu pour
toujours avec Van Kempen ? Il s'agissait sans doute
d'une Entente Cordiale en miniature.
Puisque nous parlons de Egg, disons
qu'il va mettre en vente, dès janvier prochain, deux
nouveaux articles qui, espère-t-il, auront un gros
succès. D'abord, un bidon en aluminium pour les
routiers, objet qui permettra de gagner 90 grammes sur
le système actuel des bidons en fer, et qui ne coûtera
pas plus cher ; ensuite, une pédale de piste,
dont le premier modèle, que nous ayons eu sous les yeux,
est un véritable bijou.
Le monsieur qui, ayant adopté la
pédale Egg et les poignées Berthet, ne battra pas le
record de l'heure, sera un fameux tocquard !
Le dérailleur
Un coureur français, utilisant le
dérailleur d'Oscar Egg au Tour de France 1930
Le dérailleur était une invention des cyclotouristes,
perfectionnée depuis 1895.
En 1937, l?usage du dérailleur a été autorisé pour le
Tour de France, avec un seul modèle pour sauvegarder
l?égalité des chances.
Le modèle approuvé était le « Super Champion »
d'Oscar Egg. C'était un modéle amélioré du premier,
"Champion", conçu en 1932 selon le même principe qu'un
dérailleur italien "Vittoria", avec un système de
tension de la chaîne.
Bientôt, il fut adopté par toutes les grandes marques.
Le vélo-fusée
Oscar Egg, pour maintenir son record vieux de 20 ans, a
imaginé un carénage, constitué d'une feuille de métal de forme
conique, fixée à l'arrière de la selle, pour favoriser
l'écoulement de l'air.
Toujours
plus vite
Poulain, champion cycliste de jadis,
avait voulu réaliser la bicyclette volante. Il vola
d'ailleurs une dizaine de mètres avec son invention, ses
grands espoirs et son audace. Et puis on ne parla plus
de l'aviette. C'était une démonstration.
Pour aller plus vite avec un vélo
roulant à terre, Marcel Berthet avait essayé le
vélo-torpille. L'appareil était quelque peu encombrant.
L'ancien rival de Berthet, Oscar Egg, vient d'essayer le
vélo-fusée. Un dispositif placé derrière le coureur
supprime une partie de la résistance qu'offre - trop
généreusement - le vent. On gagne ainsi en vitesse. Le
vélo-fusée est une conception assez heureuse puisque le
résultat cherché est obtenu. On perfectionnera
peut-être. La volonté du recordman de l'heure sans
entraîneur doit le laisser croire.
Match l'Intran,
25/10/1932
Le vélo à pédalage horizontal
Oscar Egg fut également un pionnier du vélo en position
de pédalage horizontal. Son record de 1913 a tenu 20
ans.
Les vélos de ce type étant alors devenus plus
performants que les bicyclettes traditionnelles, l'Union
Cycliste Internationale, qui régit les courses et
homologue les records, décida de les interdire.
Les motocyclettes d'Oscar Egg
Oscar Egg a commercialisé des motocyclettes, à partir
de 1948.
Il a d'abord adapté le moteur Cucciolo de la société
italienne Ducati à l'un de ses vélos. Il utilisa,
ensuite, le moteur fabriqué par la société française M.
Rocher sous licence de Ducati.
Oscar Egg, qui fut un des premiers à bien gagner sa vie
grâce aux courses sur piste, a investi une partie de cet
argent dans le cyclisme, notamment en sponsorisant une
équipe de coureurs.
La société des cycles Oscar Egg
Avant de prendre sa retraite sportive, en 1926, ainsi
que son ami Hector Thibergien, coureur cycliste belge,
avec lequel il s'était associé, Oscar Egg avait créé une
société pour développer et commercialiser ses nouveaux
équipements ainsi que des vélos de course et de ville.
Dans son atelier, il faisait travailler des cyclistes,
jeunes et anciens.
L'ancien
champion Oscar Egg n'oublie pas les coureurs
Oscar Egg qui, entre autres records,
détint pendant vingt ans l'athlétique record de l'heure
sans entraîneur, abandonna la piste il y a quelques
années pour installer d'abord une bonneterie sportive,
puis lancer une marque qui connaît grand succès, et
enfin un dérailleur essentiellement pratique et qui, dès
son apparition, fut adopté par les plus grandes marques
et devint le changement de vitesse essentiellement
populaire.
Sa vogue est telle qu'Oscar
Egg dut aviser à l'aménagement d'un atelier
important et rechercher, pour la main d'oeuvre,
de nombreux ouvriers. L'ancien champion décida
de s'adresser aux coureurs, aux anciens, pour
lesquels l'heure de la retraite approche, aux
jeunes auxquels leurs premiers pas dans la
carrière ne sauraient permettre de vivre.
Oscar Egg forma sa troupe. De
l'ex-stayer Vallée il fit un chef d'atelier
averti qui, aux heures de loisir, reprend le
vélo pour courir, le dimanche, les courses
ouvertes du Vel' d'Hiv'. Il s'y comporte
d'ailleurs excellemment. Arthur et Georges
Sérès, fils du grand champion de demi-fond,
trouvèrent là une occupation lucrative. Et le
premier n'interrompra momentanément son travail
que pour aller courir, prochainement, une ou
deux courses de six jours en Amérique en
Compagnie de Levet, un autre jeune de bonne
classe.
Simonnet, gagnant du Premier Pas
Dunlop 1932, est venu grossir la troupe, comme Eugène
Dhers, qui fut quatrième de la catégorie des isolés dans
le Tour de France de 1924, et Thallinger, joyeux coureur
autrichien qui n'abandonne pas l'entraînement pour cela.
Le neveu du grand champion routier que fut le regretté
François Faber est là, lui aussi. Trois autres anciens
professionnels collaborent également, à la diffusion du
changement de vitesse qui aura ainsi permis à une
dizaine de coureurs de trouver l'occupation qui permet
de vivre - en roue libre - en gaîté aussi.
René Bierre. Match l'Intran, 5/2/1935
Oscar Egg avait établi des magasins à Paris, avenue de
la Grande Armée, haut lieu du commerce des cycles dès la
fin du siècle précédent, aux numéros 43 et 57 ; on peut
toujours y acheter des deux-roues, mais motorisés !
Il y vendait également des articles textiles pour le sport
qu'il faisait fabriquer.
Oscar Egg aurait vendu un million de dérailleurs "Super
Champion" de 1932 à 1939. Deux sociétés le
construisirent ensuite, sous licence, jusqu'en 1950.