Terrible accident mortel sur la
route de Triel
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C’était le 29 juillet 1908, à proximité du château des Grésillons, où se rendait le conducteur qui est décédé, peu après, de ses blessures. Ce jeune Américain n’a pas eu le temps de se faire aussi bien connaître que le mari de sa mère, William Kissam Vanderbilt, qui possédait ce manoir, devenu le “Château éphémère”. En 2017, à l'occasion de l'inauguration du Parc du Peuple de l’herbe, qui a été aménagé sur les terres des Grésillons ayant appartenu au seigneur de Villennes, j'ai cherché des informations sur leur histoire. J’ai, notamment, trouvé cet article paru, le lendemain de l’accident, dans le journal Le Petit Parisien. Je l’ai transcrit, en reproduisant les deux photos qui l’illustraient. Le corps de George-Winthrop Sands n'a pas été transporté à New-York.
Il repose dans l'ancien cimetière de Saint-Germain-en-Laye.
Michel Kohn
Sources : |
Un effroyable accident d'automobile s'est produit, hier matin, à sept heures un quart, sur la route nationale de Paris au Havre, entre Triel et Poissy. M. George-Winthrop Sands, beau-fils de M. Vanderbilt, a été horriblement broyé et carbonisé et son mécanicien Robert Picken blessé. Le fils de Mme Vanderbilt, M. George-Winthrop Sands, né le 15 mai 1885 à New-York, marié, père de deux enfants dont le dernier n'a que cinq semaines, vivait au château de son beau-père. Avant-hier matin, laissant au château sa femme et ses enfants, il partait pour rejoindre à Deauville M. Vanderbilt et sa mère ; il fit le voyage dans son automobile de 90 HP qu'il aimait à conduire lui-même. Son chauffeur, Robert Picken, âgé de trente ans, demeurant à Paris, 115, avenue de La Bourdonnais, l’accompagnait. M. Sands passa la journée de mardi à Deauville, y coucha et résolut de rentrer dans la matinée d'hier au château des Grésillons. Parti de Deauville vers cinq heures, il arrivait en vue des Grésillons vers sept heures un quart : conduisant lui-même, il avait marché à la vitesse de 110 kilomètres à l'heure environ ! C'est au sortir de Triel, à un kilomètre à peine du château, que se produisit l'accident qui devait coûter la vie au beau-fils du milliardaire américain. |
Le récit d'un témoin
La route nationale, si fréquentée par les automobilistes, est bordée, à droite et à gauche, par deux rangées d'arbres, des acacias et des ormes, qui masquent en partie les terrains d'épandage aux cultures si riches. L'automobile devait venir se briser contre ces arbres par suite de circonstances que nous a fait connaître un des rares témoins de l'accident, M. Jean Furaudet, cultivateur à Triel.
- L'automobile de M. Stands filait, nous dit-il, à une allure vertigineuse : de la route détrempée par la pluie aucune poussière ne s'élevait et je pouvais suivre du regard cette automobile si rapide. Soudain, il me sembla qu'une des roues sautait en l'air ; la voiture obliqua sur la gauche, monta sur l'accotement, heurta un des acacias et, faisant un bond fantastique, alla s'écraser contre un gros orme de la seconde rangée d'arbres, à plus de quinze mètres de l'acacia.
Je me précipitai avec des journaliers agricoles, occupés aux pommes de terre dans les terrains d'épandage. Le spectacle était lamentable : la voiture, une superbe automobile découverte à deux places à l'avant, et quatre derrière, s’était retournée sur les deux hommes qui la pilotaient. Des flammes avaient jailli, toute la carrosserie flambait. Aussi rapidement que nous le permettaient les flammes, qui atteignaient, comme on le voit sur l'orme, la hauteur, de six ou sept mètres, nous essayâmes de sauver les deux chauffeurs. Le mécanicien fut d'abord tiré de sa position atroce ; déjà les flammes lui avaient carbonisé ses chaussures. A peine l'eûmes-nous sorti de dessous le baquet qui l'écrasait, qu'il s'enfuit sur la route, affolé, les yeux hagards, hurlant des choses inintelligibles. Soudain il battit l'air de ses bras et vint tomber dans un champ de choux, évanoui.
