Les sports olympiques villennois / le cyclisme
Louis Jallabert, coureur et entraîneur cycliste
devenu restaurateur au bord de la Seine


L'adepte de la petite reine

 

Cette carte postale, dont la face illustrée représente l'hôtel-restaurant Jallabert du bord de la Seine à Villennes, a été envoyée en Belgique, en 1908, par Louis Jallabert et quelques uns de ses amis d'un club cycliste, vraisemblablement l'Union Vélocipédique Paris Star.

Elle était adressée à son président, Léopold Alibert, alors directeur sportif de l'équipe Peugeot qui participait au Tour de Belgique.

Bien avant son homonyme Laurent Jalabert (avec un seul l), Louis Jallabert a été, en effet, un coureur cycliste et un entraîneur. A cette époque, ce mot désignait ceux qui, dans les courses de demi-fond, conduisaient la "machine" précédant un coureur (stayer) pour lui donner de la vitesse. Les jambes de trois à cinq cyclistes furent remplacées par des tandems et tricycles à pétrole puis des motocyclettes, dont les moteurs étaient plus puissants.

La revue mensuelle de l'Union Vélocipédique de France a relaté, dans son édition de février 1907, que Louis Jallabert était devenu restaurateur à Villennes. L'article nous relate, également, une amusante anecdote sur ses fiançailles.

 

Jallabert, le conducteur de la fameuse quadruplette Jallabert, tient à Villennes (Seine-et-Oise) - charmant petit pays situé au bord de Seine à proximité de Poissy - un restaurant-hôtel de premier ordre. Les sportsmen connaissent bien la maison de Jallabert, et pour cause ...
Quant à Jallabert lui-même, il est devenu le restaurateur modèle prenant son rôle très au sérieux.
Cordiale réception, bonne cuisine, que demander de plus à l'ancien entraîneur de Linton ?

Un mariage où la question d'argent fut drôlement posée a été célébré à Dusseldorf.Le futur beau-père avait promis de donner comme dot à sa fille son poids d'argent. Et ainsi fut fait. Quand le gendre arriva dans le salon de fiançailles, de nombreux témoins se pressaient autour d'une balance enguilandée de verdure et de fleurs.
La douce fiancée prit place dans l'un des plateaux tandis que les employés du généreux beau-père entassaient des pièces d'argent dans l'autre. Quant l'aiguille parvint au milieu du fléau, on compta : la jeune fille valait 13.215 marks de bon argent.
Gageons qu'en dépit des règles de l'esthétique, le fiancé l'eut souhaitée plus grosse.


Louis Jallabert a participé à la course Paris-Trouville en août 1893. Selon le journal Le Véloce-sport, organe de la vélocipédie française, il n'était pas à l'arrivée parmi les 20 premiers.



 

Il s'est, surtout, illustré sur des engins à plusieurs selles et pédaliers :   triplettes, quadruplettes et, même, quintuplettes. 

Les journaux Le Véloce-sport et Gil Blas ont mentionné les triplettes et quintuplettes Jallabert dès 1897.

Ces "multicyclettes" étaient utilisées dans deux types de compétitions sur pistes :

- Des courses entre elles, nommées "courses de machines multiples" ;


- Des courses de demi-fond, où elles précédaient les coureurs individuels pour les entraîner.

Toutefois, dans certains vélodromes trop étroits, ces compétitions pouvaient être dangereuses pour des "machines" mues par trois à cinq pédaleurs.

 

SPORT VÉLOCIPÈDIQUE

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. En la circonstance, ce vers peut s'appliquer aux malheureux coureurs qui affrontent la piste si exiguë du palais des Arts libéraux et qui doivent faire des prodiges d'adresse pour conduire une quadruplette à peu près dans le droit chemin.
Hier encore de nouvelles chutes se sont produites, tant parmi les entraîneurs que parmi les concurrents de la course des trois jours.

Chevalier, Jallabert et Armstrong sont !es plus atteints. Les deux premiers ont l'arcade sourcillère gauche fendue ; Armstrong se plaint de douleurs dans îa poitrine et d'une blessure a la jambe ; Descaves et Debain sont moins blessés ; néanmoins ils ont tout le côté gauche rempli d'ecchymoses.
La direction finira-t-elle par comprendre que de pareilles exhibitions nuisent au sport et qu'il est dangereux de laisser des quadruplettes entraîner sur une piste aussi étroite ? Nous le souhaitons sans oser l'espérer. [...]

