Une longue "amitié" anglo-meulanaise



Pierre-Jean Trombetta

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La disparition de la reine Elisabeth II et l'avènement du roi Charles III, qui concentrent l'attention du monde entier sur le Royaume-Uni, nous conduisent à publier cet article, en préambule du prochain rallye pédestre à Meulan. Nous avons transcrit et illustré un texte de l'ouvrage Meulan, histoires de quartiers, quartiers d'histoire publié, en 2007, par la Ville de Meulan et le département des Yvelines, dans le cadre d'une exposition présentée en mairie de Meulan, du 16 mars au 1er avril 2007.

Ce livre, qui nous a été offert par la Ville de Meulan-en-Yvelines, nous a été très utile pour connaître la riche histoire meulanaise, avant d'élaborer le rallye pédestre.

L'article a été rédigé par Pierre-Jean Trombetta, un élu de Meulan qui était archéologue au Ministère de la Culture/DRAC et chargé de cours à l'Université. Auteur de nombreux livres d'histoire, il avait été le fondateur du service d'archéologie départementale dans les années 1980. Il est décédé en 2013, à l'âge de 66 ans.



A priori notre petite ville ne semble avoir que peu de rapport avec la grande et lointaine Angleterre. Jumelée avee une ville écossaise soit, mais à part cela ?

En fait les aléas des événements et la prégnance de la géographie ont tissé, tout au long de l'histoire, des liens parfois forts parfois anecdotiques, parfois positifs, parfois tragiques entre notre ville et l'autre côté de la Manche. « A tout seigneur, tout honneur » : ce sont les comtes de Meulan qui les premiers assurent cette histoire commune.


Robert Ier, comte de Meulan, à Hastings (Tapisserie de Bayeux)

Le premier d'entre eux à intervenir dans l'histoire anglaise est Robert Ier compagnon de Guillaume le Conquérant à la bataille d'Hastings en 1066, qui deviendra son conseiller après son couronnement et sera fait comte de Leicester et de Northampton.


Sa longue carrière lui permettra d'½uvrer pour l'avènement de Guillaume au trône d'Angleterre en 1100 et il restera jusqu'à la fin de ses jours un des personnages importants de la cour anglaise ce qui lui valut d'être encensé par les historiens anglo-normands du Moyen Âge : « A cold crafty statesman, the Achitophel of his time » [un homme d'état froid et rusé, l'Achitophel de celle époque - Achitophel est le conseiller du roi David : Samuel II, 18-17] écrit Henry de Huntingdon dans Historia Anglorum vers 1125, « sapienlissimus omnium, hinc usque ad Jerusalem, he was appealed to as the oracle of Jod » [savantissime en lout jusqu'à Jérusalem, il était appelé l'oracle de Dieu] ajoute William de Malmeshury dans sa Gesta regum anglorum vers 1120. Cette fidélité anglaise explique également ses affrontements avec le roi de France Louis VI le Gros.

Robert avait eu des jumeaux qui furent élevés à la cour d'Angleterre. L'un, Galeran II [Galeran IV, selon d'autres sources], reçut en partage le comté de Meulan, son frère gardant les possessions anglaises. Galeran commença à gâter les belles relations avec Albion, car en 1124, avec des collègues normands (il est également comte d'Elbeuf) il se révolte contre le roi Henri Ier, qui l'avait nourri, disent les chroniques.


Galeran II, comte de Meulan

Il est défait avec ses compagnons à la bataille de Bourgtheroulde près de Rouen et paiera sa révolte par un séjour dans les prisons anglaises. Cette erreur de jeunesse - il avait juste vingt ans - lui sera d'ailleurs rapidement pardonnée et il aura « le privilège » d'assister à la mort du roi Henri en 1135 avant de régner sur Meulan jusqu'en 1166. Son fils Robert II, associé à son père en 1157, lui succède en 1166 et après sa participation à la troisième croisade, revient en France, essayant de rester en bonne entente avec la France et l'Angleterre. Mais en 1199, à la mort de Richard C½ur de Lion, il commet l'erreur de soutenir Jean sans Terre, frère de Richard ; malgré l'opposition de Philippe Auguste il rejoindra Jean après son couronnement en Angleterre ce qui pemettra à Philippe Auguste de supprimer le titre de comte héréditaire et de mettre la main sur le comté de Meulan. Ces aventures anglaises des comtes de Meulan sont, malgré tout, assez peu connues en France mais ont largement été étudiées par les historiens anglo-saxons (voir la bibliographie à la fin de texte). Meulan devenue française, la seconde phase de ses relations avec I'Angleterre va être beaucoup plus conflictuelle : il s'agit bien entendu des nombreux épisodes de la guerre de Cent Ans où notre ville va successivement passer des mains anglaises aux françaises, et vice versa. Nous n'insistons pas sur la prise de Meulan par les Navarrais en 1358 et sa reprise par Du Guesclin que nous évoquons plus bas (voir encadré sur le château et le Fort de Meulan), mais il faut évoquer ici plus longuement les épisodes de la seconde partie de la Guerre. Meulan redevient anglaise en 1419 et il s'y tient cette même année une longue négociation stérile entre ambassadeurs français et anglais. En 1423, Jean Malet, sire de Graville et seigneur de Marcoussis. reprend Meulan aux anglo-navarrais, coupant les liens entre Mantes et Poissy et donc la ligne de défense anglaise.

