Les jardins d'Octave Mirbeau à Carrières-sous-Poissy et à Triel


Nous avons transcrit un extrait du livre intitulé Deux essais - Octave Mirbeau, Romain Rolland, publié en 1914, que l'auteur avait rédigé en 1910.



Marcel Tendron (1884-1933), dit Marc Elder, a été conservateur du Musée des Beaux-arts de Nantes et du château des ducs de Bretagne ; il était poète, peintre, musicien et romancier.

Le Bulletin de la vie artistique (Tome I 1919-1920) nous donne quelques informations sur lui, à propos de son initiative de créer, à Nantes, une association, la  Société  d’initiative  et  de  documentation  artistiques ;celle-ci avait pour but de rassembler  des  ressources  en  stimulant  la  générosité  des  amis  de l’art, d'acheter  des  ½uvres  modernes  en  recherchant  surtout  des talents  nouveaux et d'informer  le  public  de  toute  tentative  artistique : "Marc  Helder,  membre de  la  commission  du  musée  de  Nantes,  lauréat  du  prix  Goncourt, joint  à son  beau  talent  de  romancier  une  culture  artistique  très  averti ". Le prix Goncourt lui  a été décerné en 1913, pour son ouvrage Le peuple de la mer, décrivant la vie quotidienne des marins-pêcheurs sur l'île de Noirmoutier.>





Sur le coteau de Cheverchemont, au-dessus de Triel, s'élève une claire maison aux murs lumineux dans le neuf des pierres et de la chaux, aux tuiles fraîches, aux peintures vives, les pieds cachés parmi des massifs de pois de senteur, d'asters, de roses et de plantes vertes qui montent tumultueusement aux façades d'une poussée de leur forte sève. Et par le jardin, tout alentour, ce sont les grandes taches colorées des fleurs répandues à profusion, le jaune ardent des soleils, les ramages bruyants des dahlias, et tout le long des allées, où elles débordent sauvagement, des capucines naines aux tons de minium, d'ocre, de sang, et encore des buissons d'asters à peine bleutés, de pois de senteur luxuriants dont les lianes enchevêtrées portent des fleurs multicolores, si légères qu'elles semblent prêtes à s'envoler.

Le coteau s'incline assez brusquement vers la Seine, qu'on aperçoit par plaques miroitantes au fond de la vallée, en amont et en aval du bourg dont on découvre seulement le clocher, et le petit cimetière carré, enclos de murs bas, où les tombes se serrent, près à près.

Le coteau s'incline assez brusquement vers la Seine, Tout entier livré désormais à sa passion des fleurs, M. Octave Mirbeau jardine.

Le coteau s'incline assez brusquement vers la Seine, Il avait déjà créé, à Carrières-sous-Poissy, autour d'une maison également noyée de lumière, un jardin tout planté d'iris du Japon et de magnolias qui paraissent, à la floraison, se couvrir de nymphéas blancs. Il avait créé, aussi, cet effarant Jardin des supplices où des champs de pivoines et de roses, les pieds dans le sang, éclatent de couIeur sous le vol des paons merveilleux. Il a toujours voulu dans son intérieur des gerbes en harmonie avec les étoffes. Et maintenant, il vient une dernière fois d'ordonner un jardin où il demande à la nature, pour la joie de ses yeux, de répéter et de prolonger ses miracles.



Le coteau s'incline assez brusquement vers la Seine, Grand, les épaules à peine alourdies par la soixantaine, la face énergique un peu renfrognée, mais les yeux bleus si clairs, il va au travers des allées, observant ses plantes et les admirant, soucieux de leur santé et cueillant d'une main douce les fleurs fanées, les boutons flétris, pour qu'elles soient toujours belles. Il fait venir d'Angleterre, où les horticulteurs, dit-il, sont plus habiles que chez nous, la plupart des espèces, particulièrement celles qui sont près de la nature, peu compliquées et vivantes. Il a horreur du camélia de zinc, du géranium bourgeois, mais reste tout émerveillé devant la moindre marguerite légère sur sa tige à peine courbée.