Le Gaulois, 8/2/1897

II y a en ce moment au palais des Arts libéraux du Champ de Mars, de « grandes courses vélocipédiques ». Tous les soirs, les amateurs de ce genre de sport s'amusent à voir courir sur une piste macadamisée qui rappelle celle du « skating » de la rue Blanche, des « velocemen » déguisés en jockeys et montés sur des machines très légères. Il y a même, au milieu de la piste, des « bookmakers » et naturellement un grand nombre de parieurs. Ce serait commettre une singulière confusion que de juger les progrès de la vélocipédie et ses côtés pratiques et hygiéniques d'après le spectacle dont on peut jouir actuellement au Champ de Mars. Les courses vélocipédiques ressemblent aux courses de chevaux des hippodromes suburbains. Ni les unes ni les autres n'ont évidemment pour but principal de développer parmi nos compatriotes le goût de l'équitation ou celui de la vélocipédie et ceux qui assistent à ces matchs n'ont guère qu'une pensée, celle du lucre.




La piste installée en 1890 dans l?ancien Palais des Arts Libéraux de l?Exposition universelle de 1889 n'a pas été longtemps utilisée : les lignes droites étaient très courtes à cause des quatre piliers supportant le dôme et les nombreux bookmakers présents à l'intérieur de la piste étaient à l'origine de divers incidents.

Avant la construction du Vél d'Hiv, un premier vélodrome d'hiver fut ensuite installé dans un autre bâtiment restant, au Champ de Mars, de l'Exposition universelle : la Galerie des Machines.

Un demi-siècle plus tard, Cyclette revue (Les Anciens du cyclisme) a publié les souvenirs de l'ancien champion Constant Huret (1870-1951), qui avait été entraîné par la triplette de Louis Jallabert. Il avait servi de modèle à Henri de Toulouse-Lautrec pour la réalisation d'une affiche publicitaire.

Les fervents du sport actuel ne peuvent se faire aucune idée de ce que pouvait être alors la beauté d?une course cycliste avec entraîneurs par machines multiples : seuls, les « plus de cinquante ans » se rappelleront cette mise en scène somptueuse. Chaque maison possédait ses équipes avec ses couleurs. Elles se composaient de six ou huit teams de quadruplettes et quintuplettes, dont les plus fameuses : l?équipe Jallabert, l?équipe Dacier, les frères Jallu, l?équipe Demester, l?équipe Cabaillot, l?équipe Lamberjack, etc..., etc... O Dominique t?en souviens-tu ? Passées maîtresses dans l?art d?entraîner, elles se livraient des luttes épiques, dans l?acharnement à faire passer leur coureur, au cours desquelles celui-ci les suppliait de ralentir. Si elles étaient à la peine, elles voulaient être à l?honneur. Aujourd?hui, il est aisé de doubler une courte moto. Autrefois, il fallait du cran pour remonter une longue quintuplette : ce n?était pas toujours aisé, vous pouvez en croire, votre narrateur qui a connu les deux méthodes. Une reprise ratée compromettait une victoire. Aussi ces hommes mettaient-ils leur orgueil à n?en louper aucune. Sinon, ils n?échappaient point aux coups de siflet des « populaires » lesquels veulent être servis. Une quintuplette vous mène depuis trois ou quatre tours à toute allure. Vous voyez rouler celle qui va la relayer dans la ligne d?en face, elle prend son élan, vous devez l?aborder au moment où elle a acquis votre vitesse ; elle est à la corde, vous roulez à l?extérieur, un tout petit écart sur votre gauche, vous avez changé sans heurt. Voici une reprise impeccable. Ce sont des spectacles qu?on ne reverra plus, hélas ! [...]