Le duc de Bedford revient alors assiéger Meulan, tandis que le roi de France dépêche une importante force d'intervention franco-écossaise pour aider la ville : entre 6000 et 14000 hommes disent les chroniques de l'époque. Malheureusement, à quatre lieues de Meulan (seize kilomètres env.) la situation se dégrade entre les alliés car les chefs français expriment la volonté que « les indigènes écossais » occupent la première ligne lors du combat, place réservée aux auxiliaires étrangers ! James Stuart, commandant les Écossais, connétable de France depuis 1421 et sa victoire à Baugé, refuse cette exigence, ce qui entraîne une bataille fratricide générale où « il y eut grant occision » dit la Chronique de Monstrelet, puis une retraite qui fut de plus attaquée par les garnisons anglaises de Chartres avant de regagner ses bases de la Loire. Les défenseurs de Meulan apprécièrent assez peu cette lamentable conclusion et montèrent sur les remparts pour jeter l'étendard du dauphin dans le fossé et arracher « les croix et enseignes d'icelui Dauphin ». Ils durent alors signer un traité léonin avec le duc de Bedford où les défenseurs de Meulan ne gardèrent que la vie sauve (à l'exception des canonniers et de ceux qui avaient pris le pont lors de l'attaque française précédente). Meulan restera anglaise encore pendant douze ans avant de redevenir définitivement française en 1435.

Après ce séjour dans la grande histoire de France, la suite des relations avec l'Angleterre paraît plus ténue, et elle est plus révélatrice de la place privilégiée de Meulan sur la route anglaise permettant de joindre Paris (à environ huit lieues), et qui en fait une étape naturelle à une journée de route de la capitale.

Le cadre devait également séduire comme le montrent les nombreux voyageurs anglais qui passèrent par la ville et les nombreuses mentions dans les guides britaniques du XIXe siècle. Le plus célèbre de ces visiteurs est sans aucun doute William Turner qui laissera une superbe aquarelle du Pont de Meulan, conservée à Londres à la Tate Gallery et maintes fois reproduite en gravure.


William Turner, Le pont de Meulan, aquarelle, vers1833, Londres Tate Gallery

Cette présence anglaise à Meulan est confirmée pendant tout le début du XXe siècle puisque Meulan est la seule ville du secteur où est célébré le culte anglican, culte signalé par tous les annuaires départementaux et par un épisode peu connu de la dernière guerre où les autorités allemandes qui avaient requis de la municipalité le recensement des étrangers vivant dans la ville s'étonnèrent du grand nombre de citoyens anglais y demeurant (plus de trente), avant de s'apercevoir qu'il s'agissait de vieilles dames anglaises inoffensives résidant dans les maisons de retraite meulanaises.

Pour conclure, et pour ceux qui apprécieraient les romans policiers historiques, signalons qu'il existe une série publiée dans la collection « Grands détectives» de 10/18, les enquêtes de Magdal[a]ine la Bâtarde, qui content les aventures d'une tenancière de maison close du début du XIIe siècle, intelligente et au grand c½ur, où apparaissent souvent des sbires antipathiques aux ordres de Waleran-Galeran de Meulan qui ½uvre en sous-main dans la querelle successorale qui oppose Mathilde à Etienne, respectivement fille et neveu du roi Henri, mort en 1135.




BIBLIOGRAPHIE

Crouch, David. The Beaunont Twins: The Roots and Branches of Power in the Twelfth Century, Cambridge Studies in Medieval Life and Thought, Fourth Series, 1. Cambridge: CUP, 1986.

[Roberta Gellis]
Magdal[a]ine la Bâtarde, J'ai lu. Grands détectives, 2005, n° 3868.
Le Diable, à demeure, J'ai lu. Grands détectives, 2005, n° 3869.
Le vent de la trahison. J'ai lu, Grands détectives, 2006, ri° 3953.

Houth, Émiie. "Géographie des fiefs des comtes de Meulan.* Bulletin philologique et historique du Comité des travaux historiques et scientifiques. 1966, 561-565.

King, Edmund, "Waleran, Count of Meulan, Earl of Worcester." In Tradition and Change: Essays in Honour of Marjorie Chibnall on Her Seventieth Birthday, 165-181. Editors Diane Greenway, Christopher Holdsworth and Jane Sayers. Cambridge: CUP, 1985.

Vaughn Sally N., Anselm of Bec and Robert of Meulan. The innocence of the dove and the wisdom ofthe serpent, Berkeley, 1987, 392 p.

White, Geoffroy H. "The Career of Waleran, Count of Meulan and Earl of Worcester (1104-66)." Transactions of the Royal Historical Society, 4th Series, no. 17 (1934): 19-48.


Pierre-Jean Trombetta