Et qu'un train paraisse au fond de la vallée, courant au travers des villages, des bouquets d'arbres, où sa chevelure s'accroche par flocons, qu'un autre ébranle, tout haletant, la ligne voisine ou siffle à la gare proche, et la sensibilité de l'artiste vibre encore, tout heureux de voir la vie forte passer dans un grondement, d'entendre à son côté le tumulte pacifique des hommes en conquête.

Car le même amour attache M. Octave Mirbeau à la nature et à l'humanité dans leur puissance créatrice. La marche en avant, à grands pas, l'évolution vers un équilibre plus parfait, vers du bonheur peut-être, la transformation sous toutes ses formes, dans le but d'atteindre plus de beauté, plus de justice, ont toujours emballé ce fervent chercheur d'absolu. Et puis, la transformation c'est la vie, le renouvellement par la fécondité expansive, et M. Octave Mirbeau a toujours été tourné vers la vie grouillante, dédaigneux du passé qui est de la mort.

Il faut avoir visité la claire maison du coteau pour comprendre quel c½ur jeune, quel esprit bien moderne hante ces appartements largement ouverts sur le soleil. Le cabinet où il travaille n'est qu'un vaste bow-window tourné vers l'occident, vers les lointaines collines où l'astre écarlate sombre chaque soir dans une brume mauve. Sur la droite, et tout près, les maisons blanches d'un petit village s'appuient l'une à l'autre pour ne pas rouler sur le versant parmi le damier irrégulier des prairies, des champs et des guérets roux.

Toutes les pièces sont peintes ; il n'y a point de papier. Le cabinet est d'un vert très doux avec des meubles d'acajou rouge, et sur les murs l'oeuvre éclatante de Cézanne resplendit étape à étape. Le mobilier clair de la salle à manger chante avec le jaune serin des peintures, et là ce sont des gerbes d'iris, des soleils de Van Gogh, toute une harmonie merveilleuse de nuances chaudes et vibrantes. Dans le salon, d'autres Van Gogh, le portrait du père Tanguy, ce vieux marchand de tableaux qui se ruina au temps où l'art primait l'argent ; une femme nue de Renoir, parfaitement éblouissante ; et ici et là, des Forain, des Degas, des Pissaro, des Monet, le vieil ami retiré à Giverny parmi les fleurs, des Rodin exubérants, comme si le sang leur battait aux veines.

M. Octave Mirbeau a composé lui-même les teintes de ses peintures murales pour arriver au maximum d'accord avec toutes ces ½uvres des artistes de la lumière et de la force qu'il défendit le plus énergiquement alors que les chiens de la tradition leur aboyaient aux trousses, incapables de comprendre un art spontané, sans autre loi que le caractère et la clarté.

M. Octave Mirbeau est bien de son époque, du moins dans ce qu'elle a d'humanité pensante, sensible et juste. Il accueille joyeusement le progrès et s'en sert. Il ne regrette pas autrefois, à la manière des hommes qui redescendent la pente ; et s'il garde un éc½urement de ses luttes et du contact des humains, il sait encore faire rendre à l'existence décevante autant de beauté qu'elle en peut donner.


La passion de l’horticulture



Les jardins d'Octave Mirbeau font l'admiration des visiteurs, notamment d'Edmond de Goncourt qui a écrit : « Dahlias, glaïeuls, des espèces inédites d’iris crées par O. Mirbeau, des graines, croisements, hybridations. Il y avait une sorte de bassin sablé ou poussait des iris importés directement du Japon. »

Camille Pissarro a réalisé plusieurs peintures du premier jardin d'Octave Mirbeau qui se trouvait à Damps dans l'Eure. Les deux amis ont échangé des correspondances à propos des fleurs de ce jardin.

Le Musée des Impressionnistes de Giverny nous les fait connaître dans un podcast.





Octave Mirbeau échangeait des graines et des boutures avec Claude Monnet, qui lui a donné 3000 tuteurs. Dans son jardin de Carrières-sous-Poissy, il avait installé un poulailler où il élevait des poules exotiques ; sa femme Alice vendait les ½ufs à un marchand de Poissy.

 

Michel Kohn