Venu à Londres en costume de sport, j?avais aux pieds, heureusement, mes souliers de vélo avec les empreintes des scies des pédales, ce qui a une grande importance, les cyclistes me comprendront. Au milieu des acclamations, je fis un tour d?essai. Nous tirons au sort. Chase à la corde et, après un vigoureux shake hand me l?offrit. On ne peut être plus gentleman ! Le départ fut foudroyant. Chase se sauva. Moi, tout de suite à l?ouvrage, le sang à la tête, rouge comme un apoplectique. Ça n?allait pas, mon c½ur avait des « ratés », si bien qu?au dixième kilomètre je n?avais plus que trente mètres à faire pour être doublé. C?est alors que le miracle se produisit : le c½ur prit sa cadence normale sans laquelle il n?est pas de rythme possible : me voilà reparti. Chaque tour enregistrait un petit gain. Des petits gains renouvelés finissent par faire un tour de telle sorte qu?au 32e kilomètre, j?étais sur la roue de mon rival. Je dis alors à l?équipe qui va me laisser : « Prévenez Jallabert, dites lui que je suivrai l?effort qu?il me demandera, pas de voyage à l?extérieur surtout, je veux passer dans une ligne ». Enfin, voici Jallabert qui, en une reprise impeccable me cueille, accélère, me fait remonter Chase dans un virage et dans la ligne droite, c?est la détente violente, c?est l?effort total. Ce sont les forces ramassées que l?on jette d?un coup sur de minuscules pédales. C?est l?accu en court-circuit, les jambes tournent, tournent à une allure de sprint... Nous sommes passés, la distance grandit, Chase est lâché. Mais c?est un dur-à-cuire, il se défend admirablement. Ce ne fut qu?au 52e kilomètre que je pus le doubler.  

Il apparaît peu après. Nous employons la même tactique et irrésistiblement nous passons dans la ligne droite. Avant le virage, nous avons repris la corde. Si Chase veut doubler, il voyagera, mais cette lutte terrible qui dure depuis le départ l?a épuisé. Déjà, nous courons à la conquête du deuxième tour bientôt atteint. Chase est vaincu et ne réagira pas. J?avais battu deux beaux records du monde : l?heure et les 50 milles, ce dernier de 3 minutes et demie. Il resta debout trente mois et ne fut repris qu?à l?apparition des machines d?entrainement mécanique.

Constant Huret

Cyclette revue, 1/11/1947

Le syndicaliste et délégué sportif


La brasserie L'Espérance se trouvait après l'Hôtel du Cycle,
le café-restaurant des Sports et plusieurs magasins, dont celui des vélos André.
 

Les pratiquants du cyclisme, établi comme un sport professionnel dès son origine,  se sont groupés en un syndicat.

Son siège était dans l'avenue de la Grande Armée à Paris, comme ceux de nombreux fabricants de cycles. S'y trouvait, également la brasserie L'Espérance, qui était fréquenté par de nombreux coureurs cyclistes, dont Louis Jallabert.

Les pistards, qui avaient de meilleurs revenus, étaient les mieux représentés dans le syndicat des coureurs. Selon la revue Rennes-vélo de 1898,  l'élection de son  bureau a alors élu son bureau. Louis Jallabert était membre du comité.

Le journal Gil Blas du 23 décembre 1908 nous apprend que le Comité sportif Paris-Nord (arrondissements de Pontoise et de Mantes) de  l'Union  Vélocipédique de France (U.V.F.) avait décidé de tenir, dorénavant, ses réunions à Villennes (maison  Jallabert). En mars suivant, il a organisé, sous le nom Prix Jallabert,  une épreuve interclubs d'amateurs et de professionnels dans la côte du Bois des Falaises à Villennes (l'actuelle avenue du Général de Gaulle).

Louis Jallabert fut sous-délégué sportif (ainsi qu'un autre Villennois, Vasson, un troisième, Robert David, étant délégué sportif) parmi les neuf personnes représentant la Seine-et-Oise au congrès de l'U.V.F. en 1910.

L'hôtelier-restaurateur villennois



La presse nous relate l'accueil que réservait Louis Jallabert, dans son restaurant villennois, à ses amis cyclistes.

François Faber se marie

Ainsi que nous l'avons annoncé, le populaire et sympathique champion cycliste François Faber a convolé hier en justes noces, à la mairie de Colombes, avec Mlle Eugénie Terrier. [...]

Aujourd'hui, le grand crack de Peugeot emmènera ses invités à Villennes, où il leur offrira à déjeuner chez Jallabert, l'ancien coureur, devenu depuis restaurateur de marque. Une centaine d'invités sont conviés à cette agape, autant sportive que joyeuse.

La presse spéciale y sera représentée par nos confrères Ch. Ravaud, Coquelle et Grieux. Ce sera alors une fête sportive, au plus haut point. [...]