M. Sands était pris sous le chassis renversé et tordu ; nous pûmes le tirer de là, non sans peine. Jamais je n'oublierai ce que j'ai vu alors : sa jambe droite avait été coupée au milieu de la cuisse et le sang jaillissait à flots. Pourtant il n'avait pas perdu connaissance, et c'est d'une voix encore ferme qu'il nous dit « Où est Bob ? » (Bob est le surnom familier du mécanicien Picken.) Puis il ajouta, toujours calme « Couvrez donc ma jambe ! ». Dans le champ voisin, nous plaçâmes le blessé en attendant les secours qu'on était allé chercher au château des Grésillons, éloigné d'un kilomètre à peine. Pas une plainte ne sortit de ses lèvres et M. Sands répéta seulement plusieurs fois « Donnez-moi à boire. » Enfin, on arriva du château. M. Sands fut transporté dans ma voiture et, avec d'infinies précautions, déposé dans une des pièces du rez-de-chaussée. Quant au mécanicien Picken, qui était revenu à lui et qui, autant que j'ai pu en juger, n'avait que des contusions à la tête, on le transporta à l'hôpital de Poissy. »
La mort de M. Sands Au château des Grésillons, une scène atroce s'était produite : Mme Sands avait assisté à l'arrivée de son malheureux mari, et, folle de douleur, s'était écroulée près du lit sur lequel on venait de placer le moribond. En vain les docteurs Humbel et Ambrosini, de Poissy, et Gautier, venu de Paris quelques instants plus tard, essayèrent d'arrêter l'hémorragie qui épuisait le blessé. Leurs soins demeurèrent inutiles ; d'ailleurs le feu avait fait également son œuvre, carbonisant les chairs, calcinant les os de la jambe non coupée. A neuf heures, c'est-à-dire moins de deux heures après l'accident, M. Sands expirait. Le personnel du château se rendit sur
la route, chargea sur un chariot ce qui restait de
l'automobile, le moteur, le changement de vitesses,
quelques ferrures tordues, et ramena le tout dans la
cour des cuisines. L'endroit où l'accident s'était
produit fut minutieusement exploré : les gens de
M. Vanderbilt ramassèrent des lambeaux de vêtements
tout sanglants, un fragment de tibia calciné, des débris
de pneumatiques tout gluants de sang. Au chevet du mécanicien |
La nouvelle de ce tragique accident s'est
rapidement répandue dans le village de Carrières-sous-Poissy,
dont les Grésillons ne sont qu'un hameau. L'émotion fut
considérable. M. Vanderbilt, beau-père de M. Sands, y est très
aimé de toute la population ; son château et son écurie sont
pour la localité, une source de profits.
Dans l’après-midi, ce fut au château des Grésillons, un défilé
ininterrompu des habitants de la région, qui y venaient aux
nouvelles. Une consigne très sévère interdisait l'accès du
château et le personnel anglais des écuries mettait à en
défendre la porte une rigueur inflexible. M. et Mme Vanderbilt,
que par téléphone on avait prévenus de l'accident, sont arrivés
vers trois heures, venant de Deauville. Une scène navrante s'est
produite quand Mme Vanderbilt a été mise en présence du corps si
atrocement mutilé et carbonisé de M. Sands, son fils, auprès
duquel veillait et se lamentait sa belle-fille.
Chez M. Sands
Il a été décidé que les restes mutilés du
jeune Américain seraient ramenés au domicile parisien du défunt.
M. George-Winthrop Sands était arrivé à Paris au mois d'avril
dernier ; il descendit avec sa femme et sa fillette chez sa
tante, Mme Haffmayer, qui occupe un spacieux appartement avenue
du Bois-de-Boulogne, 23. Lorsque Mme Sands y eut fait ses
couches, son mari, pensant qu'il pourrait être dangereux pour la
santé de la mère et du bébé de les ramener aussitôt en Amérique,
se décida à demeurer quelque temps à Paris. Il trouva à
proximité du bois de Boulogne un charmant petit hôtel situé au
fond d'un square particulier dont l'entrée s’ouvre au numéro 80
de l'avenue. C'est à cette adresse, qu'aussitôt après avoir
appris la fatale nouvelle, nous nous sommes présenté[s]. Nous
n'y avons trouvé que des ouvriers peintres et l'intendant de M.
Sands. Ce domestique ignorait encore l'accident dont son maître
venait d'être victime. Après avoir écouté notre récit, il se
contenta de lever les bras et de retenir entre ses lèvres une
exclamation de colère.
« D'ailleurs, ajouta-t-il, M. Sands était d'une
imprudence extrême. Pour ses voyages à Deauville, il ne
voulait monter qu'une voiture de 120 chevaux qu'il s'était
fait construire spécialement. Ses parents et ses amis ne
cessaient de lui signaler sa témérité ; il ne voulait pas se
rendre à ces observations et riait du danger.
« M. Sands devait revenir cet après-midi, et je m'attendais
à le voir arriver d'un moment à l'autre. En effet, j'avais
reçu hier de son banquier un télégramme le convoquant pour cet
après-midi ; je le lui avais réexpédié et je savais qu'il ne
manquerait pas de se rendre à cet appel. »
Sur ces mots, l'intendant nous prie de l'excuser et il nous
quitte pour se rendre à Poissy.