Journal L'Aéro, 31/10/1913

Le citoyen engagé et l'auxiliaire de la poste

Louis Jallabert était, en 1923, membre du bureau de la Commission exécutive de la Fédération républicaine, radicale et radicale socialiste de Seine-et-Oise. Il a été élu au conseil municipal de Villennes.

Celui-ci a examiné, en septembre 1919, un projet de suppression des services postaux les dimanches et jours fériés, afin de procurer un repos hebdomadaire aux agents.

Il a reconnu que "les employés de tous ordres des Postes, Télégraphes et Téléphones ont, comme tous les travailleurs, besoin de repos, mais que pour cela des jours de congé leur sont accordés ; que si le nombre n'en est pas suffisant, l'administration peut l'augmenter et donner ainsi satisfaction à son personnel". Il estime que "de graves inconvénients résulteraient de la suppression complète du service postal le dimanche et les jours fériés, notamment à Villennes, où le maintien du fonctionnement du télégraphe et du téléphone est indispensable, non seulement à cause du grand nombre de personnes qui habitent ici pendant la saison d'été, mais encore pour la sécurité publique, attendu que les secours en cas de sinistres, crimes ou accidents, ne pouvant être demandés à temps, risqueraient d'arriver trop tard". Il a été d'avis que "dans l'intérêt public, le service soit maintenu sans modification".

La décision de fermer le bureau de poste, le dimanche, a toutefois été prise par l'administration. Monsieur Jallabert (Hôtel-restaurant du Bord de l'Eau) a alors été chargé d'assurer la réception des télégrammes et les communications téléphoniques urgentes.

Départ de la rive de la Seine pour la forêt de Saint-Germain-en-Laye

La revue hebdomadaire de la bicyclette et de ses accessoires La Pédale, a commenté la vente, par Louis Jallabert, de son hôtel restaurant villennois et, peu après, son acquisition du restaurant de la Croix de Noailles.

Vous savez ou vous ne savez pas que Jallabert a vendu son fonds de restaurateur à Villennes ! Jallabert est un vieux pratiquant de la bécane qui avait su attirer dans ce coin fleuri qu?arrose la Seine, grâce aux talents culinaires de sa femme, le ban et l'arrière-ban de tous ceux qui ont défilé dans les vélodromes ces vingt-cinq dernières années. Jallabert, voyant ses cheveux disparaître et disparaître sa dernière chance de se voir exproprier par les chemins de fer de l?Etat, a donc passé la main à Tabary?s. Pour un bon prix, évidemment ! Cependant l?arrivée de Tabary?s à Villennes crée un problème nouveau. Que va devenir Didier, le voisin immédiat de Jallabert (avec qui d?ailleurs il était en excellents termes ??? à peu près comme deux chiens de faience historiques). Tabary?s n'y va pas y aller avec le dos de la cuiller, nous a-t-on dit. Il installe un vrai palace qui va embouteiller tout le chemin de halage de Villennes. Et Léon Didier se demande anxieusement depuis quelques jours comment il va pouvoir désormais rentrer à la maison. C?est peut-être pour cela qu'il est parti passer une quinzaine dans le Midi, histoire de réfléchir.

La Pédale, 3/12/1924



Nous avons signalé l?hiver dernier le déménagement de notre ami Jallabert à Villennes. On sait que le restaurateur sportif passait la main et déclarait prendre sa retraite. Serment d?ivrogne ! - sauf votre respect - car Jallabert, mourant d?ennui et d?inaction, vient de se réinstaller. Et savez-vous à quel endroit ? A la croix de Noailles, en pleine forêt de St-Germain, face au monument de Pierre Giffard. Jallabert ouvre un poste de ravitaillement (avec signature facultative), et bien que le gibier soit proche, on n?y tirera pas trop de coups de fusil. C?est, du moins lui qui nous l?assure.


La Pédale, 29/7/19254

Le Pavillon de la Croix de Noailles était un ancien rendez-vous de chasse, qui aurait été érigé en 1751 ainsi que la croix de Noailles, pour le duc de Noailles, gouverneur de Saint-Germain-en-Laye. Il avait été classé Monument historique en 1937.

Le restaurant était encore en activité dans la première décennie du XXIe siècle. Il se trouvait en face d'un monument, en forme de banc, inauguré en 1891. Il avait été érigé en mémoire de Pierre Giffard, journaliste, promoteur des sports, particulièrement du cyclisme et de la locomotion mécanique.


Michel Kohn